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la feuille volante

A PROPOS DE

Présentation personnelle d'un auteur

  • la revue indépendante

    Dans mes archives personnelles de La Feuulle Volante, je retrouve cet article paru dans La Revue Indépendante (n° 250 Janvier-Février 1996) qui lui était consacré, accompagné d'une lettre d'approbation de son directeur honoraire, Daniel Sor, en date du 23 février 1996.

     

    Quand je reçois La Revue indépendante, je suis frappé par la date de sa fondation, en 1841, et donc par sa longévité (155 ans). Quand on songe à la durée moyenne de vie d'une revue, cela laisse rêveur! Lors de l'Assemblée Générale de 1994, son actuel directeur-rédacteur en chef, Bernard Drupt, ayant préalablement protesté contre le "vol" du titre dont s’était rendu coupable un parti politique, avait proposé que soit affichée sans complexe la date de création malgré les différentes reprises successives de cette revue. C’est en effet en 1841 que fut créée La Revue indépendante par Georges Sand, Pierre Leroux et Louis Viardot, 16 rue des Saints-Pères à Paris.

    Elle fur reprise par Félix Fénéon en 1884. Elle part jusqu’en 1895 avec des signatures prestigieuses sur la vie de son temps. Il y était question de vie publique et politique. Il y eu un vide, comblé en 1927 à 1934 avec un titre un peu modifié, connu sous le nom de La Revue indépendante théâtrale,littéraire, artistique, sportive et de cinéma . C’est sous ce sigle qu‘elle est répertoriée dans l’Annuaire de la Presse de 1928. En 1947 une nouvelle série paraîtra. Elle deviendra, grâce à Robert Morche l’organe du Syndicat des journalistes et écrivains, fondé lui en 1923.

    En fait, l’histoire de cette revue est marquée par de nombreuses péripéties. Le numéro 100 de la nouvelle série, daté de novembre-décembre 1970 mentionnait déjà une refondation en 1912, tout en rattachant ce titre à la création originelle de la revue en 1841.

    Le signataire de l’éditorial de ce numéro, Daniel Sor qui état à l’époque rédacteur en chef, s’interrogea sur les raisons de la longévité exceptionnelle de cette revue. Il remarquait que si toute entreprise littéraire « subsiste et prospère grâce à la curiosité publique », il convenait qu’une revue soit à la hauteur de l’intérêt qu’elle suscite. Il notait que La Revue Indépendante se caractérisait en premier lieu par son éclectisme et son libéralisme, respectant à la fois la liberté d’expression de ses collaborateurs et la conviction intime de ses lecteurs. Il mentionnait également une autre raison à cette longévité. Depuis son origine, la revue s’était toujours appuyée sur des écrivains et des poètes. Ainsi citait-il parmi ses chroniqueurs de prestigieux membres de l’Académie française tels que ; Anatole France, Paul Claudel, Raymond Poincarré, Georges Duhamel, le Maréchal Lyautey… Ainsi dégageait-il l’esprit de cette revue fondée sur la bonne foi et la valeur littéraire. Daniel Sor ne manquait pas de rendre un hommage appuyé à Robert Morche qui avait su relancer cette revue en élargissant son audience et en respectant ses valeurs. Dans la liste des noms qui émaillèrent cette revue, il ne manqua pas de noter ceux dont la sensibilité poétique était marquante car c’est aussi une revue qui s’intéresse aux poètes.

    En tant que rédacteur de cette chronique (La Feuille Volante), j’ai été très tôt destinataire de La Revue Indépendante. Ce qui m’a plu, c’est précisément ce que je m’attache à cultiver pour moi-même, c’est à dire l’indépendance. Daniel Sor dans son article notait que la revue se défend d’appartenir à un parti politique, s’attachent seulement à barrer la route au sectarisme et à l’intolérance  d’où qu’ils viennent, mettant notamment en œuvre une attention toujours en éveil fondée sur la jeunesse.

    Dès le n° 200, Bernard Drupt établissait un constat quelque alarmiste de la situation, faisant état d’inquiétudes face à l’avenir, craignant plus l’indifférence que la satisfaction de ses membres. Dans cet éditorial il réaffirmait l’indépendance de cette revue, rappelait aux lecteurs que cela dépend d’eux et souhait que chacun donne un peu de son temps dans l’intérêt commun, même si le rôle du syndicat avait un peu évolué. Citant Beaumarchais, il adressait quand même un message d’espoir.

    Actuellement La Revue Indépendante en est au numéro 250 ( Janvier-Février 1966), porte toujours le même nom (Corporative, littéraire, artistique, documentaire), se présente sous un format 24/16 à couverture cartonnée et reste l’organe des journalistes et des écrivains. Elle se consacre toujours aux problèmes de société, publie les réflexions et les réactions personnelles des chroniqueurs dans le domaine culturel et littéraire sans oublier la traditionnelle « vie de la revue et du syndicat ». Des poèmes sont également publiés dans chaque numéros qui commence bien sûr par l’éditorial de son directeur. On y trouve également des rubriques critiques autour du cinéma, une revue de presse de France et de l’étranger , des « prières d’insérer » etc.

    Pratiquement chacun de ces numéros a pour hôte le chat d’Arfoll ce qui y met une touche d’originalité.

     

  • 200 DROLES D'EXPRESSIONS que l'on utilise tous les jours sans vraiment les connaître

    N°970– Octobre 2015

     

    200 DROLES D'EXPRESSIONS que l'on utilise tous les jours sans vraiment les connaître Alain Rey – Stéphane de Groot – Le Robert.

     

    La langue française est riche et j'ai toujours plaisir à la lire sous la plume de bons auteurs parce qu'ils la servent correctement et font chanter les mots pour le plaisir du lecteur. Elle est certes la langue de la culture et à ce titre emprunte au passé sous forme de mots latins et grecs notamment mais aussi au présent, c’est à dire aux langues étrangères. C'est ainsi qu'une langue évolue, qu'elle est simplement vivante. Pour autant, celle que nous employons au quotidien s'inspire d'expressions que nous connaissons mais pour lesquelles nous aurions du mal, nous Français, à trouver une explication.

     

    Dans cet ouvrage, Alain Rey, linguiste reconnu et un des principaux créateurs du dictionnaire « Le Robert » nous apporte ses lumières [sans oublier celles de ses collaborateurs] et Stéphane de Groot, comédien mais aussi magicien des mots y met son facétieux « grain de sel » c'est à dire sa note d'humour, encore que ses remarques m'ont semblé discrètes, et même si elles se veulent humoristiques, elles m'ont paru assez éloignées de ce que j'ai pu voir sur Canal+. J'ai même carrément mieux aimé le ton d'Alain Rey que celui de son acolyte. Autant dire que cette édition est placée sous le signe d'une certaine forme d'amusement à laquelle elle nous invite ; le propos, pour être tenu sur un mode badin n'en est pas moins sérieux et documenté et explore les sinuosités de la langue. C'est vrai que la présentation qui en est faite est ludique, pédagogique même. Toutes ces expressions qui font partie de notre langage quotidien ont bien sûr une signification précise que nous connaissons mais nous en ignorons bien souvent l'origine et l'évolution des mots qui la composent. En apprendre le sens en s'amusant n'est pas le moindre intérêt de ce volume qui explore pour chacune d'elles ses origines souvent latines mais encore bien plus souvent populaires. C'est rejoindre un peu Malherbe qui souhaitait que le langage des gens de lettres s'inspire de celui « des crocheteurs du Port au foin », c'est à dire un usage courant de notre langue. En revisitant nombre des expressions qui sont employées en français, cet ouvrage s'inscrit dans cette même volonté. L’auteur explique le sens de chaque formule, la remet dans le contexte souvent historique ou technique, note l’étymologie d'un mot, et sa déclinaison, son évolution qui avec le temps peut devenir parfois absconse, remarque son adaptation dans le vocabulaire courant et actuel, l'opposant parfois à l'usage qu'en font nos cousins québécois, en corrige éventuellement l'orthographe fautive, rectifie à l'occasion un sens erroné, montre tout ce que le langage moderne doit aux siècles passés, aux savants arabes comme aux parlers européens médiévaux, voire à l'ancien français, aux langues régionales, au vocabulaire cynégétique, rural, militaire ou maritime, avec même des précisons techniques souvent surprenantes et l'évolution parfois facétieuse ou carrément fausse que l’usage populaire en a fait. On n'oublie pas non plus de citer les auteurs [la liste en est impressionnante] qui se les sont approprié ou la définition plus classique qu'en donne le dictionnaire, le « Robert », évidemment ! Ce sont ainsi 400 pages de précisions qui enrichiront notre vocabulaire et nos connaissances ou expliqueront des phrases que nous employons chaque jour sans forcément en connaître le sens. Pour être un ouvrage ludique, il n'en est pas moins sérieux et savant puisque la bibliographie de référence est impressionnante tout comme les dictionnaires, celui de l 'Académie, mais pas seulement, qui ont permis son élaboration. Et puis, faire coïncider la sortie d'un tel livre qui ressemble à un dictionnaire (il en a au moins le classement alphabétique) avec la rentrée littéraire est plutôt une bonne idée.

     

    Je ne sais pas ce qui a motivé ma sélection de la part de Babelio que je remercie pour ce choix dans le cadre de « Masse critique »[ainsi que les éditions Le Robert qui m'ont fait parvenir ce livre]. Ai-je été « trié sur le volet » selon la formule ? J'en doute. En tout cas, cela tombe plutôt bien et ce volume qui pour moi est riche d’enseignement, voisinera dans ma bibliothèque avec les nombreux dictionnaires et sera souvent consulté. Cet ouvrage a mérité de ma part une lecture attentive et tellement plaisante que je me permettrai, respectueusement bien sûr, de demander une suite à l'auteur, tant je pense qu'il fera « un tabac ».

     

     

  • LETTRES OU LE NEANT

    N°18 – Novembre 1987.

    LETTRES OU LE NEANT - Annick Dusausoy-Benoit, Anne Fontaine, Marie-Claude Urbain, Guy Fontaine. - Éditions Ellipses.

     

    C'est un lieu commun de dire que lorsqu'on est plongé dans le monde du travail et qu'on n'est pas amené par sa profession à entretenir ses connaissances littéraires ou à en acquérir d'autres, non seulement on perd du vocabulaire mais encore on a du mal à conserver le savoir acquis lors des études. D'autre part, on ne peut pas tout lire et notre civilisation des loisirs nous invite plus au voyage, à la fréquentation de la télévision, des jeux vidéos ou de l'informatique qu'à la lecture. La démarche n'est simplement pas la même… Ainsi, rencontrer un auteur à travers son œuvre ou faire soi-même la synthèse de la littérature d'un pays ou d'une époque met souvent en lumière de profondes lacunes qui sont le plus souvent l'invite à abandonner notre quête plutôt que de la poursuivre.

     

    Ce livre de référence, écrit par des spécialistes, comble à tout le moins en partie cette lacune. Les articles vont à l'essentiel,expliquant, commentant et comparant des textes judicieusement choisis avec un constant souci de pédagogie. Il est important de signaler que la parole est aussi donnée aux créateurs qui savent mieux que personne parler du roman, de la poésie ou du théâtre parce qu'ils les pratiquent eux-mêmes. Ils donnent ainsi une approche plus personnelle à cette question. Cela éclaire leur œuvre et ce n'est pas le moindre intérêt de ce livre que de présenter ainsi les choses.

     

    Outre les citations d'auteurs, l'aspect pédagogique du livre est renforcé par la présentation claire et concise de tableaux qui fixent les idées, sans oublier les définitions et explications de termes de rhétorique qui, pour faire partie de langue française n'en ont pas moins fui notre vocabulaire quotidien. C'est une approche originale de l'histoire de la littérature, liant le nom de l'écrivain à celui plus marquant d'un roi, d'un événement historique, ce qui fixe ainsi mieux les choses, comparant des textes en en faisant ressortir l 'originalité, les replaçant dans le contexte de l'évolution historique, montrant ainsi l'influence qu'un temps peut avoir sur la création littéraire et artistique , et de quelle façon l'art, en retour, en porte témoignage.

     

    On en peut pas dire qu'il s'agit d'un ouvrage supplémentaire. Il ne ressemble en effet à aucun autre livre. Ceux-ci en sont bien souvent qu'une compilation de connaissances.

     

     

     

     

  • INITIALES

     

    N°567 – Avril 2012

    INITIALES (Association des libraires) – Dossier n°26.

    Fiction et mémoire, la guerre civile espagnole.

    Pour aborder un thème historique il est deux manières. L'une tient à la fiction et l'autre à l’étude classique. Pourtant, certains faits, surtout s'ils sont baignés par la violence, résistent à l'écriture, quelle que forme qu'elle prenne. Soit cela résulte d'un parti-pris de l'auteur (on songe aux rescapés des camps de concentration qui ont choisi de se taire volontairement, faisant prévaloir la vie sur la mort), soit les événements interdisent qu'on en parle. La Guerre civile espagnole (guerre incivile disent certains) est de ceux-là. Pendant son déroulement, elle inspira pourtant de grands écrivains, Hemingway ou Malraux, mais sans vouloir minimiser leurs témoignages, ils en ont surtout donné une version lyrique, nourrissant l'imagination des étrangers au conflit, donnant une vision romantique de la guerre, côté républicain. Puis ensuite plus rien à cause de la censure franquiste qui imposa près de quarante années de silence, de répression, d'exil et de mort pour les vaincus.

    A partir de 1975, des écrivains espagnols, qui bien souvent n'ont pas connu le conflit ont décidé de s'emparer de cette mémoire, d'en faire l'axe de leur œuvre mais aussi de ranimer la culture historique collective que le franquisme avait efficacement confisquée aux Espagnols. Alfons Cervera (né en 1947) s'est approprié cette période d'après-guerre . L'oubli, si savamment orchestré est tellement grand dans l’inconscient collectif qu'il se produit parfois, par le miracle de l'écriture, une sorte de réminiscence, en ce qui le concerne puisée dans son histoire familiale. On ne dira jamais assez combien la création artistique est une alchimie et combien l'auteur peut, au premier chef, être surpris par le résultat. Comme tout écrivain, il a d'abord cherché à raconter des histoires mais s'est très vite aperçu qu'il existait « des territoires de la mémoire à explorer » et a donc fait sien ce vaste et complexe espace historique qui va de la seconde république à la démocratie retrouvée en passant par la dictature, la transition... Ainsi cette période, « pleine de lumières et d'ombres » s'est-elle imposée à lui comme un thème de réflexion et de création. Ainsi l'écrivain, à travers son histoire familiale faite de soumission, de silence, prend-il en charge la mémoire collective qui avait longtemps été dédiée à l'oubli, dénonçant par l'écriture ce que fut le régime franquiste, se faisant ainsi le porte-parole des vaincus et leur rendant leur dignité. Pourtant, ce besoin de ne pas oublier et de témoigner avait existé malgré la dictature et même pendant la période de transition pendant laquelle on prônait le principe officiel de « ni vainqueurs ni vaincus ». On n'avait pourtant pas ouvert toutes les fosses communes et les condamnations prononcées par les tribunaux franquistes n'étaient pas toutes effacées. Restait aussi la mémoire familiale, nécessairement pudique et silencieuse de ces ouvriers et de ces paysans pauvres qui s'étaient dressés contre l’invasion fasciste. Nombreux furent les témoins qui se manifestèrent par l'écrit, se faisant l'écho de ce conflit à la fois absurde et sanglant qui mit en perspective la délation, le déchirement familial, donna à cette guerre son visage horrible, montra la folie des hommes et révéla, une nouvelle fois, la véritable nature humaine.

    Puis vinrent les auteurs contemporains qui, en quelque sorte, prirent ce relais malgré le risque du « radotage », de la redite devenue peut-être inutile. C'est que, une guerre civile ne ressemble pas à un conflit armé traditionnel et porte en elle une dimension manichéenne. De plus, on a eu tendance à oublier que la république avait été démocratiquement élue alors que Franco était le rebelle putschiste. Puis il y eut le reste, les faits d'armes de chaque camps, les atrocités des deux côtés, mais bénis par l’Église catholique quand ils étaient franquistes, le combat inégal, les républicains soutenus par les communistes et surtout par les Brigades internationales, les nationalistes trouvant leur soutien parmi les puissances fascistes, le déchirement interne des républicains, les défections anglaise et française, les camps de concentration français pour les vaincus... Comme le dit Tony Cartano, l'Espagne reste, aujourd'hui encore divisée « entre ceux qui prêchent l'oubli et ceux qui réclament justice contre les crimes franquistes ». L'expérience du juge Garzon est sans doute là pour le prouver. Pourtant, la libération de l'Espagne passe à n'en pas douter par la parole ! Elle porte la mémoire individuelle d'un parent qui devient collective, a travers la honte de la retirada , l'exil en France, la résistance au maquis contre le nazisme, le rêve avorté de reconquête de l'Espagne, l'exil durable pour les combattants et leurs familles.

    Ce numéro rend également hommage aux femmes, romancières contemporaines qui font elles aussi entendre leur voix mais surtout ces combattantes, soit figure emblématiques de la république, comme Dolorès Ibarruri, soit ministre de la santé comme Federica Montseny ou photographe comme Gerda Taro, la compagne de Robert Capa, tuée en 1937 à la bataille de Brunete.

    Ce conflit qui pourtant ne déborda pas l'Espagne eut un retentissement mondial non seulement à cause de Guernica que Picasso immortalisa, mais aussi parce que des intellectuels, et pas seulement eux, s'engagèrent dans les Brigades internationales pour défendre la liberté ainsi attaquée, parce que des écrivains étrangers de toutes les nationalités prirent parti pour un camp ou pour un autre, médiatisant ce conflit à en faire une légende, faisant qu'à l'extérieur au moins il ne tombe pas dans l'oubli.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Quelques mots sur le roman picaresque

     

     

    N°558 – Mars 2012

     

    La vie de Lazarillo de Tormes - Anonyme.

     

    Ce livre raconte les tribulations d'un orphelin d'une dizaine d'années dans l'Espagne du XVI° siècle entre Salamanque et Tolède. Pour lui la vie a mal commencé et il est confié par sa mère, veuve, à un aveugle avaricieux et vagadond qui subsistait en récitant des prières, en mendiant et en exerçant une activité de pseudo-guérisseur. L'enfant lui servit de guide mais surtout de souffre-douleur. Il en acquit une expérience particulière qui l'amena à être aussi malin que ce maître qu'il finira quitter pour se mettre au service d'un prêtre ladre et dépourvu de toute charité qui le congédie.

    Poursuivant sa quête de mieux-être il se mettra au service d'un écuyer impécunieux et malhonnête qui l'abandonnera à son sort, puis il proposera ses services à un moine qui n'avait que peu de goût pour la vie monastique. Après quelques aventures, il entrera au service d'un bulliste, hâbleur et charlatan qui vendait des bulles papales et surtout les indulgences qui allaient avec à un public populaire et crédule. Le garçon ne manqua pas de s'apercevoir que ce commerce était avant tout basé sur la naïveté de la clientèle mais aussi sur des manœuvres où la supercherie et la dévotion religieuse n'étaient pas absentes. Le garçon finit par rencontrer un chapelain qui le traita passablement et qui lui permit de s'insérer dans la société en devenant crieur public. Enfin, il croisa la route d'un archiprêtre qui le maria avec sa servante et fit de lui un citoyen honnête, même si la lecture de l'épilogue peut signifier que Lazarillo souhaita faire perdurer sa situation, même au prix d'une complaisance conjugale.

     

    Il s'agit d'un écrit anonyme, publié en 1554 à Burgos, mais le style du texte, la richesse du vocabulaire, le respect de la syntaxe, l'analyse des situations et la pertinence des remarques donnent à penser que l'auteur ne peut être qu'un lettré et qu'un homme cultivé. Ce livre fut bien entendu censuré par l'Inquisition et parut en 1573 sous une version expurgée. Des noms d'auteurs sont avancés notamment comme celui de Diego Hurtado de Mendoza y Pacheco[1503-1575], poète et diplomate espagnol, Lope de Rueda [1510-1565] dramaturge et poète espagnol, de même que celui de Sebastien de Harozco[1510-1580] et même celui d'un moine dominicain et professeur de mathématiques Juan de Ortega [1480-1568]. On a même pensé que l'auteur pouvait être un chrétien espagnol vivant en Flandres, à cause de la parenté de Lazaro avec Till Ulenspiegel. Bien entendu rien n'est confirmé.

     

    C'est, en tout cas l'occasion pour l'auteur de se livrer, sous couvert d'un récit facétieux, à une évocation critique de la société à une période que l'Histoire a cependant retenu sous le nom de « Siècle d'Or ». Elle présente Lazarillo comme un jeune garçon sans expérience dont le seul et unique but est de manger mais qui finalement parvient à une certaine aisance matérielle. Le texte s'inspire de la tradition orale populaire et s'inscrit dans un contexte satirique mettant en scène le mendiant, le prêtre avare et l'écuyer(variante de l'hidalgo) ridicule et famélique.

     

    A titre personnel, j'ai toujours été extrêmement intéressé par cette période de l'histoire littéraire espagnole.

     

    Quelques mots sur le roman picaresque.

     

    Le roman picaresque est né en Espagne au XVI° siècle. Cela vient du mot espagnol :« picaro » qui signifie misérable, mais aussi futé, malicieux.

    D'aucuns en font remonter l'origine à l'Antiquité et plus particulièrement à Apulée, écrivain d'origine berbère né probablement en 123 après JC et mort vers 170. Son œuvre principale est « L'âne d'or » où le héros, un aristocrate nommé Lucius est transformé par accident en âne et connait différentes aventures parfois burlesques mais aussi malheureuses.

    Le roman picaresque se caractérise par une vision critique de la société et des mœurs de l'époque. Sa construction d'une grande liberté permet à l'auteur de faire se succéder sans grande logique des épisodes différents au sein d'un même récit. En ce sens, il diffère des genres littéraires traditionnels comme la tragédie ou le discours qui répondent à des règles de constructions très précises. La peinture sans complaisance de la société implique en effet une liberté totale d'expression. Il s'oppose également au gongorisme, très en vogue au temps des Habsbourg

    Le picaro est toujours d'un rang social très bas, constamment aux prises avec la faim, la souffrance et la malchance. En ce sens, il est l'exact contraire du chevalier à la condition et à l'idéal plus élevés. Le picaro est le type même de « l'anti-héros » qui vit en marge et ne recule devant rien pour améliorer sa condition, pourtant il échoue toujours dans cette entreprise. Quoiqu'il fasse, il restera toujours un déshérité !

    Pour autant, le picaro qui entre pour survivre au service de différents personnages qui lui sont socialement supérieurs ne manque pas de critiquer son nouveau maître. Il y a donc dans sa démarche une dimension satirique incontestable et même moralisatrice puisque la conduite dévoyée d'un individu se termine souvent soit par un repentir soit par une punition. N'oublions pas non plus que ce genre littéraire s'épanouit à un moment connu pour être « l'âge d'or » de l'Espagne, ce qui en fait un témoignage exceptionnel du point de vue psychologique et sociologique.

    Du point de vue style, le texte est souvent rédigé à la première personne ce qui peut faire passer, à tort cependant, le récit pour une autobiographie. Il évoque le parcours aventureux du héros, souvent obligé de changer de maître au gré des nécessités puisque sa seule préoccupation est de survivre, c'est à dire de manger, dans une société dont il semble exclu ou dans la quelle il a le plus grand mal à s 'insérer.

     

    Ce genre littéraire a été illustré notamment par « La vie de Lazarillo deTormes » (1553), récit anonyme, par « Guzman de Alfarache » (publié en deux parties en 1599 et 1604) de Matéo Aleman, par « Las relaciones de la vida y aventuras del escudero Marcos de Obregon » (1618) de Vicente Espinel, par « El buscón » de Francisco de Quevedo. Alain-René Lesage [1668-1747] peut être considéré comme l'héritier français du roman picaresque avec « Gil Blas de Santillane »

     

     

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  • DICTIONNAIRE DES MOTS RARES ET PRECIEUX

     

    DICTIONNAIRE DES MOTS RARES ET PRECIEUX - Domaine français- dirigé par Jean Claude Zylberstein - Collection 10/18.

     

    J'ai peu l'habitude de donner mon avis sur un dictionnaire, mais celui-ci me paraît original et mérite l'attention du "lecteur". C'est en effet un ouvrage que j'ai consulté avidement, autant pour enrichir mon vocabulaire que pour goûter les délices de notre langue et ce d'autant plus volontiers que nous perdons chaque jour malgré nous et par le non-usage des mots français au profit de termes étrangers que notre langage assimile aussitôt. Certes, c'est bien puisque notre langue ainsi évolue (c'est en cela qu'elle est une langue vivante) grâce aux apports extérieurs.

    J'ai toujours été frappé par le fait qu'à chaque édition d'un dictionnaire, celui-ci fait la même épaisseur que le précédent alors qu'il comporte des ajouts de mots. Pour cela il est évident qu'il faut en sacrifier d'autres et que ces derniers ne peuvent être que des mots anciens, c'est à dire rares et relativement peu usités. Le plus souvent les mots rajoutés sont nés du "franglais", ce qui est bien triste mais je crois me souvenir avoir entendu de la bouche d'un éditeur que le rôle d'un dictionnaire est actuellement non pas tant de conserver la langue dans sa pureté originelle que d'en expliquer les mots nouveaux pour qu'ils soient compris de tous, même si pour cela il faut consentir à des sacrifices.

    Cet ouvrage me paraît donc venir utilement combler le vide ainsi creusé par les éditions successives des dictionnaires.

    Et puis il y a le plaisir d'apprendre et de découvrir. Qu'est-ce donc qu'étriver, qu'une gradine, qu'un moisement, qu'une panneresse ou qu'un récibion? Tous ces mots venus d'un passé lointain, souvent technique ont conservé, par cela même qu'ils n'ont pas été mâtinés une fraîcheur et une musique dont il serait dommage de se priver.

    Ne vaut-il pas mieux préférer le mot juste à une périphrase peu élégante? Par exemple "Echampir" pour dire imiter le relief des objets en en soulignant les contours ou "dévoler" pour indiquer qu'on a fait de mauvaises affaires. C'est peut-être quelque peu désuet mais ô combien évocateur même si cela peut paraître pédant!

    C'est vrai que "la richesse de notre langue fait qu'un grand nombre de mots nous sont pratiquement inconnus" mais il est également vrai de constater que "notre langage est en perpétuel mouvement, soumis sans cesse au flux et au reflux qui tour à tour masquent et découvrent tel ou tel secteur."

    En tout cas, pour ma part, je suis disposé à poursuivre avec plaisir ce merveilleux voyage au pays des mots qui sont aussi le véhicule de la poésie.