L'ELOGE DE LA MARATRE – Mario VARGAS LLOSA
- Par hervegautier
- Le 20/10/2010
- Dans Mario Vargas Llosa
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N°279 – Août 2007
L'ELOGE DE LA MARATRE – Mario VARGAS LLOSA - Gallimard Editeur.
Loin du registre qui a fait sa notoriété, l'auteur explore un univers familial particulier, celui, vu à la fois avec les yeux d'adultes et ceux d'un enfant, d'une femme, non seulement épouse mais aussi maîtresse, en ce qu'elle est la complice active des jeux de l'amour, mais surtout la belle-mère. Cette dernière emprunte son lien de parenté au mariage, c'est à dire qu'elle apparaît un peu par hasard dans la vie de gens qui n'ont rien fait pour la connaître. Elle est souvent l'intruse, le mauvais côté de l'image de la femme. Ici, il s'agit de la marâtre, terme un peu péjoratif qui désigne la deuxième femme du père, souvent plus jeune que lui, à la suite de cette détestable habitude qu'ont les hommes d'épouser, surtout en secondes noces, des femmes-enfants! Ils puisent en elles leur vitalité retrouvée, la volonté de combattre les affres de la vieillesse qui vient et parfois l'échec de leur premier mariage. Elle est porteuse de symboles mais aussi de promesses qu'elle ne doit pas décevoir. Pour l'enfant, dit « du premier lit »elle remplace la mère disparue ou partie, sans pour autant prendre sa place, bien au contraire. Il l'accueille souvent mal et s'engage entre eux un combat fait de subtils attaques ou d'affrontements violents peut-être parce que le complexe d'œdipe s'habille ici d'autres apparences, que chacun marque son territoire et tient à ses prérogatives parfois durement acquises...
Mais le titre nous indique qu'il s'agit d'un éloge et donc que vont être battues en brèche les idées reçues que le sujet génère. Il s'agit d'une mise en perspective d'un trio, le père, Don Rigoberto, jouisseur-esthète et fort amoureux de Lucrecia, sa deuxième épouse, marâtre de son fils Alfonso. On pourrait croire qu'il va s'agir du théâtre d'une lutte entre ces trois personnages. D'ailleurs, l'auteur sollicite à la fois la culture et l'attention de son lecteur, par l'évocation qu'il fait de tableaux aussi différents que ceux de Jacob Jordeans, du Titien, de Fra Angélico ou de Fernando de Szyszlo. Les époques et les écoles s'y mélangent, comme le figuratif et l'abstrait. Vargas Llossa y livre sa lecture de ces œuvres où se retrouve toujours un trio, et, en filigranes, une histoire d'amour. Cet amour est à la fois chaste et jouisseur, emprunt de retenue ou de licence, humain et divin. Le corps de la femme y est alternativement montré et caché, mais aussi joliment évoqué avec des mots choisis. Un troisième personnage vient souvent s'immiscer dans le tableau, soit qu'il y est déjà et parle, soit qu'il en est le commentateur extérieur qui, à la manière du chœur antique traduit pour le lecteur-témoin les pensées de la femme ou se charge de débroussailler le subtils écheveau de ses désirs secrets oscillant entre lubricité et vertu parce qu' ainsi va la vie et que le plaisir procède de ces deux facettes.
En même temps, la femme, prétexte aux désirs masculins est présentée alternativement comme objet mais aussi comme sujet de l'action amoureuse, à la fois passive et active. L'auteur nous rappelle, à travers ces fables écrotico-esthétiques, en réalité de longs poèmes, que l'amour n'est pas un acte bestial, voué à la seule procréation ou a l'assouvissement d'instincts animaux, la démarche, et ce qu'il en résulte est au contraire toute en nuances, faite de prolégomènes et de soins des apparences sans lesquels la séduction spontanée paraît impossible. En filigrane, je souhaite voir l'image de la mort, pendant de celle de l'amour et qui en est parfois la conséquence comme l'est paradoxalement la vie avec tous les fantasmes inhérents aux relations ambiguës hommes-femmes, mais aussi enfants-adultes.
Je choisis de voir dans ce texte, non un éloge comme l'indique le titre mais une vengeance subtilement accomplie du beau-fils qui amène habillement sa marâtre à se compromettre et grâce à un écrit anodin, sorte de mise en abyme du livre de Vargas Llosa, à dénoncer l'adultère, à amener son père à se séparer de cette épouse infidèle ainsi démasquée, à le forcer peut-être à rester fidèle à son ancienne épouse, même si, pour cela, il doit perdre sa joie de vivre retrouvée et pénéter de plain-pied dans la mort. C'est probablement une manière de retrouver son père et peut-être aussi de le détruire, tant les relations entre les humains sont complexes, faites d'amour et de haine, de luttes et d'apaisements, de sincérité et de mensonge.
© Hervé GAUTIER - Août 2007.
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