LA PLACE DE L'ETOILE
- Par hervegautier
- Le 23/12/2014
- Dans Patrick MODIANO
- 1 commentaire
N°845 – Décembre 2014.
LA PLACE DE L'ETOILE - Patrick Modiano – Gallimard.
Le livre s'ouvre sur une histoire juive mise en exergue, un officier allemand demande à un jeune homme où se trouve la Place de l’Étoile et ce dernier pointe son doigt sur le côté gauche de son veston. Je me suis dit que nous allions avoir droit au thème de la Shoah puisque l'écriture de Modiano se nourrit de sa mémoire et donc des évocations de de ses origines familiales. Je m'attendais à un réquisitoire en faveur des juifs, à une révolte contre l'extermination nazie ou les pogroms qui ont émaillé l'histoire de ce peuple. C'est en fait tout le contraire puisque le roman présente une auto-caricature, celle de Raphaël Schlemovitch qui est aussi le narrateur. Il se charge de reprendre à son compte, en noircissant le trait, les poncifs ordinaires sur le sujet en n’oubliant pas de citer des écrivains anti-sémites et de répondre à leurs pamphlets. C'est un paradoxe mais il se définit lui-même par ces mots «Raphaël Schlemovitch, un juif anti-sémite » mais aussi un proxénète pourvoyeur de bordels brésiliens, un agent de la Gestapo, un juif officiel du III° Reich, l'amant d'Eva Braun...
Le livre refermé j'ai certes retrouvé ce qui fait la spécificité de l’œuvre de Modiano, sa jeunesse déchirée par une vie parentale en pointillés, la présence en filigranes de son père, de ses origines sémites. Avec lui il a entretenu des rapports énigmatiques et compliqués. J'ai lu ce roman comme une relation décousue, hallucinatoire. L'auteur y expose d'une manière délirante des vies qui pourraient être les siennes, s'invente des identités contradictoires, alternativement martyr, hâbleur, riche, intellectuel, dandy, collabo... mais toujours dans un amphigouri verbal, une sorte de fresque un peu surréaliste composée par petites touches comme l'aurait fait un peintre sous l'empire de quelque drogue ou d'une over-dose de douleur ou de désespérance. Pour faire bonne mesure, il convoque une galerie de portraits plus ou moins réels, à la fois fantomatiques et inquiétants, fait montre d'une grande érudition littéraire, ce qui peut-être un peu agaçant et emploie un délire verbal, un langage parfois inquiétant, qui certes ne me dérange pas mais que je n'ai pas retrouvé dans les nombreux romans qui suivront. On peut lire dans cette fiction la marque d'un esprit torturé dont l'aventure se termine dans une clinique du Docteur Freud mais aussi, pourquoi pas, comme les tribulations imaginaires d'un mythomane. Je n'ai peut-être rien compris mais tout cela m'a paru extrêmement superficiel, inutilement provocateur, assez peu digne d'intérêt, bien écrit, certes mais j'ai poursuivi ma lecture davantage par curiosité pour connaître l'épilogue et parce que c'est Modiano, que par réel plaisir pour la lecture.
Après une trentaine de romans, une pièce de théâtre, des scénarios, des essais et des chansons, celui qui deviendra Prix Nobel de Littérature en 2014 commence ici sa quête autobiographique au travers de la mémoire. Ce roman, paru en 1968, est le premier de Patrick Modiano, honoré par le Prix Féneon et le Prix Roger-Nimier qui récompensent un jeune auteur(il a en effet une vingtaine d'années à la publication de cet ouvrage). Il faut sans doute se remettre dans le contexte de l'époque mais il est possible que ces distinctions aient voulu célébrer un langage et un discourt nouveaux, pleins de contestation comme cette époque en était friande. C'est peut-être une vue de mon esprit mais j'y ai perçu, par moments, des accents d'une douloureuse rébellion célinienne.
Depuis longtemps cette chronique célèbre l'écriture et la quête de Modiano qui fait partie de mes auteurs préférés. Pour autant, je n'ai rien d'un thuriféraire et j'ai trouvé ce roman déconcertant. Certes, c'est le premier d'une longue série mais je n'ai pas ressenti ici le plaisir coutumier que j'ai toujours éprouvé à la lecture de cet auteur. Ce livre est déroutant et ce n'est pas son récent Prix Nobel de littérature qui me fera dire le contraire.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com
Commentaires
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- 1. MENIA Elisabeth Le 15/01/2020
Rien à rajouter à cette analyse. Le livre n'est pas dérangeant, il est dérangé.
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