LE BUREAU DES OBJETS TROUVES – Siegfried Lenz
- Par hervegautier
- Le 08/02/2013
- Dans Siegfried Lenz
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N°626– Février 2013. LE BUREAU DES OBJETS TROUVES – Siegfried Lenz1 – Robert Laffonf. Traduit de l'allemand par Frédéric Weinmann. Henry Neff, 24 ans, se présente au bureau des objets trouvés d'une gare allemande (« Là où nulle part au monde(on ne rencontre) autant de contrition, d'angoisse et de mea-culpa »). S'il fait cela, ce n'est pas parce qu'il a égaré un objet comme on pourrait s'y attendre mais il vient y prendre son poste et surtout souhaite faire une longue carrière dans cet emploi subalterne alors qu'un poste plus important s'offre à lui dans le négoce familial. Pourquoi cette voie de garage pour un homme jeune et plein d'avenir ? C'est qu'il est un peu marginal, cet Henry et avoue volontiers une passion pour le hockey et pour les marque-pages ! Pire peut-être, il semble avoir choisi cet emploi aux « objets trouvés » pour satisfaire son imagination débordante, un peu comme si c'était là sa seule motivation. Chaque propriétaire met un point d'honneur à récupérer des objets anodins, irremplaçables pour eux, un peu comme si toute leur vie y était contenue et en dépendait. Lui considère que ces objets improbables venus de nulle part qui se retrouvent ici à titre temporaire sont certes autant de tranches de vie appartenant à des inconnus mais aussi autant d’invitations à une mise en situation qui satisfait son imaginaire. Il devient le metteur en scène de saynètes parfois un peu surréalistes. Au travail, il cohabite avec des collègues aussi différents que Paula, une femme encore jeune qui souffre que son mari la délaisse et qu'il cherche à consoler, ou qu' Albert, un vieux garçon tout entier dévoué à son vieux père. Son travail l'amène à rencontrer Fédor Lagutin, un mathématicien universitaire russe avec qui il devient ami. Ce dernier ne laisse indifférentes ni Barbara, la sœur d'Henry qui travaille dans la florissante entreprise familiale ni même sa mère. Les deux femmes apprécient autant la discrétion de l'homme que sa manière de parler la langue allemande dont il maîtrise parfaitement les nuances. Cette manière d'être est, en plus des mathématiques, son oasis à lui. Henry et d'ailleurs son ami Fédor, un peu perdus dans leur monde respectif, semblent apprécier la tranquillité, pourtant la bulle dans laquelle s'était volontairement enfermé Henry se fissure sous les coups du quotidien: A l'extérieur, il est agressé par une bande de motards, il voudrait bien, en séduisant Paula, sortir de sa routine ou s'enfermer dans un autre univers, mais cette femme qui l'aime bien et l'apprécie comme collègue ne veut pas en faire son amant parce qu'elle sait qu'une passade ne débouche sur rien et lui préfère la vie rassurante de femme mariée, moins délétère à ses yeux que celle de femme adultère. Au travail, Albert, trop vieux, est mis au chômage malgré les initiatives généreuses d'Henry. Fédor, quant à lui, quitte l'Allemagne devant les scènes de racisme ordinaire et Barbara est désespérée par la fuite de Fédor. Dans une société qui apprécie les êtres à l'aune de leur rentabilité, leur richesse, leur potentialité, ce livre est consacré aux « perdants », non pas tant à ceux qui ont perdus un objet, mais surtout à ceux, comme Henry, qui refusent cette logique de la société, ceux qui préfèrent être des rêveurs et surtout pas des décideurs, ceux qui refusent la promotion parce que cette finalité ne leur convient pas, qui préfèrent rester à l'écart de tout cela pour être tout simplement seuls et libres, c'est à dire en marge des exigences sociales. Ce roman consacre cette impossibilité en mettant en évidence la réalité quotidienne faite d'intolérance, d'incompréhension, de haine, d'hostilités, de logique financière, une manière de rappeler que si une forme de vie marginale est possible, elle se heurte à tous ceux qui ne la comprennent pas ou simplement ne l'admettent pas. Il est aussi question de ceux qui agressent les autres, les plus faibles, ceux-là même qui ont choisi une forme marginale de vie. Ces provocateurs portent la méchanceté en eux, la matérialise avec violence et lâcheté sous la forme d'un racisme ordinaire ou de l'ostracisme, pour se prouver qu'ils sont les plus forts ou simplement qu'ils existent. Le romancier nous raconte une histoire, lui aussi se réfugie dans sa bulle et recrée un monde qu'il offre au lecteur, libre à lui de le recevoir ou pas. Ce roman peut être considéré comme une simple fiction, mais en réalité tout cela est bien banal, c'est un simple miroir de notre quotidien. Combien sommes-nous à avoir voulu vivre dans de belles certitudes, à avoir voulu nous draper dans l'assurance que les choses ne changeront jamais, qu'elle sont le gage d'une vie selon notre cœur... Puis un jour tout s'effondre brusquement à l'occasion d'un rien, mais ce rien est révélateur d'un changement définitif. Combien sommes-nous à refuser l'autre parce que simplement il est différent ? ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com |
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