Le joueur d'échecs
- Par hervegautier
- Le 07/11/2019
- Dans Stefan Zweig
- 2 commentaires
La Feuille Volante n° 1407– Novembre 2019.
Le joueur d'échecs - Stefan Zweig - Éditions Payot et Rivages.
Traduit de l'allemand par Jean Torrent.
Sur un paquebot qui va de New-York à Buenos Aires, se joue une série de parties d'échecs. Cette nouvelle met en scène le narrateur dont nous ne saurons rien, Mirko Czentovic, un être inculte, médiocre et arrogant qui a la particularité d'être un génie devant un échiquier en y jouant automatiquement et d'instinct, une sorte d'autiste, et qui, la partie gagnée, de redevenir ce qu'il est, un quidam vulgaire, ignare et sans intérêt mais qui est, depuis l'âge de vingt ans, champion du monde d'échecs. Le troisième personnage est un autrichien mystérieux, MB, qui accepte de jouer avec lui alors qu'il n'a pas touché un échiquier depuis plus de vingt ans. Il rencontre Czentovic par hasard lors de la traversée. La première partie est réputée nulle, il gagne la deuxième mais perd la troisième d'une manière assez bizarre, une sorte de démission volontaire, un peu comme s'il était victime d'une hallucination, s'il jouait une autre partie que celle qu'il était en train de disputer.
Il est difficile de ne pas voir, dans cette courte nouvelle posthume des connotations avec l'auteur, sa vie ayant largement nourri son œuvre. Zweig pratiquait les échecs en amateur et on pourrait y voir un exemple d'addiction au jeu ou plus sûrement une illustration d'une forme particulière de violence. Le personnage intéressant ici, c'est MB, un avocat autrichien exilé, un peu comme l'auteur qui a passé sa vie à fuir les nazis qui avaient destiné aux flammes ses différents livres, qui a parcouru le monde pour débarquer en Amérique du sud, à ses yeux, terre de liberté et de tolérance. Ainsi, à la suite d'une rencontre avec le narrateur, MB accepte de lever le voile sur sa vie. Il raconte comment il a été l'objet d'internement de la part de la Gestapo, mais pas dans un camp de concentration comme on pourrait s'y attendre mais dans une chambre d’hôtel, maintenu au secret. Par hasard, il tombe sur un traité d'échecs et apprend par cœur les combinaisons des grands maîtres au point de jouer dans sa chambre contre lui-même avec un échiquier de fortune et des pièces faites de miettes de pain. Remarquons au passage le lien fait entre le pain nécessaire à la vie et ce jeu reconstitué qui va prendre pour lui une importance capitale. Jusque là, sa solitude et le silences étaient tels qu'il allait devenir fou et aurait presque préféré être astreint au travail et à la promiscuité des camps, ce qui lui aurait occupé l'esprit. Dès lors qu'il trouve ce livre, il reprend confiance, exerce son esprit puisque ce jeu, à l'inverse des autres, ne fait pas appel au hasard mais à la technique, mais c'est de courte durée. Certes il s'exerce au point d'être fasciné par les échecs et, à force de jouer mentalement contre lui-même, il devient son propre bourreau puisqu'il ne pense qu'à cela, ce qui rend sa solitude destructrice. Il tente de pallier la folie en se remémorant des articles du Code Civil ou des œuvres littéraires, ce qui peut être interprété comme le fait que la culture puisse faire échec à la barbarie. Là aussi c'est une sorte d'impasse puisque il perd ainsi le sens des réalités et il ne voit d'autres issues que la fuite. MB bénéficie heureusement de l'aide d'un médecin qui le sort de cette détention et de cette spirale infernale, mais il garde quand même des marques indélébiles de sa détention et des violences qu'il a subies en perdant la troisième partie contre Czentovic. Pour Zweig, qui pensait trouver au Brésil la paix intérieure, cette fuite débouche sur le suicide.
Il y a une excellente analyse de ce que peut-être cette forme subtile de violence qui est loin d'être théorique puisqu’elle sert encore quand on veut se débarrasser de quelqu'un, mais cette nouvelle illustre, à mon avis, l'effet cathartique de l'écriture (ou de la parole), mais, comme je l'ai toujours pensé, ce pouvoir a ses propres limites et ne saurait guérir de ses obsessions un être tourmenté comme Zweig qui n'a pas pu ne pas connaître les théories de Freud dont il prononce l'éloge funèbre. Une telle histoire ne peut rester sans explication et l'interruption de la partie par MB à l'invitation du narrateur, sa volonté de se retirer du jeu, appellent, à mon sens, celle de la vie devenue insupportable à notre auteur et donc de son suicide.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
Commentaires
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- 1. Laurent Séverine Le 07/11/2019
Merci de cette critique
Livre magnifique-
- hervegautierLe 21/11/2019
merci
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