Pays de neige
- Par hervegautier
- Le 01/05/2018
- Dans Yasunari Kawabata
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La Feuille Volante n° 1241
Pays de neige – Yasunari Kawabata – Albin Michel.
Traduit du japonais par Bunkichi Fujimori.
C'est dans un wagon de chemin de fer que Shimamura, un homme entre deux âges, marié et père de famille qui va rejoindre la jeune geisha, Komako, dans une petite station thermale de montagne, croise le regard de Yôko, une jeune femme accompagnée d'un homme, Yukio, visiblement très malade. On ne dira jamais assez la magie des trains pour les rencontres qu'ils suscitent. Ce n'est certes pas le thème principal, mais je note que l'intrigue de « Tristesse et beauté » est également introduite par un voyage dans ce moyen de transport. Il y a bien du sortilège dans cette relation triangulaire subtile entre Komako, Shimamura, Yôko, ces trois personnages qui vont se croiser tout au long de ce roman, Yukio, quant à lui restant en retrait, au pas de la mort, mais dont la personne a également hanté Komako dans le passé. Shimamura doit sans doute être un bel homme qui ne peut oublier le regard envoûtant de Yôko comme par le son de sa voix suave et il se sent attiré par elle, cette attirance semblant réciproque mais tout en retenues cependant du côté de Yôko. Pour Komako, c'est un peu différent, elle cherche toujours la compagnie de Shimamura qui n'est pas un inconnu pour elle, mais quand son travail de geisha lui en laisse le loisir et elle se laisse même aller à l'ivresse du saké, ce qui donne d'elle une dimension différente. La relation entre les deux femmes n'est pas non plus exempte d'une certaine jalousie. La mémoire, et spécialement celle que l'amour irrigue, revient sous la plume de Kawabata comme une obsession, mais la thématique du temps qui passe, à travers le très japonais rythme et de l'harmonie de la nature et des saisons de « ce pays de neige », est ici également agréablement soulignée.
J'ai également retrouvé ce charme et cette musicalité des mots, parce que le style de Kawabata est toujours aussi épuré et poétique, surtout quand il évoque la nature apaisante et la beauté et la sensualité féminines qu'à la lecture de « Belles endormies » j'avais qualifié d'hymne à la femme. Mais, comme nous le rappelle Armel Guerne qui préface cet ouvrage, notre auteur est certes un poète, mais qui n'écrit pas de poésie, se limitant à des romans, véritables poèmes en prose, ce qui lui a valu le Prix Nobel de littérature.
La blancheur de la neige est aussi récurrente comme elle l'est dans « Premières neiges sur le Mont Fouji ». Il note son importance dans le blanchissage particulier des exceptionnels tissus de chanvre qu'on tisse dans ce pays. Il faut sans doute y voir une obsession de la pureté, tout comme l'eau dont elle est issue, qui sort ici directement de la terre, c'est à dire de la nature et qui est représentée sous la forme du bain qui non seulement est un rituel nippon mais aussi une sorte de hantise chez cet auteur, comme le symbole fort, une sorte de toilette qui débarrasse l'esprit de ses fantasmes et de ses obsessions.
La mort qui chez Kawabata est un sujet prégnant, puisqu'il a été très tôt orphelin de ses deux parents, perdit également les grands-parents à qui il avait été confié et se suicidera. Ce thème n'est pas absent de ce roman et qui est annoncé par Yukio dont l'état de santé donne des signes de faiblesse. L'embrasement de la fin du roman est comme un point d'orgue mis sur l'éphémère de la vie, sur son côté transitoire et aussi sur l'impossible amour entre Yôko et Shimamura. La solitude qui en résulte et qui fut celle de l'auteur ressurgit dans ce personnage, tiraillé entre ces deux femmes et sa propre famille. Jouant sur la symbolique des couleurs, Kawabata évoque la voie lactée mais aussi oppose à la fin le blanc immaculé du kimono de Komako au rouge du vêtement qu'elle porte en dessous et qui répond à l'embrassement des flammes qui vont mettre fin à la magie de « ce pays de neige », présenté comme une sorte d’Éden hors du temps, un véritable paradis perdu, autant qu'à l 'impossible amour qu'éprouve Shimamura pour Yôko.
© Hervé GAUTIER – Avril 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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