Voyage de noces
- Par hervegautier
- Le 12/03/2018
- Dans Patrick MODIANO
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La Feuille Volante n° 1226
Voyage de noces – Patrick Modiano – Gallimard.
Jean D., un homme de quarante ans, le narrateur, doit rejoindre au mois d'août une expédition d'explorateurs au Brésil. II laisse dans la capitale sa femme, Annette, et quelques amis dont son amant et prend donc l'avion à Paris, mais, au dernier moment, décide de se rendre en train à Milan. Puis il revient à Paris incognito comme quelqu'un qui veut se retirer du monde et faire croire à sa mort. Il erre dans Paris, d'hôtel en hôtel, au zoo de Vincennes, et ailleurs, en abandonnant tout ce qu'il aime et ce à quoi il croit. Ce voyage à Milan peut paraître étrange mais, à cette période il a appris qu'une française a mis fin à ses jours dans un hôtel milanais et sa disparition est à mettre en perspective avec ce suicide puisqu'il veut repartir sur ses traces. Il se souvient en effet que, dix-huit ans plus tôt, il a rencontré cette jeune femme, Ingrid Teyrsen et son mari Rigaud, qui fuyaient la guerre sur la côté d'azur. Il avait même entrepris de rédiger la biographie d'Ingrid et ce suicide ravive ses souvenirs. Il se souvient du poids trop lourd qu'elle semblait porter, qu'elle combattait un peu comme elle pouvait par l'errance, la fuite puis la mort. Sa pérégrination, c'est un peu comme celui qui arpente la vie, comme dans un labyrinthe, et en cherche désespéramment la sortie.
C'est donc une intrigue assez compliquée où les références autobiographiques de l'auteur réapparaissent alternativement dans chacun des personnages avec de constantes analepses qui emmènent le lecteur notamment pendant l'Occupation. L’auteur est en effet obsédé par la disparition d'une jeune juive, Dora Bruder, à qui, bien sûr il s'identifie ce qui fera d'ailleurs de sa part l'objet de la rédaction d'un roman éponyme qui paraîtra quelques années après celui-ci. Il y a en effet plus qu'une connotation entre l'avis de recherche publié sous forme d'entrefilet à propos de la disparition d'Ingrid et celui de Paris-Soir en 1941 concernant Dora Bruder. Pour autant, ce roman est une fiction, alors que la véritable Dora a effectivement existé, mais ces deux jeunes femmes sont l'archétype de tous ceux qui traversent leur vie sans laisser aucune trace derrière eux. Il y a des paradoxes qui perdurent tout au long de ce roman et cela commence dans le titre même. Ce n'est pas une enquête à proprement parlé mais plutôt une sorte d’introspection à rebrousse-vie dont le seul but est sans doute de poser des jalons dans la mémoire, de faire échec à la fuite du temps, à la disparition des êtres qui avaient de l'importance pour nous, parce que tout cela est simplement dans l'ordre des choses.
Il y a toujours cette ambiance de mystère propre aux romans de Modiano, notamment à propos de la personnalité d'Ingrid, ainsi que cette subtile et sobre musique des mots. Comme dans chacun de ses romans, il mène une recherche personnelle sur sa propre identité et je retiens pour cela les fréquentes hésitations et les errements dont il fait preuve. Je ressens moi aussi, à travers, ces fréquents retours dans le passé, une sorte de vertige qui naît à la fois de la jeunesse définitivement enfuie, de la prise de conscience du temps révolu avec ses regrets et ses remords. On repense ainsi aux décisions qu'on n'a pas su prendre et qui auraient pu peser sur notre avenir, à celles qu'on a prises en croyant œuvrer de bonne foi en notre faveur mais qui nous ont échappé à cause de la fatalité ou du manque de courage, à tout ce que nous avons fait, mais qui a encore aujourd’hui l'amer goût de l'échec, à la difficulté d'être avec le hasard et le poids des autres, la réalité de sa propre condition entre destin, liberté, volonté d'atteindre le but fixé et la facilité de laisser faire les choses, de se laisser vivre, en se disant que nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie, et que notre passage ici n'est qu'éphémère.
© Hervé GAUTIER – Mars 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com
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