la feuille volante

HOPPER (Métamorphoses du réel)– Rolf Günter Renner

N°696 Novembre 2013.

HOPPER (Métamorphoses du réel)– Rolf Günter Renner- Éditions Taschen.

Dans mon opinion, Edward Hopper (1882-1967) a toujours incarné la peinture américaine de son temps, peignant des scènes de la vie quotidienne des classes moyennes avec un grand réalisme, une certaine mélancolie voire une aliénation. Il ressort de ses toiles une solitude des personnages autant que des paysages représentés, une ambiance un peu froide, secrète, silencieuse, presque désincarnée, à la fois étrangère et bizarrement familière. Cette esthétique est ambiguë mais dans l’histoire de l'art Hopper incarne cet « individualisme américain » qu'on retrouvera chez Johnson Pollock dans un registre évidemment différent. Il n'a été connu que tardivement, à peu près vers 1925, mais à partir de cette date il a été reconnu comme un artiste américain majeur et non plus comme un peintre ordinaire. Si Hopper a pratiquement toute sa vie habité modestement à New-York, à exception de vacances au Cap Cod, il a très tôt effectué des voyages en Europe et notamment en France d'où il a rapporté une inspiration très forte de l'Impressionnisme et aussi de Rembrandt. On peut distinguer au moins deux périodes dans son œuvre, d'abord l'impressionnisme héritée de l'Europe puis le réalisme qui le caractérise et qui fait sa véritable originalité ainsi qu'un double aspect, celui de polarité entre culture et nature d'une part et d'autre part un travail très poussé sur l'ombre et la lumière. Tout au long de sa vie il a insisté sur cette étude de la lumière, du soleil, donnant, à la fin, une impression de vide à ses toiles.

Il est certes un peintre réaliste, mais Renner nous invite à dépasser cet aspect purement visuel pour nous intéresser à une approche plus intimiste qu'il ne faut cependant pas négliger, une lecture codée de chaque toile qui donne à travers la posture des personnages, les paysages représentés mais aussi le jeu des ombres et de la lumière une véritable explication de la psychologie du peintre, un peu comme si, au paysage extérieur, correspondait son état d'esprit intérieur. Il transporte dans sa peinture ses perceptions intimes, ses obsessions.

Certes, il emprunte à l'Europe un peu de son romantisme qu'on peut déceler chez Magritte et chez Munch. De sa période parisienne il rapporte des paysages urbains bien dans le style du XIX° siècle français, mais progressivement et sans rupture marquée l'expressionnisme s'installe, les décors deviennent géométriques, droits, sans fioriture, maisons au style épuré, encadrements de fenêtres qui ouvrent sur l'extérieur d'où on découvre un paysage naturel ou parfois aussi le vide. Déjà, dans certains tableaux, il suggérait le vent par le simple mouvement d'un rideau. Le culte du détail s'affirme et Hopper jouant sur les ombres et sur la lumière souligne la perspective. La nature est parfois choisie mais elle est représentée dépouillée, réduite à quelques arbres, des collines, une maison isolée, une route, une voie de chemin de fer, un passage à niveau ... Les villes aussi sont mises en scène, ce sont le plus souvent des rues dénuées de présence humaine, des vitrines très éclairées, des stations-service, des panneaux publicitaires, des façades le plus souvent traitées dans une palette sombre avec cependant un grand souci du détail. Il incarne la marque indélébile de la civilisation dans laquelle il vit, du temps qui est le sien. Les intérieurs sont souvent impersonnels, halls ou chambres d'hôtels ou de maison, bureaux, cinémas, compartiments de train... Là aussi la couleur dominante est foncée et triste, contraste souvent avec un violent éclairage. Hopper est cependant très attaché aux symboles de cette civilisation américaine, il incarne le « symbolisme narratif » et l'ambiance qui se dégage de certains tableaux ne sont pas sans rappeler le traumatisme de la grande dépression des années 30.

Les personnages sont beaucoup plus intéressants et Hopper s'y attarde plus volontiers. Il ressort des scènes représentées une solitude un peu dérangeante. Au début de sa carrière, celle qui est plus volontiers tournée vers l'impressionnisme, on peut voir une parenté avec Degas et privilégier dans la toile un moment heureux que notre imagination peut éventuellement prolonger. Rapidement, il diverge cependant représentant des personnages figés. Quand il choisit des femmes pour modèle, il les présente souvent habillées mais parfois nues. Dans les deux cas, elles sont souvent sensuelles, leur corps a quelque chose de provoquant, elles évoquent un désir refoulé du peintre, incarnent une obsession qui jouxte le voyeurisme, qui évoque un désir refoulé. On peut y voir un désir charnel latent et il faut se souvenir que Hopper est de confession baptiste et donc puritain comme les Américains de son temps. Souvent ces femmes lisent ou attendent mais il y a une sorte d'ennui, de désespoir dans cette posture, une impression d’abandon, comme si elles espéraient quelque chose qui pourrait ressembler à l'amour ou la mort mais avec un grand détachement cependant. Le seul mouvement perceptible est suscité par le vent qui soulève un rideaux, une vague qui ondule... Quand elles sont représentées en présence d'autres personnages, il se dégage d'elles une sensation de solitude, pire de déréliction, d'abandon, de torpeur, d'apathie comme si elles étaient étrangères à la scène dans laquelle elles figurent. Il est possible que, sous les multiples visages de ces femmes c'est son épouse qu'il peint, mais cette représentation évoque davantage la séparation que la communauté tant les relations que Hopper avait avec son épouse « Jo » étaient conflictuelles. Souvent les personnages regardent vers l'extérieur mais leurs yeux sont vides. Les hommes eux-même portent sur leur visage ce détachement ; Ils sont pensifs et renfermés sur eux-mêmes. L'impression d'ensemble est qu'ils sont muets et quand un dialogue est suscité par le peintre il en ressort une impression malsaine de tension à l’intérieur du couple semblable sans doute à ses difficultés personnelles. Quand ils les représentent en société, Hopper les figure souvent dans des zones de transit, halls ou chambres d'hôtel, bars. Ils suggère sans vraiment le montrer, une invitation au plaisir, mais une invitation seulement.

Ses toiles sont à l'exacte image de sa vie, sans grands bouleversements, sans grands bonheurs non plus, sans moments d'exception, sans rupture importante, seulement brouillée par une mésentente conjugale constante renforcée par le fait que son épouse « Jo » est certes son premier critique mais est aussi peintre elle-même mais qui choisit d'abandonner progressivement cette activité. On peut aisément imaginer que pour Hopper sa peinture constitue un refuge, enfante une création constante, mais ce havre est parlant !

C'est un livre très pédagogique et bien illustré, plein d'explications techniques, pertinentes et passionnantes, en phase avec la vie de Hopper, personnage discret et sans doute malheureux dans son couple mais aussi attentif aux événements extérieurs.

Hervé GAUTIER - Novembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

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