DERRIERE LE DOS DE DIEU – Lorand Gaspar
- Par hervegautier
- Le 02/07/2011
- Dans Loran Gaspard
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N°527 – Juin 2011.
DERRIERE LE DOS DE DIEU – Lorand Gaspar – Gallimard.
Cela fait quelques années que cette chronique s'intéresse à la poésie de Lorand Gaspar (La Feuille Volante n° 241 – 250). Comme à chaque fois, j'ai retrouvé avec plaisir ce verbe fluide, cette musique des mots qui tire sa légèreté de sa simplicité même. C'est un hymne à la vie qui est un miracle renouvelé chaque matin au réveil, une vibration unique qui se transmet malgré la fuite du temps, un creuset où gîte la mémoire des choses et des gens, une imperceptible légèreté [« Tu ne veux être rien qu'une chose pensante et fluide, comme une musique qui passe entre les rochers »]. C'est la célébration d'un corps fragile qui vient de naître, beauté de l'instant immédiat et fugace [« la clarté lumineuse d'être là, de toucher l'infini où se déploient les choses qui meurent »).
La poésie de Gaspar est faite du plaisir de l'instant [« Bonheur de cette eau déliant les marbres dissolvant la figure lisible un instant dans la bruissante chapelle d'écume »] d'opposition qui se manifeste au simple niveau des mots. Ici, « braise » et « cendre » répondent à « semences », « l'eau » à « la pierre », deux éléments apparemment contradictoires, l'un symbolisant la fin et l'autre le commencement de quelque chose, la transmission de la vie, l'un usant l'autre du frottement de ses molécules, canalisant l'autre au rythme du froissement de ses plis. L'obscurité appelle la lumière[« Je ramasse un tas de pensées sombres pour allumer un feu » « Je vois toujours et encore que suis lumière et nuit les deux me disent l'absence totale de toute certitude de ma pensée. »], la chaleur s'oppose à la froidure, le connu à l'inconnu, le continu au fini, l'endormissement au réveil... Gaspar s'approprie les mots, précieux, rares, techniques et mélangés parfois pour tresser aux yeux du lecteur attentif une évocation fugace, touche sensible et délicate et qui lève pour lui un coin du voile sur ce monde extérieur qu'il oppose à celui, intérieur, de la connaissance et de la pensée ou celui plus secret qu'on trouve sous le scalpel du chirurgien, les roches répondant au corps [« Sahara, tissus de roches et de corps »].
L'eau, source de vie, a dans sa démarche poétique, une importance essentielle. Qu'elle soit évoquée sous la forme boueuse de l'Euphrate, de la rosée perlée du matin, ou d'un torrent dévalant une pente, elle reste un élément vital et purificateur de la pensée mais aussi la source de la vie.
Sa poésie fait penser aux moments fugaces de la nuit qui s'habillent d'instants précieux et qu'il faut saisir de la main et du crayon, cadeau que fait l'inspiration dans la quiétude nocturne et l'endormissement [« Cuisson d'images et de mots, les mêmes bruits d'eau, de feuilles et de voix dans le silence absolu où s'enracinent mes pensées »], poésie lumineuse associée à la musique [« Comme s'il y avait un blé du souffle dans la meule des pierres »], à la peinture, au vol léger d'une hirondelle ou aux délicates volutes d'un pinceau chinois [« écriture d'herbe du pinceau chinois »], en opposition au monde extérieur fait de téléphones portables, d'agitations vaines et de colonnes de chiffres. Le séjour sur terre est fait de vitesse et de recherche du profit. Le poète est « un arpenteur de déserts, de roches et de cerveaux » et ce monde mercantile et superficiel, ce « maelström des coureurs » n'est pas le sien [« plus envie de cette vie terne, rigide, cousue d'avance, sérieuse... »]. Il lui oppose la solitude du désert, celle de l'écriture, de la pensée... Cette solitude est son lot face à lui-même, aux mots, au silence propice à la réflexion[« j'ai besoin du silence qu'ils(les mots) font pour entendre ma pensée »], à la création[« Je ne peux rien entreprendre sans risque au fond...]. Sa poésie est un hymne au présent, à l'instant [« mon seul avenir est l'instant présent »], pourtant, il a conscience des limites à la fois de la connaissance, de la vie et du monde [« je regarde longuement la nuit écoute ce qu'on appelle le silence »].
L'appel du voyage est fort, un voyage sans but, au hasard, mais le paysage qui fut longtemps le sien est désolé, désertique, sec et pauvre mais éblouissant de soleil et de clarté. Il est le reflet d'une âme solitaire face au monde qu'il veut célébrer [« vois, disait la voix, comme tout est mort, désolé-en moi-même je pensais: « j'entends creuser le silence »]
L'écriture est une étrange alchimie qui révèle et cache les replis de l'âme [«L'œil, le cerveau, les couleurs de l'âme, esprit et corps sans ligne de partage, jouent de tous leurs doigts, de toute leur chimie, d'idées et d'images sur les eaux ... »]. C'est une manière d'émerveillement devant la vie qui se décline en cellules nerveuses, en évocations... Le médecin n'est jamais très loin qui parle du cerveau, des neurones, des quasars et marie ainsi avec bonheur science et poésie. Il nomme d'ailleurs ces textes des « Neuropoèmes ». Dans « l'Approche de la Parole » (Gallimard 2004) Lorand Gaspar avait par ailleurs exprimé cela comme une évidence puisqu'il les rattache toutes les deux à la vie. La poésie la constate et la célèbre, la science l'explique et la maintient. De sorte qu'en parlant des neurones qui sont l'organe de la connaissance, de la mémoire, il parle aussi de la vie
C'est que ce monde est transitoire, l'homme finalement peu de chose face au destin, à l'amour [« encore et encore s'ouvrir chaque jour et chaque nuit à la pensée claire de l'amour »] et à la vie qui continue [« Un coquille de noix sur un torrent, voilà ce que je suis »]. Ces textes semblent être un monologue intérieur ou un dialogue avec un être sans visage, une femme peut-être, à qui il s'adresse sur le registre de la mémoire et des sentiments [« Essaye essaye encore d'aimer vraiment d'aimer assez... »]. Le temps s'écoule inexorablement et avec lui la vie dans son lent mais incontournable chemin vers la mort que, fataliste, il faut accepter [« Je suis juste un peu d'air qui passe... »] comme il faut aussi admettre une grande humilité face à l'écriture [« J'apprends à n'être qu'un peu d'air qui passe dans une forêt de couteaux » « Trouver les mots pour essayer de dire. Écrire quelque chose qu'on appelle un poème sachant qu'on ne sait pas ce que c'est » ], à la connaissance [« Il n'y a pas de plafond, il n'y a pas de fond... tout ce que nous croyons savoir... ce n'est pas grand chose »] , au monde [« Trois cailloux dans ma poche ramassés près de la mer...je pense en les touchant au désir d'aller dans l'inconnu »], au corps qui est promis à la destruction, à la mémoire qui s'envole sur les épaules du temps [« J 'oublie le passé et me concentre sur l'instant dénudé de connaissance et riche de sensations »]. C'est donc, et peut-être bizarrement s'agissant d'un poète majeur, une grande modestie qui transparait dans son écriture autant que devant le spectacle de la vie.
©Hervé GAUTIER – Juin 2011. http://hervegautier.e-monsite.com
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