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la feuille volante

La collection invisible

N° 1496- Août 2020.

 

La collection invisible – Stefan Zweig.

Traduit de l’allemand par Manfred Schenker.

 

Nous sommes dans cette Allemagne de l’entre-deux-guerres, un pays vaincu où l’inflation galopante ruinait les citoyens qui se dépêchaient de dépenser immédiatement l’argent qu’ils percevaient avant qu’il n’ait plus la moindre valeur. Dans ce contexte, tout objet d’art était une source de richesse et le narrateur, un antiquaire désœuvré mais désireux de faire quelques bonnes affaires, a l’idée de visiter ses anciens clients et parmi eux un vieux collectionneur de gravures de grand prix qu’il avait acquises en se privant toute sa vie et qu’il gardait jalousement. Il a perdu la vue il y a quelques années, mais a gravé dans son souvenir chaque détail de ses estampes et d’une certaine façon c’est heureux parce que sa femme et sa fille, pour survivre, ont dû vendre les originaux pour les remplacer par des feuilles vieillies, analogues au toucher. Et, bien sûr, il ne s’est rendu compte de rien et c’est à leur demande que l’antiquaire accepte de jouer le jeu jusque dans le moindre détail.

Le vieil homme ne veut pas les vendre, seulement les montrer et les commenter à l’antiquaire et ce n’est évidemment que des feuilles jaunies qu’il lui décrit, avec le seul secours de sa mémoire, sans que son interlocuteur ait le courage de lui dévoiler la vérité. Il s’ensuit une sorte de parade fantasque mais imminemment charitable où le vieil homme prend plaisir à présenter à son hôte des chiffons de papier que sa seule imagination suffit à faire vivre. Le narrateur lui emboîte le pas et sa démarche, certes généreuse, permet au vieux collectionneur de se féliciter de son choix d’avoir ainsi investi dans des valeurs sûres qui lui survivront. La félicité du vieillard lui redonne sa jeunesse et est à ce point communicative que les deux femmes sont comme transformées par leur propre supercherie.

 

Cette histoire ressemble à une fable qui serait presque comique si on la sortait de son contexte. J’y vois une image de la condition humaine, de la propension qu’ont les hommes à circonvenir les autres hommes, à leur mentir, à être hypocrites avec eux, souvent pour des raisons moins humaines ou humanitaires que celle qui nous est soufflée ici puisqu’il s’agit de la survie. Il s’ensuit souvent des situations ubuesques où les mystifiés se couvrent de ridicule, souvent à cause de leur grande naïveté. Se répéter les choses jusqu’à satiété suffit souvent pour les mystificateurs, à se convaincre de leur réalité.

Cette nouvelle n’est pas sans référence à la vie de Stefan Zweig qui était lui aussi collectionneur de livres originaux, de manuscrits, d’autographes et de portraits d’auteurs mais cette collection sera dispersée par les nazis. Par l’écriture de cette nouvelle, publiée en 1925 en Autriche, a-t-il eu l’intuition des dégâts irréversibles qu’allait occasionner le nazisme en Allemagne puis en Europe, les autodafés où ses livres seront détruits ?

 

 

 

©Hervé Gautier mhttp:// hervegautier.e-monsite.com

 

 
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