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la feuille volante

J'y mets ma langue à couper

N°1877– Mai 2024.

 

J’y mets ma langue à couper – Mathias Énard – Bayard (Petite conférence).

 

Qui mieux que Mathias Énard, universitaire, traducteur, érudit, polyglotte, prix Goncourt 2015, pour parler du langage, c’est à dire du moyen par lequel, depuis la nuit des temps les hommes communiquent entre eux. Reprenant une idée originale d’avant la deuxième guerre d’émissions radiophoniques destinées à la jeunesse, Gilberte TsaÏ, directrice artistique et metteuse en scène qui assura la direction du « Théâtre public de Montreuil », organisa de « petites conférences » destinées aux enfants, c’est à dire dans un esprit différent des traditionnels colloques. C’est dans ce cadre qu’est intervenu Mathias Énard en 2019 à Sierk-les-Bains, à bord d’une péniche.

Au prétexte d’une petite déformation humoristique d’une expression populaire (en mettre sa main à couper qui signifie une affirmation sans l’ombre d’un doute, péremptoire ) notre auteur choisit de disserter sur la langue qui est le ciment politique d’une nation, l’appartenance de ses membres à un groupe, à un pays, à une culture, à des valeurs et sur les problèmes que cela pose. C’est aussi un élément de compréhension entre des peuples différents qui commercent entre eux ou se combattent mais c’est aussi, pour un petit groupe, une façon de se protéger d’autrui pour ne pas en être compris. Mathias Énard, en bon pédagogue linguiste, refait l’histoire de la langue, probablement unique à l’époque de la Bible, évoque le mythe de la « Tour de Babel », de la volonté humaine d’unité et de la sanction divine qui brouilla les langues et dispersa les peuples qui ne se comprenaient plus. Il se penche notamment sur la naissance de sa langue maternelle, le français, ses origines, les apports extérieurs, ses évolutions, ses adaptations, la volonté politique, au cours des siècles, d’étouffer les langues régionales minoritaires, revient sur des idées reçues. La nécessaire survie d’une langue suppose son enseignement et sa pratique face à la volonté de créer une langue unique comme l’espéranto ou le volapük , pour ne rien dire des langues de fiction qui n’échappent évidemment pas aux enfants, parce que ne pas parler la langue d’autrui, nonobstant la traduction, est une malédiction.

Cette conférence a été close par une série de questions-réponses et, évidemment, les enfants se sont intéressés à la façon de s’exprimer chez les animaux. Mathias Énard n‘a rien esquivé, sans pour autant « donner sa langue un chat » (encore que) en s’interrogeant sur l’origine de la langue humaine et à quel moment l’homme en tant qu’animal commence à développer son langage. Cette réflexion sur la vie et la mort des langues est un peu technique mais passionnante. Suivre notre auteur quand il parle de son rapport à écriture est aussi plein d’enseignement et d’intérêt. L’article de Sylvie Lisiecki paru dans le n° 84 de janvier – mars 2019 de « Chronique » (BNF) est éclairant à ce titre.

 
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