Rue des boutiques obscures
- Par hervegautier
- Le 27/02/2018
- Dans Patrick MODIANO
- 0 commentaire
La Feuille Volante n° 1221
Rue des boutiques obscures. Patrick Modiano – Gallimard - Prix Goncourt 1978
Pour prendre sa retraite, le baron Constantin Von Hutte ferme son agence de police privée dans laquelle Guy a été employé pendant plus de huit années. Les deux hommes se retrouvent ensemble pour la dernière fois en cet hiver parisien. Guy, beaucoup plus jeune, mais frappé d'amnésie à la suite d'un accident mystérieux quinze ans auparavant, a décidé de rechercher son passé. Pour l'aider dans sa démarche Hutte l'a baptisé Guy Roland et lui a fourni un passeport. Il va donc allé seul à la rencontre de sa propre vie qu'il retrouvera par parcelles à l'occasion de rencontres, d'objets hétéroclites, de photos jaunies, de notations dans le Bottin mondain, d'effluves de parfums féminins, de numéros de téléphone surannés des années 60, de bars enfumés des quartiers parisiens… Il retrouve des noms, des bribes de chansons oubliées, des silhouettes furtives, des fantômes d'hommes dont l'un d'eux pourrait bien être son père. C'est une sorte de jeu de piste où il croise des fantômes, des femmes énigmatiques, des visages, des silhouettes oubliées, des témoignages auxquels il va s'accrocher pour redessiner sa propre histoire, sa propre parentèle qu'il a l'impression un temps de connaître, mais elle se dissipe très vite le moment suivant. Dans cette quête aventureuse, il change plusieurs fois de nom, de famille, de passé, apprend qu'il a tenu plusieurs fonctions, qu'il a vécu avec plusieurs femmes, qu'il a fui Paris, mais à chaque fois il s'approprie toutes ces bribes ainsi glanées au rythme du hasard, risque une parole timide, fuyante parfois qui, comme par miracle, relance les choses mais la réponse donnée pose parfois plus de questions laissées en suspens. Quand il est interpellé par quelqu'un, dans une rue ou dans un café et que ce dernier semble le reconnaître, il endosse avec curiosité l'identité qu'on lui prête pour mieux en apprendre sur son propre compte et ainsi soulever le voile épais de son amnésie. Il se déplace dans un sorte de décor cotonneux où il croise des personnage un peu interlopes qui vivent de petits trafics, avec des fiches de renseignement qui ressemblent fort à des compte-rendus de police. Chacun de ses interlocuteurs d'occasion repart ensuite vers ses propres préoccupations non sans avoir apporter sa petite pièce au grand puzzle qu'est la vie du narrateur dont l'unique obsession tient dans ces quelques mots « Mon vrai nom ? J'aimerais bien le savoir ».
Progressivement, les gens se dévoilent comme un tirage argentique en noir et blanc dans un bain révélateur, ses différentes vies se recoupent avec des personnages qu'il croise dans ce décor parisien qu'il affectionne. J'observe que cette quête est menée principalement à travers des personnages féminins avec qui il aurait vécu, déjà croisés et qui nourrissent un temps ses réminiscences. Petit à petit les pistes s'effacent, les personnages disparaissent, le laissant seul face à ses interrogations. A la fin il ne lui reste plus qu'un nom et qu'une adresse à Rome, 2 rue des boutiques obscures !
C'est étonnant mais à chaque fois que je lis un roman de Modiano, j'ai cette étrange impression, moi qui ne suis pas parisien, de vivre quelque chose de personnel, de ressentir une sorte de malaise, de vertige dont on est saisi quand on prend soudain conscience de toutes ces années passées. Je ressens moi aussi une sorte d'amnésie où tout les souvenirs se mélangent et s'évanouissent, une sorte d' impression de solitude, de certitude de n'avoir rien fait de marquant pendant mon parcours, d'être un peu inutile, l'antichambre de la mort sans doute ? Je perçois cette trahison si commune à l'espèce humaine et plus fréquente qu'on le pense qui rend les parents absents de l'éducation de leur progéniture, lui donnant la déplorable impression de n'être les enfants de personne et d'être livrés à eux-mêmes.
J'ai retrouvé ici avec plaisir tout l'univers particulier de cet auteur autant que son écriture fluide et ce sentiment que, le livre refermé il flotte autour de lui une sorte de halo mystérieux, des interrogations, des questions posées restées sans réponse qui feront peut-être l'objet d'un autre roman, ou peut-être pas !
© Hervé GAUTIER – Février 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com
Ajouter un commentaire