la feuille volante

Les ombres errantes

N°1881 – Mai 2024.

 

Les ombres errantes – Pascal Quignard – Grasset.

Prix Goncourt 2002.

Selon le testament d’Edmond de Goncourt, le prix ainsi crée par testament en 1892 récompense des auteurs d’expression française. Il est décerné « au meilleur ouvrage d’imagination en prose paru dans l’année ». D’ordinaire il s’agit d’un roman, c’est à dire d’une histoire, authentique ou imaginée, racontée par un auteur avec un début un développement et une fin. Le livre refermé, on ne peut guère dire qu’il s’agit d’un roman puisque cet ouvrage est en fait une somme d’interrogations, d’affirmations, d’aphorismes, certes érudits comme c’est la coutume chez Pascal Quignard et nul ne s’en plaindra, où la fiction voisine avec l’essai, le poème libre et le conte philosophique. J’ai eu le sentiment, en lisant cette série de textes répartis en cinquante cinq chapitres plus ou moins longs, de lire des fiches techniques ou des remarques personnelles, des esquisses littéraires qui souvent ont trait à l’écriture, à la lecture, et destinées peut-être à la rédaction de futurs livres. Après tout peu importe et dans ce domaine aussi les choses sont faites pour évoluer. Il s’agit d’un ouvrage inclassable, une réflexion sur la mort, le sexe, le plaisir, le langage, le passé propre à chacun, la politique, la morale, l’histoire et son cortège de personnages autant que le temps qui passe pour chacun d’entre nous et qui tisse sa trame de souvenirs, c’est à dire des choses bien humaines au demeurant.

Que sont donc ces « ombres errantes » qui évoquent le clavecin de François Couperin ? Sont-ce les âmes de ses ancêtres, celles des Enfers, que voit le dernier roi des Romains avant d’expirer sous les coups de Clovis ? Sont-ce ces textes qui composent cet ouvrage, qui suscitent la réflexion, la critique ou souligne la scansion d’une phrase ou la musique des mots, entre récits et pensées vagabondes, insoumises à la fois à l’ordre et à la logique d’un raisonnement et à la force du désir ? Sont-ce des souvenirs diffus qui peuplent la mémoire, qu’il s’agisse de corps de femmes désirées et objets de fantasmes ou des réflexions sur le vécu ses propres remords, ses mensonges, ses souffrances ? Sont-ce ces pensées, dignes parfois d’une écriture automatique, qui fusent sous la plume et imposent leurs mots à la page blanche comme autant de jalons ? Sont-ce des silhouettes de vivants juste entraperçues et fuyant la lumière, avec leur vécu, leurs secrets intimes leurs potentielles jouissances et leur solitude ou des images furtives qui ne sont qu’illusions  et qu’énigmes ?Sont-ce les leçons tragiques de l’histoire qu’on oublie trop souvent ?

Ouvrage étonnant dans sa forme autant que dans son esprit, déroutant parfois, loin du roman traditionnel couronné d’ordinaire par cette académie. A moins, bien sûr, que je sois passé à côté de quelque chose ! J’ai en tout cas apprécié, comme toujours, le style, la fluidité et la précision de la phrase et la pertinence des remarques.

 
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