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la feuille volante

LITURGIE - Marie-Hélène Lafon

N°672– Août 2013.

LITURGIE - Marie-Hélène Lafon – Éditions Buchet Chastel.

La nouvelle est un art difficile et bien plus difficile encore est l'intitulé d'un recueil.

La liturgie est un culte, un cérémonial, un ensemble de codes, de gestes extérieurs qui règlent une cérémonie religieuse. Il y a bien dans ces nouvelles cet aspect liturgique. Dans la première qui donne son titre au recueil, le lavement du dos du père par ses filles tient du rituel codifié qu'il ne viendrait à l'idée de personne de transgresser ces habitudes. Le père trône dans cette maison qui est la sienne, où il est le maître où on le respecte et de lui tout dépend, jusqu'à la vie de ses filles. Il y a un côté religieux dans ces ablutions dominicales qui rappellent un peu le lavement des pieds de l’Évangile et l'annonce de sa mort prochaine donne à cette scène traditionnelle une dimension particulière.

La mort qui s'accompagne d'ordinaire d'une liturgie religieuse ou laïque est évoquée quand Germaine, la « fiancée » de ce pauvre Alphonse choisit, de se suicider par honte d'avoir été violée par un rustaud et ainsi de ne plus pouvoir le regarder en face. La mort aussi de Roland, par pendaison comme celle de Germaine, un rituel quasi-immuable à la campagne quand la vie n'est plus supportable. La mort encore évoquée pour le jour des défunts dans « La fleur surnaturelle ». Elle se double ici du rituel annuel et incontournable de la visite des cimetières.

Jeanne, parce qu'elle est différente des autres membres de la famille attachés à la terre et ne vivant que pour elle, parce qu'elle a choisi d'être institutrice et célibataire dans un monde où il faut impérativement pour une femme « faire maison », c'est à dire se marier, avoir des enfants de préférence dans le village, rompt un peu cette liturgie laïque et contadine. Elle y sacrifie cependant, mais à sa manière, quand elle choisit un homme. Elle est vierge et lui porte soutane mais, même si cette passade ne peut perdurer, elle la vit quand même comme quelque chose d'exceptionnel : faire l'amour avec un jeune ecclésiastique tient un peu du rituel. C'est sans doute plus excitant et érotiquement différent. Elle continue de se singulariser lorsque, sa foucade terminée, elle devint kleptomane pour le seul plaisir de transgresser encore une fois l'interdit. Le « modus operandi » du délit est une sorte de cérémonial.

Liturgie encore quand le narrateur, témoin privilégié de ces tranches de vies rurales, raconte les familles engoncées dans leurs conflits internes où l'indifférence et parfois la haine tiennent lieu de ciment. Ici, on peut avoir des maîtresses ou des amants, seul compte l'argent et surtout on ne divorce pas, on attend la mort, quand on ne la provoque pas. Liturgie toujours quand il faut impérativement quelqu'un parmi la descendance pour reprendre les terres, la boutique ou l'atelier. Que cela lui plaise ou non, celui qui est choisi doit de plier à la tradition, à cette sorte de liturgie. Et si d'aventure les mariages entre cousins des générations précédentes produisent des attardés mentaux, il faut les cacher, les dissimuler aux yeux des autres mais surtout en profiter, les exploiter puisque, bien entendu, ils ne se défendent pas. Si de pauvres filles de ferme ont succombé sous les assauts de garçons avinés et violents, qu'elles tombent enceinte, il faut impérativement les marginaliser, les désigner à la vindicte populaire, les spolier, elles-aussi.

Liturgie encore que ces grandes lessives au lavoir communal où tout se sait, où se distribuent les critiques et les clabaudages.

Je ne connaissais pas Marie-Hélène Lafon avant d'avoir, par hasard, pris un de ses livres sur les rayonnages d'une bibliothèque. J'ai commencé par lire « Mo » (La Feuille Volante n°671) mais le style haché et minimaliste m'a déplu. Cela semble être la caractéristique littéraire de l'auteur et c'est évidemment respectable. Ici, j'ai trouvé l'écriture plus fluide et poétique, assurément plus agréable à lire et donc pour moi un bon moment de lecture. J'observe que « Mo » est paru en 2005 et « Liturgie »date de 2002. Elle a donc abandonné le style de ce recueil de nouvelles au profit d'une façon plus épurée. Personnellement je le regrette mais j'apprécie qu'elle soit une talentueuse raconteuse d'histoires.

Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com















 

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