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la feuille volante

la pleurante des rues de Prague

N°1594 - Octobre 2021

 

La pleurante des rues de Prague – Sylvie Germain – Folio.

 

Le livre refermé, que reste-il de ma lecture ? Une impression un peu triste que suscite dès l’abord le titre ; il est question d’une pleurante, c’est à dire d’une femme qui verse des larmes sur un tombeau. On ne voit pas son visage voilé, comme une sorte de fantôme immatériel, presque irréel mais pourtant bien présent. Elle parcourt sans presque les toucher le sol, les rues, les places et les ponts de Prague, une ville qui a un âme, qui porte en elle non seulement son histoire mouvementée, mais aussi une légende, une atmosphère qui suscite le rêve, le bouleversement intime et même le malaise. S’y mêlent la mémoire intime des lieux, les regrets et les remords qui débordent de l’âme, les projets inaboutis qui maintenant appartiennent inexorablement au passé, le vertige du temps qui fuit… Cette femme est fluide, inaccessible mais a une certaine réalité, boite parce qu’elle se déplace entre deux mondes, celui, quotidien, de cette ville et le vide du néant. Elle n’inspire pas l’amour comme pourrait le faire une femme, simplement parce qu’elle n’est pas belle mais sa présence est prégnante, envahissante même pour l’auteure qui est peut-être la seule à la voir puisqu’elle témoigne de son état d’âme qui semble bien ancré en elle.

Elle est pleurante et pas seulement pleureuse, parce que cette présence est liée à la mort des hommes, célèbres ou non, consacrés par les institutions ou quidams oubliés par l’Histoire, dont le sort commun est d’être éphémères en ce monde, seulement de passage et voués à la disparition. Elle pleure sur monde marqué par l’abandon et la trahison qui caractérisent bien l’espèce humaine. Cette femme m’évoque la Camarde qui frappe chacun dans son corps en lui arrachant le souffle vital mais dont le travail préalable impose aux vivants les douleurs du corps, l’oubli, gomme leurs souvenirs, les deuils qui ont hypothéqué leur futur en leur interdisant de vieillir en paix. Elle se dérobe aussi comme quelque chose d’inaccessible et qui le restera quoiqu’on fasse parce que le temps nous est compté ou que, quoiqu’on en dise, notre destin s’impose à nous et malgré nous, sans que nous puissions rien y faire. Pour illustrer cela l’auteur évoque quelques disparus et surtout la figure tutélaire de son père et des souffrance qui ont précédé sa mort .

Les apparitions de cette femme sont pesantes ou furtives selon l’âme de l’auteure qui tente de les saisir et de les emprisonner dans des mots qui peuvent être un baume sur ses plaies intimes, une compensation face aux cruautés de cette vie parce qu’elle est synonyme délaissement, de solitude, le manque d’amour. La silhouette de cette femme me suggère une création fantasmatique qu’on s’invente pour soi-même parce que la déréliction est trop pesante, une sorte de compensation aux aléas du quotidien. Ce sont douze apparitions, douze comme comme les heures du jour ou de la nuit, comme la ronde des mois de l’année, comme les signes du zodiaque ou pourquoi pas les douze tribus d’Israël ou les douze apôtres de l’Évangile, parce que Dieu est là présent en filigrane qui transcende l’homme, à la fois mortel et friand d’éternité. La claudication de la femme peut aussi s’entendre comme une pérégrination entre le monde de l’humain et celui du divin. Petit à petit cette femme s’estompe jusqu’à disparaître, mais ce n’est qu’une impression, elle reste ici, tapie dans l’ombre et le secret des murs. Vers la fin, il semble que le jour s’installe alors que jusque çà c’était plutôt une atmosphère nocturne qui prévalait, comme si tout cela s’éclairait avec éventualité du retour d’un homme en allé, d’un amant ou d’un enfant à venir, mais l’ambiance reste automnale et froide, le décor vague et même désordonné. Elle sort du récit comme pour symboliser la libération par les mots mais, à titre personnel je ne suis plus très sûr de leur effet cathartique face à l’obsession de la souffrance et de la mort que j’ai ressentie tout au long de cette histoire.

Le texte est sobre et poétique et j’ai eu envie d’en poursuivre la lecture jusqu’au bout, par curiosité, par intérêt pour l’intrigue de ce court livre qui n’est pas répertorié comme un roman mais qui y ressemble beaucoup. Je me suis laissé porté par ces pages qui m’ont quand même parlé, mais je n’ai peut-être rien compris !

 
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