LA MORT A VENISE – Thomas MANN
- Par hervegautier
- Le 09/10/2013
- Dans Thomas MANN
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N°684– Octobre 2013.
LA MORT A VENISE – Thomas MANN- Fayard.
Il est des endroits sur terre où, parce qu'ils sont plus fascinants que les autres, un être humain souhaite y rencontrer la mort. Ici ce n'est pas tout à fait cela. Cette nouvelle, publiée en 1912 est, comme bien des ouvrages de Thomas Mann, inspirée par sa biographie. L'auteur fit effectivement un voyage à Venise au milieu de l'année 1911 et commença à écrire ce texte.
Le célèbre écrivain munichois, reconnu et anobli, Gustav Aschenbach, la cinquantaine, est pris d'une soudaine envie de voyager. « Il lui fallait une détente, un peu d'imprévu, de flânerie, l'air du large qui lui rafraîchirait le sang, pour que l'été fût supportable et donnât des fruits. Il voyagerait donc...Une nuit en wagon-lit, et un farniente de trois ou quatre semaines dans quelques stations cosmopolites du riant Midi». Le voilà donc parti. Quand Aschenbach est sur la bateau qui l'amène à Venise, une sombre embarcation qui déjà appelle le thème de la mort, il est scandalisé par le spectacle d'un vieux-beau qui cache comme il peut son âge et sa décrépitude. Pour lui l'image de la vieillesse annonce la mort. L'homme fait ce qu'il peut pour cacher son état et cela énerve plutôt Aschenbach. Partout, l'idée de la mort est suggérée, jusque dans la couleur noire des gondoles vénitiennes. Quand il monte dans l'une d'elles qui l'amène à l'hôtel, il souhaite que ce voyage ne se termine jamais, ce qui est aussi l’image de l'éternité et du néant. La sérénissime elle-même n'a rien d’attrayant pour lui, le temps est maussade et l'odeur de la lagune est fétide. Lors d'un précédent séjour, il avait déjà eu cette sensation bizarre et avait quitté précipitamment la cité des doges. A peine arrivé à Venise, il songe donc à repartir à cause de la chaleur pesante et l'odeur répugnante des ruelles quand, dans son hôtel, il croise le regard d'un jeune adolescent polonais de quatorze ans, Tadzio, dont la beauté le bouleverse. Malgré cela, il n'abandonne pas son projet de départ mais un concours de circonstances l'y fait renoncer. Il prend conscience que, grâce à ce contre-temps il décide inconsciemment de rester à cause du jeune homme. Dès lors, il n'a plus d'yeux que pour son éphèbe dont il est follement amoureux et qui, lui semble-t-il, devient peu à peu son complice. Dès lors il est repris du désir d'écrire et c'est Eros qui lui souffle les mots. Il suit Tadzio de loin dans Venise sans vraiment l'aborder.
La saison touristique se termine et une odeur de phénol se répand dans les rues que les autorités justifient par le sirocco et la lourde température coutumière à cette période de l'année. En réalité un étrange mal, le choléra asiatique, s’installe dans la cité et l'épidémie s'étend malgré le silence des services officiels et une décision de quarantaine qui tarde. L’angoisse étreint Aschenbach que ce dernier combat en voulant retrouver un semblant de jeunesse peut-être pour séduire le jeune homme. L’écrivain meurt en contemplant une dernière fois l'objet de son amour.
Ce texte , d'inspiration romantique, est écrit dans une langue très riche et truffée d'allusions empruntées à la mythologie grecque où Éros et Thanatos tiennent une grande place. C'est une histoire de mort et de désir de mort, de passion comme désordre de la vie, inspirée par le dernier amour de Goethe qui, à soixante dix ans, tomba amoureux d'une jeune fille. L'auteur des « Souffrances du jeune Werther » fascinait Mann tout comme il fut bouleversé par la mort du compositeur Gustav Mahler intervenue quelques temps avant son voyage à Venise. L'influence dionysiaque de Nietzsche, une autre référence de Mann, est également présente dans cette nouvelle dont Luchino Visconti a tiré un film « Morte a Venezia » en 1971. On a beaucoup dit que cette nouvelle qui est inspirée par un fait réel, correspond à la révélation de l'homosexualité latente de l'auteur.
La seconde nouvelle intitulée « Tristan » met en scène un écrivain esthète, Detlev Spinell qui n'a jamais connu le succès et s'est retiré dans une sorte de sanatorium à Einsfried situé dans un univers montagneux et glacé . Il est l'archétype de l’égoïste capable seulement de détruire ce qu'il y a de beau autour de lui. Il y rencontre Gabriele Klöterjahn dont il s'éprend. Cette femme, maladive mais très belle va sans doute mourir de tuberculose mais ne répond pas à son amour. Elle vit dans l'ombre de son mari, prospère commerçant et attaché à sa réussite. Spinell, écrivain raté dont le travail essentiel consiste à expédier des lettres qui ne reçoivent généralement pas de réponse, se révèle superficiel face à cette femme. Il est même carrément pitoyable face au mari à qui il écrit à propos de son épouse. Cette atmosphère est un peu surréaliste et le monde qui est ici évoqué semble être déjà loin de la vie. Cette nouvelle de 1903 met en scène Spinell qui incarne la spiritualité esthétique opposée à la bourgeoisie utile représenté par l'époux de Gabriele, thème qu'on retrouvera dans« La montagne magique »(1924), œuvre bien plus célèbre de Mann qui reçut le Prix Nobel de Littérature en 1929. C'est aussi le thème de Tristan et Iseult, qui fut traité par Richard Wagner, celui de l'amour malheureux qui conduit à la mort.
La troisième nouvelle intitulée « Le chemin du cimetière » met en scène Lobgott Piepsam, un veuf qui a perdu également ses trois enfants, qui a été licencié de son travail et qui n'a pas été épargné par la vie au point que face à cette malchance et malgré sa volonté de résister moralement à l'adversité, il a perdu toute relation sociale. Il en a conçu une sorte de mépris de lui-même qui l'a conduit à devenir alcoolique. Cette nouvelle dont le titre est significatif, le présente sur le chemin du cimetière où il va fleurir les tombes de ses défunts. Puis tout à coup, parce qu'il est doublé par un cycliste, un jeune homme présenté comme « la vie triomphante face au marginal solitaire". Il se met à l'insulter sans raison, comme s'il le tenait pour responsable de tous ses malheurs. Alors, coup de folie, manifestation tangible de sa soûlerie ou envie soudaine et longtemps refoulée de désigner quelqu'un comme bouc émissaire ? Si cette dernière explication prévalait, elle me paraît bien humaine cependant.
La mort mais aussi la jalousie, la vengeance contre une destiné contraire ou un amour impossible sont les thèmes centraux de ce recueil.
© Hervé GAUTIER - Octobre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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