Désorientale
- Par hervegautier
- Le 03/01/2017
- Dans Négar DJAVADI
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La Feuille Volante n° 1101
DESORIENTALE – Négar DJAVADI - Éditions Liana Levy.
La narratrice Kimiâ Sadr, née à Téhéran mais qui vit en France depuis l'âge de dix ans, va nous faire voyager à travers le parcours de sa parentèle, sur trois générations, mais aussi dans l'histoire de la France et de l'Iran. L'occasion de ce récit va lui être donnée par un rendez-vous à l’hôpital Cochin dans l'attente d'une insémination artificielle. Ce roman est une sorte de devoir de mémoire, l'évocation du livre de sa mère, Sara, racontant la fuite éperdue de la famille de Téhéran à Paris, mais aussi un hommage à la figure de son époux, Darius, journaliste iranien assassiné, personnage controversé, opposant politique, autant au régime du Shah qu'à celui de l'ayatollah Khomeiny. La narratrice nous raconte aussi son histoire personnelle, celle, d'une fille dont le père espérait un fils aux yeux bleus, qui vire garçon manqué, finit lesbienne… et mère ! Être homosexuel en Iran est inconcevable dans ce pays où les codes sociaux sont à ce point définitifs et où les femmes sont vouées au mariage et à la maternité. Pour Kimiâ, l'exil intérieur précédera donc la vie en France où l'attendent abandon d'identité, efforts d'adaptation dans un pays d'accueil culturellement différent et mais aussi la marginalisation et la solitude. C'est aussi une exploration, parfois hasardeuse de réalités familiales empruntes depuis longtemps de silence, d'hypocrisie et finalement de trahison et de meurtre.
Le titre de ce roman est pertinent en ce qui concerne la narratrice, véritablement déracinée de ses origines orientales mais qui, je dois le dire sans mauvais jeu de mots, m'a aussi désorienté. Je ne suis peut-être pas assez coutumier des récits écrits à la façon orientale, je ne suis peut-être pas suffisamment versé dans l'histoire commune de la France et de l'Iran mais j'ai été un perdu devant la profusion de personnages dont les vies s'entrecroisent et s’entrechoquent, dans les analepses et les apartés que la narratrice emploie pour nous faire partager cette saga familiale. Elle m'a certes fait voyager et connaître un peu mieux l'histoire et les coutumes de l'Iran, notamment la condition des femmes, partager des moments de la vie de son arrière-grand-père, le flamboyant Mirza-Ali à la nombreuse descendance tant légitime que naturelle, homme dont les yeux turquoise signent sa paternité, celle de Darius Sadr, le père de Kimiâ qui était un jour parti pour la France et dont la vie est une fuite perpétuelle. Je n'ai peut-être pas assez partagé son exil a elle, vécu à la fois comme un renoncement forcé à quelque chose d'éminemment personnel et en même temps à l'abandon de son enfance, mais pourtant ressenti par elle comme une sorte de seconde naissance. C'est un témoignage qui cependant ne m'a pas laissé indifférent parce qu'il a cette dimension universelle de mise en évidence de la solitude, des failles et des fragilités de chacun d'entre nous, mais qui s'accompagne pour Kimiâ, et peut-être pour Négar, d'une rencontre avec une liberté inconnue d'elle en Iran, celle de vivre au quotidien, d'assumer son homosexualité mâtinée pour elle d'une maternité assez inattendue, de s'étourdir de musique et de marginalité, d'écrire et ainsi de faire obstacle à l'oubli dans une démarche personnelle de retour vers le passé et d'exorcisme face à la trahison familiale.
Le texte de ce premier roman est agréable à lire, c'est un témoignage plein d'émotions et d'authenticité, un acte de mémoire autant qu'une catharsis.
© Hervé GAUTIER – Janvier 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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