la feuille volante

Alexis Ragougneau

  • Niels

    N° 1446 Mars 2020.

     

    Niels – Alexis Ragougneau – Viviane Hamy.

     

    Nous sommes au Danemark à la fin de la deuxième Guerre Mondiale. Niels Rasmussen qui a été un résistant courageux pendant cette période est maintenant confronté à l’après-guerre où il n’est plus question de combattre les troupes allemandes mais d’empêcher les communistes d’occuper le pays. Pourtant, au moment où il va pouvoir recevoir les lauriers de son action, il part pour la France où un auteur de ses amis, Jean-François Canonnier, dont jadis il a mis en scène trois de ses pièces à Paris, va passer devant une cour de justice pour intelligence avec l’ennemi et a toutes les chances d’être exécuté. Il considère de son devoir de le défendre, et ce malgré Sarah et son enfant à naître et traverse une partie de l’Europe dans des conditions rocambolesques. Il ne tarde pas à s’apercevoir que, par un mystère qui s’est vérifié chez beaucoup d’acteurs et d’écrivains pendant cette période, son ami, oubliant son talent littéraire, à préféré se compromettre avec l’occupant pour obtenir la reconnaissance et faire échec au silence et sans doute à l’oubli. Certes il n’était qu’un auteur de seconde zone, une seconde plume de la littérature mais c’était un choix suicidaire qui a amené, à la Libération, à son arrestation comme ce fut le cas de nombreux hommes de Lettres et de théâtre, avec des fortune diverses cependant. Cette prise de conscience de la part de Rasmussen, authentique Résistant, se sent au fil des pages, on le voit hésiter, se renseigner, tenter de comprendre, reporter la rencontre avec cet ami et peut-être son témoignage qui le sauvera. Comme par contraste et pour illustrer la différence entre l’attitude de Canonnier et la sienne, les analepses se succèdent , les exécutions des traîtres à la patrie danoise avec cette interrogation intime de savoir si son rôle de justicier était justifié. En détruisant les décors du théâtre de l’Olivier, il cherche à effacer la trahison de son ami mais les fantômes de ce cette période lui reviennent en pleine figure. Au cours de son procès, Canonnier est absent, comme s’il avait hâte d’en finir avec cette épreuve et peut-être aussi avec la vie. Cette attitude peut apparaître étrange à Rasmussen mais ce qu’il va apprendre par la suite, comme une confession, la justifiera. Il va prendre conscience de s’être complètement trompé à son sujet, d’être passé de bonne foi à côté de cette facette de sa personnalité qui devait sans doute dormir depuis longtemps et que les circonstances ont réveillé. L’amitié peut-elle survivre à ce genre de révélation, peut-on à ce point oublier ce qu’on a été et tourner la page pour une nouvelle vie, l’oubli étant un des apanages de l’espèce humaine, a-t-on le droit moral de vendre son âme pour un peu de notoriété et de reconnaissance, peut-on s’octroyer toutes les libertés au seul motif que les circonstances les favorisent, peut-on se tenir quitte de ses faux-pas quand on a « payé sa dette à la société » ?

    Ce genre de temps troublés nous donne à voir des aspects peu glorieux de l’espèce humaine, veulerie, couardise, trahison, palinodie, flagornerie, délation, opportunisme, ce qui n’est pas sans nous inviter à nous poser des questions sur nous-mêmes et surtout sur ceux qui, après la guerre ont mis en sourdine leur période de collaboration pour tenir des rôles retirés ou officiels une fois la paix revenue. C’est sans doute facile pour nous qui n’avons pas connu cette période où il fallait survivre, de prendre position. Que penser de ces temps qu’on croyait révolus alors que notre XXI° siècle connaît des périodes meurtrières d‘antisémitisme… ?

    C’est un roman divisé en 5 actes, comme une pièce de théâtre, haletant passionnant autant que dérangeant par les questions qu’il pose parce qu’il met l’être humain, face à lui-même, Rasmussen, l’idéaliste face à Canonnier, l’opportuniste, dans des circonstances aussi exceptionnelles que douloureuses. Il s’y mêle des moments du quotidien, de l’Histoire de cette période, et surtout des pistes de réflexions, dans un style fluide, agréable à lire.

    ©Hervé Gautier mhttp:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Opus 77

    N° 1429 - Février 2020.

     

    Opus 77 Alexis Ragougneau – Éditions Viviane Hamy.

     

    L’opus 77 de Dimitri Chostakovitch, concerto n°1 en la mineur pour violon, qui selon l’auteur « symbolise le combat de la lumière face aux forces obscures » est l’image de la vie de ce compositeur, ballotté par Staline entre la reconnaissance et la déchéance. C’est aussi autour de cette œuvre que tourne cette histoire, celle des Claessens, dominée par le père, pianiste virtuose puis chef de l’Orchestre de la Suisse Romande, à la manière de la statue du Commandeur. La mère Yaël est cantatrice mais arrête tôt sa carrière, dans la dépression et fait figure d’absence dans ce roman, David le fils aîné, génial violoniste doué d’une impressionnante mémoire et Ariane, pianiste d’exception, complètent ce tableau. C’est elle, la narratrice de cette saga qui, presque sur le ton de la confidence et au rythme de cet opus 77 dont elle détaille chaque mouvement, nocturne, scherzo, passacaille, cadence, burlesque, prête au lecteur l’envol des notes, la difficulté du rôle de soliste face à la partition et à l’orchestre, lui fait partager tout le plaisir de la musique autant que les rebondissements de cette histoire familiale. A l’aide de nombreux analepses, elle alterne les derniers moments de son père et son cheminement vers la mort avec les souvenirs qui ont émaillé la vie de cette famille et spécialement ceux qu’elle partage avec son frère. Aux obsèques, Ariane jouera au seul piano cette pièce au lieu d’une marche funèbre et c’est ce même morceau qui aurait pu ouvrir les portes du succès à David au prestigieux concours « Reine Elizabeth » de Belgique, mais qu’il a refusé de jouer jusqu’au bout, annihilant ses chances de succès, puis disparaissant du jeu, de la société, de la musique pour une retraite solitaire. C’est ce même opus qui réunira au pas de la mort le fils et le père, comme si cette ultime rencontre pouvait gommer toutes ces années perdues.

    Ce que je retiens, c’est l’attitude de David qui, surdoué et promis à un bel avenir, choisit le silence face à un concours dont ils aurait été le lauréat et qui choisit l’isolement quasi monastique dans un bunker suisse en pleine montagne. Cette manière de gâcher ses chances et ses dons m’interpelle dans un monde où la réussite est portée au pinacle, où il faut impérativement se faire valoir, se vendre pour avoir la notoriété, l’argent, l’admiration des autres et peut-être l’estime de soi.

     

    Tout au long de ma lecture, j’ai pensé à cette citation d’André Gide « Famille je vous hais » qui tranche tellement sur la vision traditionnelle qu’on veut en donner et qui ressemble un peu trop à une image d’Épinal. Tout aurait pu aller pour le mieux dans le meilleur des mondes dans ce microcosme voué à la musique mais l’ambiance y était étouffante. Si le frère et la sœur sont intimement liés et la mère vouée aux médicaments, le père, que la narratrice n’appelle que par son nom, rendu volage par le succès et peut-être aigri par la maladie naissante, entend imposer le piano à ses enfants. Mais c’est le violon que choisit David, comme un désaveux. C’est cette même forme de contestation qui le fait s’éloigner du giron familial et se donner en spectacle dans la rue pour quelques pièces. Certes Ariane surnommée « La rouquine » sera pianiste, mais elle n’est pas tendre avec son géniteur et ce qu’elle dit ressemble à un règlement de compte. Ce qu’elle aime, elle, c’est surtout c’est la liberté et la vie dont elle entend bien profiter.

     

    Je ne suis pas un mélomane averti et encore moins musicien mais j’ai apprécié la manière dont l’auteur, dans un style fluide et agréable à lire, détaille et explique cette œuvre musicale, c’est souvent technique et approfondi mais ça n’exclut ni l’émotion ni le plaisir de la lecture.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.comN° 1423 - Janvier 2020.

     

×