la feuille volante

De quelques amoureux des livres...

La Feuille Volante n°1068– Août 2016

De quelques amoureux des livres...Philippe Claudel – Finitude.

 

Si l'enfer est, paraît-il, pavé de bonnes intentions, le monde dans lequel nous vivons est assurément le tombeau de tentatives avortées pour devenir écrivain. Certes il y ceux qui ont réussi, dont le nom est inscrit sur une plaque de rue, l’œuvre étudiée par des générations de potaches endormis et les aphorismes qui donnent lieu à des commentaires souvent hors de propos… et puis il y a les autres. Ils sont nombreux, des cohortes, qui doivent leurs déboires littéraires à leurs proches qui se moquent d'eux, aux éditeurs qui n'ont pas été capables de découvrir leur talent, aux événements extérieurs qui ne les ont pas servi comme on dit, euphémisme subtil pour dire qu'ils n'ont pas eu de chance. Il y a les lecteurs qui n'ont pas été au rendez-vous, leur entourage qui les a boudé parce qu'ils n'étaient pas comme les autres, ou peut-être l'inflation d'hommes et de femmes de lettres qui se sont précipités sur leur feuille blanche, qui ont joué des coudes (et pas seulement) pour écraser ceux qui étaient sur leur passage et qui entendait prendre une place à laquelle ils croyaient avoir droit. Ces écrivains ratés, qui ne sont restés que des « écrivassiers » ont chanté la nature, mais elle s'en fout, les femmes qu'ils aimaient, souvent en secret, mais là aussi il ne faut craindre ni l'indifférence, ni les critiques acerbes et cruelles, de sorte qu'ils sont restés des inconnus, des incompris.

Il peuvent aussi s'en prendre à eux-mêmes parce qu'ils ont été parfois paresseux, ont hésité à se lever la nuit à l'écoute de cette inspiration fugace qui ne se manifeste pas deux fois, se sont dit qu'ils verraient plus tard, que rien ne pressait mais qui, une fois devant la feuille sont restés secs, ceux qui ont été victimes du syndrome de Bartelby, ceux qui se sont contentés d’être leurs propres lecteurs mais pas leurs critiques parce que, à leurs yeux, leur talent était manifeste, ceux qui sont morts d'attendre qu'on vienne les solliciter en oubliant que la vie est courte, ceux qui se sentaient indispensables à l'humanité et qui déploraient qu'on fasse ainsi fi de leur message, ceux qui prenaient Voltaire ou Rimbaud pour leurs collègues en littérature, ceux qui se sont pris pour des génies, qui se sont rassurés en disant qu'on les découvrirait… après leur mort, ceux qui se sont drapés dans la toge de l’écrivain en se disant que cela leur allait bien tout en s’extasiant sur la beauté de leur œuvre. Ceux aussi qui, désespérés de tant d’indifférences à leur endroit (ou peut-être victimes d'un sursaut de bon sens) se sont dit que, devant un tel monceau de publications depuis l'invention de l'imprimerie, il valait mieux garder le silence plutôt que de redire plus mal ce qui avait été déjà si bien exprimé par d'autres. Il y a bien sûr ceux qui ont entamé leur vie par l'alcool et la drogue parce qu'on leur avait dit qu'il y avait là une source d'inspiration inépuisable… et qui s'y sont épuisés et même en sont morts, ceux qui, paranoïaques depuis toujours, ont cru être victimes de complots ou ceux qui sont devenus fous à force de croire en leur talent auquel le monde extérieur était complètement indifférent.

 

L'auteur égrène le catalogue de ces malheureux que la notoriété, les honneurs, la vie ont oubliés. Il le fait avec un humour certain et surtout de bon aloi, preuve s'il en fallait encore qu’on peut rire de tout parce que, par les temps qui courent, c'est à peu près tout ce qui nous reste, que le temps passe vite, que le fatalisme fait partie de la vie et que la fiction est après tout une manière comme une autre de repeindre des jours de plus en plus gris. Et puis, un écrivain qui a réussi n'est peut-être pas autre chose qu'un simple « porte-plume » qui transcrit une inspiration qui vient on ne sait d'où et qui, à tout moment, peut le quitter, qui n'est bien souvent que le miroir de son temps et qui, après un brillant succès fait parfois des efforts désespérés pour durer et pour qu'on ne l'oublie pas. L'écrivain c'est avant un être habité par le solipsisme et trouve souvent cela plutôt bien. Il n'empêche, on dira ce qu'on voudra, mais j'ai bien aimé (et j'ai même bien ri) à cet inventaire à la Prévert des écrivains manqués qui ne sont finalement que des membres de cette espèce humaine à laquelle nous appartenons tous, même si, parmi nous, il y en a finalement peu que la muse chatouille, et c'est plutôt mieux ainsi.

 

© Hervé GAUTIER – Août 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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