L'ILE DES CHASSEURS D'OISEAUX – Peter May
- Par hervegautier
- Le 12/03/2011
- Dans Peter May
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N°511 – Mars 2011. L'ILE DES CHASSEURS D'OISEAUX – Peter May – Rouergue noir. Traduit de l'anglais par Jean-René Dastugue.
Le décor est celui de l'île Lewis au nord de l'Écosse. C'est l'île natale de l'inspecteur Fin Macleod qu'il a quittée voilà bien des années. Il fallait bien faire quelque chose, entrer dans la vie active puisqu'il avait abandonné ses études et était sans diplôme. Alors la police, pourquoi pas ? Il avait donc été affecté à Edimbourg et y poursuivait sa carrière. Il se serait bien passé de ce retour au pays mais l'ordinateur ou le hasard l'ont désigné pour cette mission à cause des similitudes entre un meurtre qui s'était déroulé sur cette île et une affaire dont il s'était occupé antérieurement à Edimbourg. Mais c'est un autre monde que cette contrée perdue entre un ciel plombé et un décor lunaire. Il est fait de landes battues par les vents et les embruns, on s'y chauffe à la tourbe, on y pratique le sabbat chrétien, on y parle encore le gaélique et les pubs sont la seule distraction... Pas la seule cependant car il existe une coutume barbare qui consiste à escalader des falaises d'un caillou perdu au large pour y tuer des poussins de fous de Bassan qui y nichent... C'est une tradition, une sorte de rite de passage, unique et incontournable, surtout pour les jeunes.
Oui, il s'en serait bien passé et pas seulement pour ce triste décor. Il vient, dans un accident de la circulation de perdre son fis unique, Robbie, ce qui fait de lui un être définitivement à part. On ne se remet jamais d'une telle épreuve, entre silence et larmes, révolte et culpabilité, regrets et absence... Et chacun l'évite par respect, par crainte d'évoquer cette épreuve, par incompréhension, par volonté de se protéger d'un malheur qui peut arriver à chacun d'entre nous. Cela fait de lui un homme seul, tenté peut-être de rejoindre dans la mort ce fils qu'il ne reverra plus. Parce que, même si une vie qui lui est chère s'est arrêtée, la sienne poursuit son cours. Elle est devenue soudain un fardeau plus lourd chaque jour, un chemin de croix au quotidien. Face à cela, il y le deuil qu'on vit toujours seul et qu'on ne fait jamais complètement, les cautères qu'on invente pour nous aider à supporter le quotidien maintenant hanté par le fantôme d'un enfant qu'on ne verra pas vieillir, qui n'aura pas lui-même d'enfants. Le travail est l'un d'eux. Il permet de penser à autre chose, de s'occuper un peu l'esprit, de faire semblant, même si cela n'est et ne sera jamais qu'un décor fragile, une sorte de château de cartes édifié dans un courant d'air... Il part donc pour son île malgré son chagrin, l'attitude compassée de ses collègues et son épouse, Monna, qui lui déclare que s'il part, elle ne sera plus là à son retour...
Fin revient aussi sur les traces de son enfance. Il y retrouve évidemment ceux qui étaient ses copains alors, ceux qui sont restés au pays. Au premier de ceux-ci, Ange, le chef d'une bande dont le policier a fait jadis partie. C'est lui qui a été assassiné selon le même « modus operandi » que dans l'affaire dont l'inspecteur s'est occupé à Edimbourg. Cet Ange était un homme tyrannique, cruel, alcoolique, dealer, magouilleur, bagarreur et même fortement soupçonné de viol et convaincu d'avoir agressé un défenseur des oiseaux... Il ne manquait pas d'ennemis qui voulaient sa mort, mais pourtant, il pouvait être attachant, amical... Et c'est lui, Fin, qui est chargé de retrouver son assassin, c'est lui qui est à la fois un enfant du pays mais aussi un policier, le représentant de l'ordre, qui devra dénouer les fils de cette histoire compliquée, percer les secrets qui unissent ces gens qu'il connait. Dans ce coin perdu des Hébrides, il va aller, un peu malgré lui, au devant des souvenirs personnels et pas toujours bons qu'il a avec chacun. En quittant l'île, il avait choisi de les oublier et avec eux son cortège de regrets, de remords... A l'occasion de cette enquête, c'est aussi son passé, la mort accidentelle de ses parents qui lui reviennent en pleine figure ! Tout cela ne va pas faciliter son enquête d'autant que ceux qu'il interroge ont déjà déposé auprès de la police locale.
Il retrouve tous ses copains mais surtout Artair dont le père, M. Maccines, a perdu la vie en sauvant celle de Fin lors d'une expédition contre les oiseaux. Il a épousé Marsaili, le premier amour de Fin, celui qu'on n'oublie pas. Il la rencontre à nouveau, se demande si elle pense encore à lui, fait connaissance de son fils qui porte le même prénom que lui, sympathise avec lui, refait à l'envers un chemin qu'il croyait définitivement oublié, se demande dans son for intérieur si ce garçon n'a pas quelque chose de lui, une parenté jusque là inconnue... Cela aussi risque de bouleverser les choses établies depuis tant d'années... Mais le temps a passé, les choses se sont figées dans un quotidien apparemment immuable, irréversible, violent aussi... Cette enquête remettra en cause bien des vérités établies, bien des certitudes et il faudra que Fin accepte d'entendre et d'admettre ce qui n'était pas pour lui des évidences, qu'il aille au devant de lui-même, assume ses souvenirs personnels, ses attachements, ses certitudes ... Pourtant, iI n'est pas venu là par hasard mais est victime d'un règlement de compte personnel, manipulé par le tueur qui s'apprêtait à nouveau à tuer...
Il est bien des gens pour affirmer que la littérature policière tient un rang mineur dans la création littéraire qu'on écrirait volontiers avec une majuscule. Pourtant si le roman policier plait, c'est sans doute parce qu'il endosse un tas de fantasmes humains. L'écriture en est parfois moins étudiée, moins ciselée, plus populaire, on y met souvent du sexe, de la violence, du sang, probablement pour marquer la différence avec des fictions plus intellectuelles... J'ai toujours pensé que, plus que d'autres forme d'arts peut-être, la fiction policière nous rappelle que nous sommes mortels, que les hommes ne sont ni aussi bons ni aussi humains que des générations de philosophes ont tenté de nous le faire croire. Elle est, au moins autant que les autres, et malgré le fait qu'on la relègue volontiers au rang de lecture estivale, le miroir de la condition humaine.
Dans un style agréable à lire, plein d'émotions et d'évocations de ce coin de terre un peu perdu et désolé, l'auteur, malgré de nombreuses digressions, retient l'attention de son lecteur jusqu'à la fin, avec un sens consommé du suspense. Ce roman a été pour moi un bon moment de lecture.
©Hervé GAUTIER – Mars 2011.http://hervegautier.e-monsite.com
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