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la feuille volante

LA DERNIÈRE LARME

La Feuille Volante n°1006 – Janvier 2016

 

LA DERNIÈRE LARME – Stefano Benni – Actes sud.

Traduit de l'italien par Marguetite Pozzoli.

 

L'univers de Stefano Benni est bien celui de l'absurde : la retransmission télévisée d'une exécution capitale, la transaction bancaire parfaitement illégale faite en public au bénéfice d'un client impécunieux par un modeste employé, une interrogation littéraire qui n'a rien de littéraire dans un collège qui ne ressemble pas à un établissement scolaire et qui fait profession de flagornerie et même d’idolâtrie au profit du « Président du Conseil »… Et c'est ainsi pendant vingt sept nouvelles toutes plus déjantées les unes que les autres …

C'est vrai que nous vivons actuellement une époque formidable où manifestement tout fout le camp autour de nous où chaque jour qui passe nous met devant une évidence de plus en plus flagrante : nous manquons de boussole et les certitudes qu'on nous a mises dans dans la tête depuis des siècles, les grandes idées et tout le reste font de plus en plus figure de châteaux de cartes construits dans un courant d'air. Alors pourquoi ne pas appuyer sur le trait comme le fait l'auteur ? Il est bien placé pour cela puisque, depuis de nombreuses années il a choisi d'être un observateur de la vie qui l'entoure, il en connaît toutes les contradictions et il jubile quand il met en scène des personnages qui font voir à son lecteur tout ce que ce monde qui l'entoure présente de fractures et de paradoxes. Pour cela il a une technique bien particulière qui consiste à mettre des personnages dans un décor bien réel au départ mais d'instiller à celui-ci une dimension un peu extraordinaire où la fiction le dispute à la réalité, la banalité la plus quotidienne à l'inconnu le plus inattendu. Ainsi sous ses yeux défilent d'improbables êtres sortis du néant qui en côtoient d'autres bien ordinaires (le retour de Garibain). Il mélange le tout en une recette surréaliste pour obtenir des situations délirantes, exagérées, excessives où pourtant il est parfaitement possible de s'y retrouver. La nouvelle intitulée « le nouveau libraire » me paraît illustrer parfaitement cette idée. Les livres, souvent anciens, ont une vie, une personnalité qui étaient respectées par l'ancien libraire. Le nouveau au contraire souhaite faire de l'argent avec ce commerce et veut tout révolutionner, mais c'est sans compter avec ces pensionnaires bien indisciplinés qui finalement font valoir leurs droits.

D'ailleurs j'observe que Benni a une préférence pour les villes fictives ou bien réelles et développe ses récits à travers des relations humaines au lieu de raconter une histoire à la première personne, dans une sorte de monologue. Il se révèle en tout cas être un conteur à la fois imaginatif et même un peu fou qui promène celui qui veut bien passer un peu de temps à le lire, c'est dire à arpenter cet univers loufoque, et l’entraîne dans des sphères comiques ou fantastiques et assurément dépaysantes, c'est selon ! Et il y en a vingt sept comme cela !

Qu'on ne s'y trompe pas cependant, ces nouvelles sont aussi une critique sociale (Le sondar) où les intellectuels de tout poil se masturbent autour d'une idée, d'un dogme pendant que, devant eux la vie ordinaire déroule son cours. Témoin la nouvelle intitulée « le voleur » où un aréopage d'invités disputent de l'opportunité de livrer ou à la police l’auteur d'un larcin… pendant que ce dernier est en train de mourir ! Et rien ne lui échappe, il faut dire qu'il a de la matière entre le monde politique hypocrite et plein de parvenus inutiles mais suffisants et prétentieux et le celui du travail où règnent la flagornerie, l'irresponsabilité et l’incompétence. Son panel est grand.

Tout cela passe évidemment par par le jeu sur les mots, la distorsion de la phrase, le choix des termes parfois inattendu, des néologismes… mais qu'importe, cela aussi procède de cet univers unique dans lequel nous invite l’auteur.

Quelqu'un a défini l'humour comme l'attitude qui consiste à rire des choses plutôt que d'avoir à en pleurer, parce qu'il y a franchement de quoi, quand on y réfléchit. C'est sans doute l'arme qu'a choisi Benni pour supporter ce monde et nous aider à son tour à le faire. Pour lui c'est même à l'occasion de l'humour caustique, voire féroce mais pas autant cependant que le monde qui nous entoure où tout n'est que combat et volonté de détruire l'autre, sous les dehors lénifiants cependant. Pourtant si son ironie n'est pas gratuite, elle est parfois cruelle parce que le monde qui nous entoure l'est lui aussi tout simplement ! Il ne se contente de raconter les faits, de les dénoncer si on veut le dire ainsi, il laisse certes le lecteur juge mais n'oublie pas, en quelque sorte pour l'éclairer de lui donner à voir une facette de cette espèce humaine que nous partageons tous. Il a d’ailleurs le choix entre les attitudes camaleonesques des subalternes par rapport à leurs supérieurs (Un homme tranquille) jusqu'à la certitude de certains êtres portés par une notoriété temporaire ou supposée d'être exceptionnels ce qui ouvre droit à leurs yeux aux plus extravagants caprices (Roi caprice). Il illustre sa manière cet instant grégaire qu'adoptent les hommes par intérêt ou absence d'originalité ce qui les fait dangereusement ressembler à tout le monde ou au contraire adopter une attitude qui se veut bizarrement originale et qui les pousse à cultiver une différence factice quand il ne choisit pas de se pencher sur les pires vices humains ou sur les perversités les plus inavouables. Tout cela fait de lui, malgré les apparences teintées d'humour, un bon observateur, certes de l'Italie, son pays, mais aussi de l'espèce humaine. 

Que reste-t-il de tout cela, le livre refermé ? C'est à chacun de répondre en fonction du chemin qu'il aura fait au côté de l'auteur. Moi, j'ai bien aimé.

 

© Hervé GAUTIER – Janvier 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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