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la feuille volante

encre sympathique

N°1612- Décembre 2021

 

Encre sympathique – Patrick Modiano – Gallimard.

 

Jean Eyben, trentenaire, se remémore avoir été l’employé temporaire dans une agence de police privée, chargé de retrouver une disparue, Noëlle Lefebvre, pour qui les renseignements étaient bien minces seulement qu’elle était vendeuse de sacs dans le quartier de l’Opéra et qu’un bureau de « Poste restante » recevait son courrier. Ce travail ne lui plaisait pas du tout mais il l’a effectué dans l’espoir, un jour, de le traduire dans un roman. Au cours de ses recherches, il a croisé des gens qui l’ont connue, certains d’une grande banalité, d’autres peu recommandables, mais son enquête a tourné court et dix ans après, alors qu’il ne travaille plus dans cette agence, il se met à nouveau à la recherche de cette Noëlle Lefebvre, sollicite sa mémoire mais ses souvenirs se heurtent au vide, à des fantômes et apparemment ceux qui l’ont croisée cherchent à l’oublier. Le découragement finit par affecter sa quête tant le hasard ne l’aide guère et le passé commence à se mêler au présent, compliquant considérablement ses recherches.

Comme souvent chez Modiano, il y a des déambulations dans les rues de Paris où habitait Noëlle puis plus tard de Rome. La marche à pied, dans une ville, est souvent associée chez lui à l’écriture. Jean se sent perdu dans un labyrinthe changeant et imagine que l’agenda qui a appartenu à cette femme et qu’il a dérobé, qui se révèle pauvre en informations, recèle des annotations écrites à l’encre sympathique, cette encre transparente qui ne se révèle qu’en présence de certaines substances. Autant dire que les trous de mémoire qui sont incontournables dans une telle recherche ont probablement leur explication écrite quelque part avec cette substance. Dans le texte, le passage du « Je » au « il » peut ainsi matérialiser cette évolution. Le terme « sympathique » peut parfaitement être entendu dans son sens le plus commun, ces investigations faisant naître une certaine impression d’attachement à la personne de Noëlle.

Les détails ainsi glanés au fil du temps, qui souvent débouchent sur le néant, s’emboîtent soudain comme les pièces d’un puzzle mais lui en révéleront autant sur lui-même que sur cette femme.

 

On peut se demander pourquoi Jean, dix ans après, cherche à mener à bien cette recherche d’une femme qu’il n’a vue que sur une mauvaise photo et qui ne lui est rien. La solitude qui est la sienne peut sans doute expliquer cette longue quête qui ainsi donne un sens à sa vie. Il y a du fantasme dans cette recherche, cette espérance un peu folle de découvrir, derrière les annotations visibles de ce carnet, d’autres, secrètes, qui ne seraient seulement lisibles que par un initié. Il y a sans doute une volonté de suspendre le temps dans sa démarche, d’annihiler les années passées qui, personnellement, me donnent le vertige quand je me les remémore. Elle peut certes, surtout pour Eyben-Modiano, trouver son explication dans la volonté d’en tirer un roman, parce que, dans toute chose, il y a pour l’écrivain matière à l’écriture et que pour lui, même s’il ne l’avoue pas, la page blanche reste une invitation mais aussi un défi, une obsession même, avec tout son pesant de nostalgie. Il est vrai que c’est souvent la trame de ses créations qui parfois, par le biais de l’imagination, peuvent se prolonger au-delà de la dernière phrase d’un roman et ainsi déboucher sur le début d’une autre histoire. Il suffit pour cela de se laisser porter par le halo ainsi tissé par l’auteur. La dernière phrase du roman « Elle lui expliquerait tout »peut contenir en elle tout ce qu’il faut pour un nouveau voyage.

 
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