la feuille volante

Les larmes

N°1879 – Mai 2024.

 

Les larmes – Pascal Quignard – Grasset.

La lecture d’un ouvrage de Mathias Énard sur le langage (« J’y mets ma langue à couper » chez Bayard) a attiré mon attention et mon intérêt pour ce roman de Pascal Quignard.

Notre langue française, celle qui nous sert à nous exprimer chaque jour, a une date de naissance officielle. Elle est liée à un évènement historique. En 842, par une matinée d’hiver, entre l’Ill et le Rhin, Charles de Chauve et Louis le Germanique, c’est à dire les fils de Louis le Pieu et donc les petits-fils de Charlemagne, signent une alliance contre leur frère Lothaire 1°qui revendiquait des territoires. Pour être bien compris des troupes de Charles, Louis prête serment en langue romane et Charles fait de même en langue germanique. Ce sont « les serments de Strasbourg » et donc la naissance de la langue française. L’empire franc fut donc partagé en trois, ce qui fut l’esquisse de l’Europe, déjà menacée par les Arabes venus du sud et les Normands du nord. Berthe, une des filles de Charlemagne donna naissance à des jumeaux au caractère bien différent, Hartnid, soldat et homme politique, voyageur, séducteur, et Nithard, chroniqueur, historien et abbé de Saint-Riquier, transcripteur des serments de Strasbourg en trois langues y compris le latin, ce qui fait de ce document une véritable pierre de Rosette de l’Europe. Pascal Quignard fait revivre ces deux personnages historiques passés au second plan de l’Histoire. Il le fait non seulement avec des précisions historiques et une grande érudition mais aussi poétiquement, ce qui est un hommage à notre langue et procure un réel plaisir au lecteur. Il procède d’une manière originale pour énoncer cette histoire. Par petits chapitres, il déroule un conte, un poème, une légende ou un fait historique et nous entraîne, grâce à son écriture à la fois fluide, musicale, émouvante et parfois sensuelle, dans ce contexte historique où les animaux se mêlent aux hommes, le quotidien au merveilleux, le profane au religieux, les terres à la mer. Le titre qui peut paraître étrange à première vue est un symbole, décliné plusieurs fois par les personnages et habillés différemment mais évoquant toujours l’eau, la douleur. et la mort. Et puis « Écrire… c’est noter le mal » nous dit Pascal Quignard.

Dans son ouvrage Mathias Énard, talentueux sculpteur de notre belle langue française, a qualifié ce roman de « magnifique ». J’ai eu raison de lui faire confiance.

 
  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire