la feuille volante

Lettre d'une inconnue

N° 1502- Septembre 2020.

Lettre d’une inconnue – Stefan Zweig – Stock

Traduit de l’allemand par Alzir Hella et Olivier Bournac.

 

Il s’agit d’une nouvelle publiée en 1922. Elle met en scène, à Vienne, un écrivain célèbre, R, célibataire, de retour d’une excursion en montagne, le jour de ses 41 ans et qui reçoit une longue lettre d’une femme qui le tutoie, l’appelle « mon bien-aimé », et lui annonce la mort de son enfant, ce qui dénote entre eux une certaine intimité, mais pour lui, elle demeurera inconnue. Elle évoque la grippe qui a emporté son fils et donne à penser qu’elle en est également atteinte de sorte que cette missive prend la forme d’un ultime témoignage , un testament qu’on ne peut mettre en doute, on ne ment pas devant l’imminence de la mort ! Elle relate pour lui sa vie et l’itinéraire de leur rencontre qui remonte au moment où elle avait treize ans et qu’elle était sa voisine de palier, pauvre et transparente. L’écrivain de 25 ans qu’il était alors la fascine au point qu’elle tombe aussitôt amoureuse mais sans rien oser dans sa direction. Quant à lui il ne la remarque même pas et plus tard leur fugitive étreinte ne s’imprime même pas dans sa mémoire mais au contraire cette jeune femme compte parmi ses conquêtes vite oubliées.

J’ai une grande admiration pour Zweig dont je lis toujours passionnément les écrits, pour l’écrivain et pour ses analyses psychologiques subtiles et passionnantes, la qualité de son style, autant que pour l’homme, mais, même si nous sommes dans une fiction, j’avoue que je suis assez dubitatif devant cette histoire et cet amour inconditionnel, désintéressé et même volontairement aveugle et miséricordieux de cette jeune femme pour cet homme. Peut-être après tout, a-t-il puisé dans sa vie, lui l’écrivain célèbre en perpétuelle errance, la trame d’une telle fiction et se sert-il de l’effet cathartique de l’écriture pour s’en libérer ? Le fait que cette nouvelle se termine par une double mort ne peut pas ne pas me faire songer à son propre suicide, à sa propre désespérance. J’ai du mal à admettre que l’amour de cette femme se nourrisse de l’indifférence, du mépris et des infidélités de ce séducteur et qu’elle se mette dans la peau d’une sorte de vestale qui refuse les plaisirs de la chair puis plus tard d’une prostituée pour mieux élever cet enfant et refusant un mariage prestigieux, dans l’attente très improbable de son retour. Je ne sais trop quelle femme admettrait cela sans se venger, allant même jusqu’à célébrer à sa manière anonyme chaque anniversaire de cet homme! Cela me paraît trop théorique, trop irréel pour emporter mon adhésion. Cela tient sans doute à moi, à mon vécu, à mes expériences délétères… peut-être ? Je veux bien que l’amour existe, mais il me semble qu’il est comme les choses humaines, fongible et consomptible et j’ai du mal à concevoir qu’une telle femme, même à ce point idéaliste et amoureuse puisse exister et vivre ainsi un amour à ce point désincarné. Certes il y a un gouffre entre R et la narratrice mais ils parviennent quand même à se rencontrer et à s’aimer, mais lui est un « donnaiolo » comme le disent si joliment nos amis Italiens, un être hâbleur et inconstant qui va de femme en femme alors qu’elle reste seule à l’attendre désespérément, dans l’ombre, tissant de lui, malgré son absence ou peut-être à cause d’elle, une image par trop embellie. Pire elle disparaît volontairement, transforme son attachement en une véritable idolâtrie au point de sacrifier son bonheur et son avenir dans l’espoir insensé d’être préférée par cet homme pourtant lointain et détaché d’elle. Peut-être même se complétait-elle un peu dans sa posture solitaire et oubliée, allant jusqu’à ne pas lui révéler sa propre histoire avec lui, n’hésitant pas à se vendre pour procurer à ce fils ce que son père aurait pu lui donner. Personnellement, je vois dans l’ultime lettre de cette femme une sorte de vengeance, une manière de répondre à toutes celles que R. ne lui a pas écrites comme il s’y était engagé. Elle lui rappelle que la jeune fille timide du début était devenue une belle femme qu’il a pourtant croisée et qui n’a pas hésité à sacrifier ses intérêts pour un autre instant intime avec lui sans pour autant qu’il la reconnaisse. A-t-elle la volonté de faire naître en lui une culpabilité pour avoir dû se vendre et se sacrifier pour que cet enfant ne connût pas la misère, pour ne l’avoir considérée que comme une banale conquête sans importance, l’avoir humiliée et pour avoir été la victime du destin qui lui a imposé sa mort et la sienne propre et lui en faire porter le poids toutes sa vie. Son attitude eût-elle été différente si cette femme l’avait informé de sa paternité ?

En tout cas si je me trompe et si un cas semblable peut exister dans la vraie vie, ce R doit être à la fois heureux d’avoir été à ce point aimé de cette femme et malheureux de n’avoir pas été capable de le voir,j’imagine ce que doit être son état d’esprit à l’annonce de cette mort et de celle de son enfant qui resteront pour lui, à jamais, des inconnus. 

 
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