Effroyables jardins
- Par hervegautier
- Le 28/07/2016
- Dans Michel QUINT
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La Feuille Volante n°1056– Juillet 2016
EFFROYABLES JARDINS – Michel Quint – Éditions Joëlle Losfeld.
On peut être instituteur, respecté par ses élèves et par ses collègues, être admiré de son épouse et aimer faire le clown, l'auguste, celui qui fait tant rire les enfants, ... et être détesté par son fils pour cette activité qui ressemble à une passion. Pourtant, André, c'était un clown triste, comme s'il expiait quelque chose d'inavouable qui appartenait à une face sombre de son personnage, une sorte de malédiction et cela ne tenait pas au fait qu'il était mauvais et qu'il le savait. Cependant, de l'aveu même de ce fils, le narrateur, cet homme était un marrant, quelqu'un qui aimait rire et de ce fait était l'image même d'un paradoxe. Le jeune garçon qu'il était alors devait bien faire sa crise adolescence puisqu'il ne goûtait guère, en plus des excentricités de son père, ni sa Dyna Panhard, ni les déjeuners de famille, ni ce film du dimanche qui parlait de la guerre, ni même son cousin Gaston et Nicole, sa dulcinée. C'est pourtant ce Gaston, un bon à rien selon sa mère, qui va servir de truchement et affranchir le garçon qui dès lors verra son père autrement et ce cousin aussi d'ailleurs. Cela remontait à la guerre, la deuxième, où son père et son cousin qui faisaient de la résistance, presque pour rire, en dilettantes et, sans précaution ni volonté de se cacher, ont fait sauter le transfo de la gare de Douai. Seulement quand ils ont été pris au hasard par les Allemands avec d'autres otages, tous promis à la mort, fini de rire ! Pourtant le rire (et pas seulement), c'est ce que leur geôlier, un soldat allemand, clown dans le civil et francophone de surcroît, peut leur offrir pour ne plus penser à la mort, au fond d'un trou où ils avaient toutes les chances de la rencontrer.
Il doit bien y avoir un dieu quelque part qui arrange les choses ou alors la chance, le hasard, allez savoir... André et Gaston s'en sont tirés après quand même pas mal de pérégrinations. De tout cela reste cette malédiction de l'auguste que le gamin devenu grand peut enfin assumer bien des années après la mort d'André. Cet homme a, pendant tout le reste de sa vie, sous son nez rouge et sous le fard, rendu hommage à ce clown-geôlier devenu plus tard producteur de cinéma, qui, dérisoirement, les a aidé à supporter leur détention et à faire prévaloir la vie. Le narrateur lui-même le fera sous les trait d'un clown et viendra, présence anachronique, au procès de Papon, cet homme qui, au mépris de la vie des autres a mené une carrière de Haut-Fonctionnaire, de « grand commis de l’État », député, préfet, ministre du budget sous le gouvernement Barre qui avait commencé sa carrière sous le régime de Vichy et la collaboration avec les nazis, l'avait poursuivie avec de hautes responsabilités et des honneurs comme la République sait parfois en délivrer, mais avait terminé sa vie par une condamnation en 1998 pour complicité de crime contre l'humanité, attachant définitivement son nom à la déportation des juifs. Le narrateur devenu adulte rendra donc hommage à son père de cette manière, se délivrant du même coup du poids de cette enfance, montrant ainsi que le procès de ce vieillard, devenu face à ses juges un misérable pitre, n'était qu'une mascarade, opposant un humour dérisoire aux massacres dont il fut le complice, à la mémoire qui se dissout si bien dans le temps, à l'oubli qui caractérise tant l'espèce humaine.
Le style de ce court roman est sans aucune recherche ni aucune fioriture littéraire, spontané...
Je me souviens avoir vu, il y a de cela bien des années, une adaptation cinématographique un peu différente de ce roman par Jean Becker en 2003 et que j'en avais été ému. Cela tenait aussi sûrement aux interprètes et notamment le très regretté Jacques Villeret.
J'ai abordé l’œuvre de Michel Quint avec « Apaise le temps » (La Feuille Volante n° 1053) qui m'a modérément plu. J'avoue que là je change volontiers d'avis à cause de ce roman et de ce film.
© Hervé GAUTIER – Juillet 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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