TOUS LES MATINS DU MONDE
- Par hervegautier
- Le 22/10/2014
- Dans Pascal QUIGNARD
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N°818 – Octobre 2014.
TOUS LES MATINS DU MONDE – Pascal Quignard. Gallimard.
C'est une histoire bien simple que celle de M. de Sainte Colombe, aristocrate musicien, spécialiste de la viole de gambe à laquelle il a ajouté une septième corde, qui ne se remet pas de la mort de sa femme chérie à qui il continue de parler dans un curieux dialogue d'outre-tombe. Il trouve une manière de consolation dans la musique et vit avec ses deux filles à qui il enseigne son art et refuse avec obstination les honneurs de la cour de Louis XIV. Marin Marais qui fut son élève séduit ses filles mais fonde ailleurs une famille tout en vivant de son art près du roi.
Il y eut le film d'Alain Corneau avec Jean-Pierre Marielle, sublime dans le rôle principal. Dans ce roman j'ai vu la figure d'un homme qui, ayant perdu sa femme a tout perdu et se retire du monde au point peut-être d'en devenir fou. Il ne trouvera sa véritable consolation que dans sa propre mort. La camarde est très présente dans ce court texte puisqu'elle prend aussi Madeleine que Marin a séduite et abandonnée. La barque de Sainte Colombe dont il est largement question dans ce roman reprend cette symbolique du passage de la vie à la mort avec l'image de Charron. Après la disparition de son épouse le musicien se retire du monde et même de sa propre maison puisqu'il joue dans une cabane en planches, et ce geste évoque une sorte d'acompte payé à la mort. S'il consent à sortir de chez lui, c'est, accompagné de son instrument, pour participer aux obsèques d'un ami. La vie semble avoir quitté cette maison après l'affaiblissement et la mort de Madeleine, le mariage de Toinette et ce même si la musique y retentit encore et que l'instrument en forme de corps de femme peut évoquer la vie. Pourtant la vision d'une gaufrette a demi mangée et d'un verre à moitié vide après une apparition de Mme de Sainte Colombe évoque une forme particulière de vie.
C'est le portrait croisé de deux hommes dont l'un d'eux choisit une vie recluse alors que son art aurait pu lui ouvrir toutes les portes et l'autre qui ne recule devant rien pour réussir à vivre de son art et côtoyer les grands de ce monde. Ils sont l’exact contraire l'un de l'autre, l'un est solitaire, l'autre est mondain. Pourtant Marais a une réelle fascination pour son maître qu'il vient écouter en cachette même si ce dernier l'a chassé de chez lui.
Il y a beaucoup de symboles dans ce roman, la musique d'abord qui, à cette époque était fort prisée et représentait une forme de réussite sociale si un artiste parvenait à plaire au roi. Refusant l'offre de venir jouer à la Cour, Sainte Colombe manifeste ainsi une philosophie inspirée par le jansénisme, très prisé à cette époque mais qui fut interdit. Il y a de la musique dans ce texte, avec des temps forts, des silences, des reprises, ses intonations. Ce n'est sans doute pas un hasard si l'instrument choisi est la viole qui imite à la perfection la voix humaine dans ses multiples registres. La vie choisie par Sainte Colombe est austère, retirée du monde, teintée de fatalisme et de mélancolie et sa seule consolation est le plaisir de jouer. J'y ai vu aussi une dimension religieuse dans la réconciliation finale des deux hommes.Le chant accompagne l'instrument et tient lieu de parole pour les enfants avant la mue de leur voix.
Cette œuvre est présentée comme un roman, il a pourtant toutes les qualité d'une nouvelle (concision, narration, réflexion, rareté des personnages, scènes et tableaux courts sans pratiquement d'action ni de dialogues, écriture fragmentaire). Cela dit, et compte tenu de l'ambiance générale du livre, j'ai toujours une hésitation sur le sens du titre. Symbolise-t-il l'espoir ? Pourtant tout de texte me paraît baigné d'une grande mélancolie. L'écriture est épurée, classique, musicale avec beaucoup de silences. C'est une livre somptueux mais tragique!
©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com
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