D'UNE L'AUTRE
- Par hervegautier
- Le 14/06/2012
- Dans Martine Lani-Bayle
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N°582– Juin 2012.
D'UNE L'AUTRE (destins de femmes) – Martine Lani-Bayle – Éditions du Petit Pavé.
Le titre est un peu déconcertant, tout comme les premières pages empreintes d'un désarroi que le lecteur ne tardera pas à comprendre. Pourtant le ton du livre est presque celui de la confidence faite non pas à un lecteur mais à une assemblée d'auditeurs recevant ce récit comme une histoire qu'une conteuse déclinerait par petites touches devant une assistance attentive.
C'est un triste récit qui commence par le viol de Céline, une jeune fille sans famille placée comme domestique dans une maison où elle n'est même pas considérée. C'est la Deuxième guerre mondiale et son agresseur est un soldat allemand qui l'engrosse, ce qui lui vaudra, à la Libération, d'être tondue et humiliée. Pour elle cette période ne sera pas synonyme de joie mais avant cela, elle accouche seule d'une petite fille que, désespérée, elle abandonne un matin à la porte d'un couvent. Les religieuses accueillent l'enfant, la nomment Aurore et lui prodiguent des soins malgré la règle de leur ordre mais conformément à la charité qu'elles ont fait vœux d'observer. Céline, devenue Lili par le miracle de l'amour, oublie jusqu'à cet enfant qui grandit maintenant dans une famille d’accueil où elle n'est pas mieux reçue que ne l'avait été sa mère. Presque instinctivement, elle a gommé de sa mémoire cette période de sa vie. C'est un peu comme si cette histoire intime se répétait et ce d'autant plus que Aurore est, elle aussi, victime d'un viol, mais loin de Céline qui maintenant à été recueillie par un homme bien qui l'a épousée et à qui elle a donné un fils. Cette famille qui est maintenant la sienne lui rappelle qu'elle a eu une fille. La mémoire lui revient petit à petit et avec elle le remords de l'abandon, l'envie de revoir cette enfant dont elle ne connaît même pas le nom, d'autant que son mari lui dévoile une vérité qu'il a longtemps cachée et qui fait la lumière sur cette malheureuse tranche de sa vie où elle a été la victime plus que l'actrice. La fin sera, si on le veut dire ainsi, une sorte de retour à une normalité, quoique...
J'ai lu ce court récit qui, jusqu'à la fin m'a tenu en haleine, avec des sentiments mêlés. C'est le récit de deux destinées semblables, l'une prenant la suite de l'autre, comme si cette lignée de femmes ne pouvait être que visitée par le malheur. Céline est née sous une mauvaise étoile et même si elle ne le veut pas, même si elle fait tout ce qu'elle peut pour éviter les écueils, sa fille Aurore va mettre ses pas dans ceux de sa mère, s'avancera malgré elle vers cet avenir délétère qui s'attache à elle comme une ombre à un corps. Doivent-elles cela à une histoire préalablement écrite dans un improbable grand livre ouvert quelque part à leur nom ? Qu'importe, ce parcours s'impose à elles sans qu'elles y puissent rien et on imagine facilement que si Aurore a une fille un jour, elle sera soumise au même drame intime, comme si cette histoire devait se répéter !
C'est qu'il existe des gens qui, de tout temps sont dédiés à la malchance, au malheur, que le hasard ne favorisera jamais malgré tous les mérites dont ils pourront faire preuve pour tenter d'inverser le cours des choses. Dans leur parcours se reproduit la triste histoire de l'humanité qui fait que leur vie n’aura jamais rien d'heureux, qu'ils répéteront malgré eux le modèle délétère qui a été le leur, qu'ils mettront leurs pas dans ceux de leurs aînés que la chance n'a pas servis. Ils verront même les autres, moins vertueux qu'eux, être servis par les événements et ainsi réussir dans leurs entreprises souvent destructrices et même mener une existence paisible et dénuée de remords. Pour eux, le paraître prendra toujours le pas sur l'être et l’hypocrisie sera la règle de leur vie, comme si la morale n'existait pas et encore moins la justice immanente dont on leur a forcément parlé qui gomme un jour ou l'autre les injustices. La fuite du temps, l'autosuggestion endorment les consciences, gomment les mauvaises actions et on finit par se convaincre qu'on a bien agi, qu'il ne pouvait pas en être autrement, qu'on a favorisé l'instinct de survie, son intérêt immédiat ou sa méchanceté légendaire et ce sans le moindre sentiment de culpabilité. Bref, tout cela n'a plus d’importance, appartient au passé qu'il ne faut surtout pas remuer ; il y a si longtemps, et puis, tant pis pour les victimes ! C'est que, l'espèce humaine dont nous faisons tous partie est définitivement infréquentable parce qu'elle porte en elle la destruction, le malheur, la mort. Dans ce livre, elle est incarnée par les délateurs qui offrent Céline au viol de ce soldat allemand, la rejettent avec son enfant puis dirigent sur elle la vindicte publique aveugle favorisée par les événements. Elle n'a rien fait pour mériter ce châtiment mais elle fait partie de ces femmes tondues sur qui chacun crache. On n'a pas manqué non plus, au nom de la morale chrétienne, même si cela arrange ces braves gens, de vilipender l'abandon de cet enfant du péché. On a fini par oublier Céline à son triste sort en se disant qu'après tout cela appartenait au passé.
C'est vrai que dans ce roman il y a beaucoup de manichéisme où les bons, moins nombreux il est vrai, côtoient les méchants... mais ne les rachètent jamais. Ce sont les sœurs de la Charité qui portent bien leur nom et transgressent la règle de leur ordre pour accueillir l'enfant à l'abri des murs de leur cloître. Pour cela elles vont jusqu'à mystifier le brave curé qui vient dire la messe au couvent. C'est lui qui servira de lien, de mémoire pour remonter le fil du temps et reconstituer le puzzle difficile de la recomposition familiale. L'odeur de l'encens sera à la fois pour Céline cette fragrance religieuse d'où renaîtra la mémoire et la marque de cette vertu chrétienne ainsi observée par ces gens d’Église qui, pour une fois, ont honoré l'habit qu'ils portent. C'est aussi ce policier qui a eu connaissance de l'abandon d'Aurore et qui fouille les archives pour aider Céline. C’est aussi Lucien, cet homme veuf, orphelin de son enfant mort-né, qui recueille Céline rebaptisée Lili et qui veut lui donner par amour une deuxième chance pour faire prévaloir la vie. Ensemble ils ont ce garçon et le lecteur pourrait être tenté de voir dans l'épilogue une sorte de « happy end ». Je ne suis pourtant pas certain que la mort d'un enfant corresponde réellement à cela.
©Hervé GAUTIER – Juin 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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