Cinq heures avec Mario – Miguel Delibes
- Par hervegautier
- Le 08/10/2010
- Dans Miguel Delibes
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N°462 - Octobre 2010
Cinq heures avec Mario – Miguel Delibes – Éditions de la découvertes.
Mario Diez Collado, petit intellectuel de province et fervent humaniste, opposant au franquisme, intègre et désintéressé, vient de succomber à un infarctus à l'age de 49 ans. Carmen, sa veuve, procède à sa toilette funéraire, le veille, fait face à la traditionnelle mais douloureuse cérémonie des condoléances. A cette occasion incontournable, elle entend tous les truismes qu'on exprime d'ordinaire en pareilles circonstances. C'est un salmigondis d'hypocrisies, de regrets sincères, entre voyeurisme, désir de consolation, volonté de paraître fort et envie de se laisser aller. Une véritable épreuve!
Quand tout ceci est terminé, Carmen s'installe aux côtés de Mario, en compagnie d'un exemplaire de sa Bible dont il a souligné certains passages et entreprend de régler ses comptes avec lui. Dès lors, tout ce qu'elle ne lui a pas dit de son vivant revient, entre refus d'acheter une voiture et écriture cachée de poèmes qui lui étaient destinés, son parcours un peu difficile d'écrivain incompris, son refus de s'installer confortablement dans une vie bourgeoise... Tout y passe et à travers les reproches que lui adresse, à la première personne, cette femme profondément catholique et à la mentalité de petit bourgeois, le lecteur découvre son véritable portait. C'est une dévote, engluée dans les valeurs de l'Espagne traditionnelle, puritaine et rigide, frustrée d'avoir été toute sa vie cantonnée aux tâches familiales et d'avoir dû vivre dans l'ombre de son mari. De même, à travers ses propos pleins de rancœurs et parfois de fantasmes, entre amour et mépris, apparaît la véritable figure de son époux, petit professeur idéaliste, dénué d'ambition mais épris de justice.
A travers les propos acerbes et parfois mesquins de la jeune veuve on devine le gouffre qui séparaient les deux époux qui ne se ressemblaient pas. On sent que ses aveux couvaient depuis si longtemps qu'ils ne pouvaient pas ne pas être exprimés avant qu'on ne l'ensevelisse et ce d'autant qu'ils sont exprimés avec la Bible pour témoin. Il fallait qu'il soit présent physiquement pour qu'elle lui exprime une dernière fois tout ce qu'elle avait sur le cœur, tout ce que sa vie avait creusé en elle de désillusions et de remords dont il était, bien entendu, responsable. Au cours de cette nuit qui pour Mario annonce celle de l'ensevelissement, elle sent venir vers elle la solitude et le désespoir du veuvage qu'un traditionalisme exacerbé empêchera une nouvelle union avec un autre homme. Elle chérit peut-être encore cet époux mort, mais pendant les quelques heures de cette nuit qui précédera les obsèques elle refait à l'envers le parcours de ce couple dont la vie était vouée à l'échec mais un échec accepté, avec, malgré les apparences sa solitude, ses incompréhensions, les refuges de chacun pour échapper au quotidien. Peut-on dire que ce long monologue devant un mort est apaisant? Peut-être?
Alors, portait d'une société espagnole engluée dans le franquisme, peut-être, celui d'une facette de la condition humaine sans doute aussi, et assurément la remise en cause de cette idée reçue que le mariage réunit deux êtres faits l'un pour l'autre. Ce livre écrit en 1966 est plein du traumatisme de la Guerre Civile qui déchira le pays et de la dictature qui suivit autant que que le désamour qui présida à la vie de ces deux êtres que tout opposait et pour lequel le divorce et l'adultère étaient impossible. C'est une sorte de roman d'amour à l'envers à travers ce monologue caricatural, une tentative de dépasser par l'écriture les dérives d'une société figée dans le conservatisme et l'immobilisme.
© Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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