L'allègement des vernis
- Par hervegautier
- Le 20/12/2023
- Dans Paul Saint Bris
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N°1807 – Décembre 2023.
L’allègement des vernis – Paul Saint Bris – Éditions Philippe Rey.
Il est des romans qu’on lit par habitude, par attachement à un auteur, par obligation et parfois par plaisir. Celui-ci dont l’auteur m’était inconnu puisqu’il s’agit de son premier roman, m’est arrivé par hasard entre les mains et j’ai vraiment eu plaisir à en déguster le style à la fois jubilatoire et délicatement ouvragé, baigné de belles et étonnantes descriptions, d’évocations techniques, d’un humour de bon aloi qui entraînent le lecteur après lui dans un univers inattendu. C’est un peu comme si l’énigmatique sourire de Monna Lisa soulignait la fluidité de la phrase et l‘ harmonie des mots, que l’auteur agrémente parfois d’expressions italiennes si musicales.
Le titre assez sibyllin évoque une restauration qui entend s’attacher au gommage partiel des différentes couches de vernis qui recouvrent « La Joconde », le chef-d’œuvre de Vinci, lui redonnant ainsi ses couleurs d’origines. C’est à l’évidence un travail minutieux qu’on confiera à Gaetano, un italien, spécialise de la restauration des tableaux. C’est aussi une histoire un peu rocambolesque au terme de laquelle les nouvelles technologies sont mises en œuvre, l’incontournable communication d’internet, de la presse et des réseaux sociaux sollicitée, œil dubitatif et vaguement inquiet d’Aurélien. A cette occasion le lecteur entre dans les secrets du Louvre, le mystère qui entoure l’œuvre, dans la genèse et la vie des tableaux de maîtres, de la technique des pigments et de la lumière, des connaissances et parfois de la suffisance des spécialistes. C’est un peu technique mais intéressant. L’auteur entraîne son lecteur dans les arcanes des commissions avec en prime les avis des autorités, les précisions techniques, la richesse de sa documentation et la pertinence de ses jugements culturels… et, un léger « sfumato » de nostalgie.
C’est aussi une galerie de portraits pleins de charme et qui, hétéroclites au départ convergent tous vers le même centre d’intérêt, Monna Lisa del Giocondo, plus connue sous le nom de « La Joconde ». C’est celui d’Homero, un banal agent d’entretien chargé du nettoyage du département des statues au Louvre que les œuvres qui l’entourent, auxquelles s’ajoute la musique de Vivaldi diffusée dans ses écouteurs, provoquent chez lui une forme du « syndrome de Stendhal ». Son parcours est original et l’épilogue révèle en lui un poète étonnant. C’est aussi celui celui de Daphné, la nouvelle présidente, le type même du manager, rompue aux idées modernes du marketing et de la gestion des ressources humaines, qui veut reprendre à son compte un projet longtemps repoussé, la restauration de « La Joconde », celui d’Aurélien, directeur du département des peintures du musée, un intellectuel marginal, quelques peu idéaliste et renfermé qui s’oppose à ce projet à la fois dispendieux, risqué et à ses yeux inutile. Gaetano se révèle être un personnage fantasque mais dont ce travail va bouleverser sa vie et peut-être sa propre conception de la beauté.. L’émotion d’Aurélien face au résultat de son travail est saisissante. La beauté des femmes nous est rendue à travers les portraits d’Hélène subjuguée par Homero mais aussi ceux de Guiseppina et de, Lucrezia, les compagnes de Gaetano.
C’est sans doute aussi une invitation à poser un regard sur notre époque, faite à la fois d’appétits de modernité, de connections, de numérisations, de gestion comptable, de volonté de réussite sociale avec son lot d’hypocrisies, de culte de l’apparence, face aux valeurs traditionnelles et éternelles de l’art. Après cet épisode mouvementé autour de la Joconde ceux qui en furent les acteurs retrouvent leur authenticité, se débarrassant du vernis social et professionnel qui s’attache à eux, peut-être le vrai sens de la vie. ?
Pour un premier roman, c’est une réussite.
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