La ronde de nuit
- Par hervegautier
- Le 28/12/2017
- Dans Patrick MODIANO
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La Feuille Volante n° 1198
LA RONDE DE NUIT – Patrick Modiano – Folio. (1969)
Le titre de ce roman évoque un célèbre tableau de Rembrandt mais ici Modiano s'approprie une des périodes les plus sombres de notre histoire, celle de la deuxième guerre mondiale et de la collaboration comme il le fera plus tard comme co-scenariste du film « Lacombe Lucien » (1974).
Le personnage central qui se cherche une paternité, est chargé par la gestapo d’infiltrer un réseau de Résistance et, ironie du sort, ses membres lui demandent d'espionner les Allemands, ce qui fait de lui un agent double. Il se dit que cette duplicité ne le gêne pas et correspond même à son caractère. Il hérite de deux noms de guerre, un de chaque côté et il devient donc un autre homme qui ne va pas manquer de s’épanouir dans cette période troublée et surtout d'en profiter. Il n'a pas beaucoup d'état d'âme et trahit pour l'argent qui va lui permettre de s'offrir des choses inutiles dont il a cependant envie. Il veut essayer de nous faire croire qu'il agit ainsi pour pourvoir aux besoins de sa vieille mère, mais le lecteur n'est pas dupe car cet homme est avant tout sensible à l'argent et à l’illusoire puissance qu'il confère à ceux qui en ont. Il est aussi réceptif à l'orgueil qui insuffle de l'importance aux quidams et leur donne l'impression d'être quelqu’un. Il pourrait endosser cet habit de traître par idéal, mais il n'en n'est rien. Il choisit de livrer ses compatriotes parce qu'il fait partie de ces gens à qui ces temps troublés permettent de se venger de quelque chose ou de quelqu'un sans être inquiétés. Cela peut aussi leur donner l'illusion d'avoir une importance qu'ils n'ont pas en réalité parce qu'il est plus facile d'être un salaud qu'un héro. Ceux qu'il va dénoncer sont des Français qui se battent pour la libération de leur pays mais il n'en n'a cure même s'il ressent une sorte de vertige que le style de Modiano rend parfaitement. Il comprend bien qu'ils sera tué s'il est pris par la Résistance, mais il le sera aussi par la Gestapo parce que, capable de renier son propre pays, il reniera aussi aussi ceux qui se seront servis de lui quand l'heure sera venu de sauver sa peau. Il n'a donc la considération de personne et sans doute pas de lui-même employé qu'il est uniquement pour le sale travail, entre délateur, indic, pilleur et peut-être assassin, ce qui, chez lui implique non seulement une grande solitude, une peur du lendemain mais aussi un mal-être qui s'installent de plus en plus. Il en vient à détester ces apparences trompeuses, l'instabilité qui s'installe ce qui lui fait entrevoir l'inévitable issue de cette situation de traître dans laquelle il s'est lui-même mis.
On a coutume de dire que Modiano explore dans chacun de ses romans sa propre identité en même temps que ses origines familiales. Ici ce n'est peut-être pas le cas puisqu'il n'a pas connu la période qu'il évoque, mais à première vue seulement. En effet, il me semble que l'ombre du père plane sur cette fiction. Cet homme, que l'auteur n'a finalement que croisé durant sa vie, reste pour lui une énigme et son écriture tend à lever le voile sur ce mystère. Cet homme a en effet eu un rôle trouble pendant l'occupation et quoique juif, n'a jamais porté l'étoile jaune comme il en avait l'obligation, mais au contraire a accumulé, pendant cette période, une fortune dont les origines sont pour le moins troubles. Modiano met en scène dans ce roman des personnages en leur donnant un nom d'emprunt mais, il est possible de reconnaître sous les trait de Philibert, l'inquiétant inspecteur Bonny et sous ceux du Khédive, la non moins effrayante figure d'Henri Lafont, chef de la gestapo française qui finiront tous les deux fusillés à la Libération en décembre 1944. Quant au 3 bis square Cimarosa il ressemble vraiment beaucoup au 93 rue Lauriston, siège de la gestapo.
Comme toujours, j'ai apprécié autant le style de Modiano que l'ambiance de ce roman. Il y règne, comme toujours une atmosphère un peu inquiétante, glauque même, celle du mystère et d'une sorte de quête de quelque chose ou de quelqu'un.
© Hervé GAUTIER – Décembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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