ALEX
- Par hervegautier
- Le 13/09/2014
- Dans Pierre Lemaître
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N°802 – Septembre 2014.
ALEX – Pierre Lemaitre – Albin Michel
C'est un thriller présenté comme un plan en trois parties ou, si l'on veut , un drame en trois actes.
Au début de ce récit, Alex, jolie jeune femme de trente ans, solitaire, séduisante, est enlevée en plein Paris et séquestrée dans un hangar froid par son ravisseur. La mise en scène mérite qu'on la décrive : elle est enfermée nue dans une cage exiguë, suspendue au-dessus d'une meute de rats avec seulement un peu d'eau et des croquettes pour animaux qui ne servent qu'à appâter la vermine. Elle ne peut s'y tenir ni couchée ni debout, tout juste repliée dans une position inconfortable et au milieu de ses excréments. On songe au supplice crée par Louis XI pour l'évêque de Verdun. Ils ne se connaissent ni l'un ni l'autre et on pense immanquablement au fait d'un déséquilibré, à un acte gratuit, aux sévices, au viol, au meurtre, mais le plus étonnant c'est que cet homme veut seulement « la regarder crever » ! La jeune fille réfléchit, résiste comme elle le peut dans sa position, se demande ce qu'elle fait là et finit par souhaiter la mort. Pour autant l'inconnu ne répond à aucune de ses questions, se contentant de la prendre en photo.
L'enlèvement s'est déroulé en présence d'un témoin, une enquête est donc ouverte, confiée au commandant Camille Verhœven qui ne souhaite pourtant pas en être chargé parce que ce genre d’affaire lui rappelle le kidnapping de son épouse qui a mal tourné. Enceinte de huit mois, elle a été tuée. Deux meurtres d'un coup et sa vie gâchée ! Il est resté veuf, solitaire et vit avec son chat ! Pourtant il l'accepte, parce que c'est un bon flic, peut-être parce que c'est son supérieur, le commissaire divisionnaire Jean Le Guen, qui le lui demande, peut-être aussi parce que c'est un moyen d'exorciser ses vieux démons ? Il fait équipe avec Armand et Louis, deux officiers aussi dissemblables l'un de l'autre sur le plan vestimentaire comme sur celui du train de vie, de la culture, mais sacrément efficaces. Pourtant cette affaire est atypique : pas de revendication, pas de demande de rançon, absence d'identité de la victime et de l'agresseur... A force d'investigations et aussi avec un peu de chance, la police finit pas trouver le lieux où la jeune fille était séquestrée, mais trop tard, elle n'y est plus. Et pour corser le tout le kidnappeur s'est suicidé. C'est, si l'on veut, la fin du premier acte.
Alex reste introuvable, disparue de la circulation, et une série de meurtres particulièrement atroces et cruels est révélée dans diverses régions de France. Au début on ne fait pas le rapprochement mais les enquêteurs finissent par penser à elle. Elle n'a pas de visage mais, avec les portraits-robots, les témoignages, elle prend vite une physionomie. Pourtant, la jeune fille brouille les pistes, change d'identité et d'apparences, mais le modus operandi est le même : toutes les victimes sont exécutées à l'acide sulfurique concentré déversé dans la gorge. Elle chercherait à se venger des hommes, mais elle n'a pas été violée, les prend au hasard et s'attaque aussi aux femmes à l'occasion... Mais pourquoi ce mode opératoire particulièrement cruel ? Le juge a beau dire que quelque chose a du lui rester en travers de la gorge, l'argument est facile et surprenant de la part d'un magistrat, quant à l'incontournable raison sexuelle elle ne pèse pas bien lourd. Cependant, sans plus de raison qu'avant, Alex choisit de quitter la scène. Fin de deuxième acte.
Reste le troisième acte, moins spectaculaire sans doute que les deux précédents mais il a au moins l'avantage d'être explicatif... et surprenant. Les policiers tiennent un fil et le déroulent et tout un passé qu'on croyait révolu, oublié, remonte à la surface. Alex aimait lire et aussi écrire, même si c'était par intermittence. C'était pour elle, à cause de sa solitude un véritable exorcisme. Les policiers quant à eux sont experts en maïeutique même s'il y a un peu de bluff, pas mal de suppositions, mais cela se passe tout en finesse et loin des violences persuasives traditionnelles et surtout grâce aussi au travail de fourmis des enquêteurs. Dès lors cela provoque la déstabilisation de témoins devenus suspects puis accusés, le réveil de remords, de lourds secrets de famille qu'on croyait définitivement oubliés. Le problème posé est celui de la vengeance, de la volonté de faire subir aux autres ce qu'il nous ont fait subir eux-mêmes et de la légitimité de cette manière de « vendetta ».
Cette affaire a bouleversé Camille parce qu'elle lui a rappelé un pan de sa propre vie. Le juge, suffisant et vaniteux ne manque pas de le lui faire remarquer, lui conseillant des enquêtes moins lourdes. C'est une occasion aussi pour lui de revenir sur son parcours familial.
L'auteur a dans cette affaire un style particulièrement réaliste précis, riche en détails, en descriptions sans oublier la dimension humoristique que j'ai particulièrement apprécié. Il en profite même, fin observateur de la race humaine, pour formuler quelques aphorismes bien sentis sur ses congénères, ce genre littéraire s'y prêtant bien par ailleurs. C'est un roman policier à la française, passionnant, haletant qui distille le suspense au fil des pages et tient son lecteur en haleine jusqu'à la fin. Hitchcock a trouvé là un digne successeur !
Pierre Lemaitre, Prix Goncourt 2013 pour « Au-revoir là-haut »(La Feuille Volante n°734) se révèle ici un talentueux auteur de roman policier. Ce n'est d'ailleurs pas le première fois que cette revue lui rend hommage pour sa série policière (la Feuille Volante n° 768). Je ne manquerai pas de poursuivre la découverte de son talent.
Ce roman s'inscrit dans la « trilogie Verhœven. »
©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com
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