DE TOUTES LES RICHESSES
- Par hervegautier
- Le 24/03/2015
- Dans Stefano Benni
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N°885– Mars 2015
DE TOUTES LES RICHESSES – Stefano Benni – Actes sud
Traduit de l'italien par Marguerite Pozzoli.
La vieillesse est un naufrage avec son lot de douleurs, d'abandon et de solitude. Enfin pas pour ceux qui savent nager surtout quand ils ont soin de pratiquer la natation avec une bouée. C'est un peu le cas de Martin, vieux misanthrope, ancien universitaire, philosophe et poète par vocation, la septantaine, retiré dans un village perdu dans les Apenins. Ses soutiens sont efficaces : Il mène une étude sur un poète oublié baptisé « l’Enchaîné » qui habitait une maison voisine, écrit lui-même des poèmes, parle aux animaux du bois derrière chez lui qui lui répondent volontiers et a avec son chien des rapports quasi-humains. Ainsi s'engagent entre eux un dialogue un peu surréaliste, souvent cultivé, mais à chaque fois aussi savoureux que les mondes parallèles dont il tisse les contours pour lui seul et qu'il habille de légendes. Et d'ailleurs il n'est pas seul, ses amis eux aussi sont originaux. C'est Virgile alias Voudstok, son voisin, « un hippy un peu flapi », Remorus, qu'il ne prise pourtant pas tellement, une sorte d'épouvantail sur le retour, infâme lèche-cul et capable de tout pour un peu de notoriété. Apparemment, rien ne pouvait bouleverser cet ordre établi sauf qu'un jeune couple vient s'établir en face de chez Martin. Lui, qu'il surnomme le Torve, peintre raté, alcoolique et propriétaire d'une galerie qui peine à décoller, ne lui fait pas beaucoup d'effet. En revanche elle, Michelle, qu'il baptise « La princesse des Blés » à cause de sa longue chevelure dorée l'inspire davantage, d'autant qu'il rapproche son image de celle de la légendaire jeune fille du lac tout proche mais surtout parce qu'elle lui rappelle quelqu'un qu'il a bien connu, même si cela fait longtemps. Lui comme elle sont un peu déçus par la vie et c'est sans doute ce qui les rapproche. Alors Martin oublie la vieillesse, la solitude et c'est reparti pour les sentiments et pourquoi pas pour l'amour !
J'ai bien aimé l’architecture de ce livre pris au hasard sur les rayonnages d'une bibliothèque où chaque chapitre s'ouvre sur un poème ludique, j'ai bien aimé le style (la traduction?) alerte, humoristique, poétique et aussi la façon dont il règle ses comptes en passant avec le monde universitaire, celui de la politique et de l'art, sans oublier la société des hommes. J'ai surtout bien aimé ce professeur retiré du monde, un vieux fou qui fait semblant de croire une dernière fois à l'amour, qui combat comme il peut la vieillesse et tente d’apprivoiser la mort. Pour compenser ce qui est un manque définitif, il se refait un monde imaginaire et y entre de plain-pied. C'est vrai que ce qu'on imagine est forcément plus beau que ce qu'on voit et cela ne coûte d'y mettre des êtres bien différents de ceux du quotidien. Il y invite à sa guise tous ceux du monde extérieur, leur prête un rôle qui les étonnerait eux-mêmes dans ses histoires, leur fait dire des choses qu'ils ne diront jamais, leur fait faire des gestes qu'eux-mêmes ne distribueraient pas autour d'eux, mais qu'importe. Cette démarche est celle d'un rêveur solitaire qui combat à sa manière son manque d'être. Je suis de tout cœur avec lui ! Il dépare pas dans ce décor même si, à son âge tomber amoureux est un peu anachronique et si Michelle ne peut que lui échapper. Cette fable sur la fin de vie, avec son cortège de regrets, de remords, de renoncements, de souvenirs qui resurgissent, avec au bout la mort est finalement une réalité à laquelle nul n'échappe.
©Hervé GAUTIER – Mars 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com
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