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la feuille volante

Alfons CERVERA

  • TANT DE LARMES ONT COULE DEPUIS

    N°803 – Septembre 2014.

    TANT DE LARMES ONT COULE DEPUISAlfons Cervera- La contre allée.

    Traduit de l'espagnol par Georges Tyras.

    Nous sommes à Los Yesares le jours de l'enterrement de Teresa dont il est question dans « Ces vies-là »(La Feuille Volante n°566). Le narrateur, installé en France, à Orange, avec ses parents depuis de nombreuses années, revient pour assister à cette cérémonie. Comme à chaque fois, dans ce genre de rencontre autour d'un mort, on retrouve famille et amis et c'est l'occasion d'égrener des souvenirs. Les histoires d'amour s'y mêlent à celles des disparus, on évoque la guerre civile, l'exil, la détresse et la survie dans un autre pays que le sien. C'est que ce village a été, comme les autres, marqué par la guerre civile, le franquisme, la crise économique, le déracinement, les vagues successives d'émigration...

    Le narrateur alterne son témoignage et les souvenirs d'autres personnages pour réveiller la mémoire. On a parlé « d’écriture chorale » à son propos. Cette histoire s'écrit à travers les vivants et les morts mais en tout cas dans ces « vies insignifiantes » qui se sont déroulées dans le silence, le bruit, les corps et les images qui reviennent au hasard des souvenirs de chacun. C'est une sorte de labyrinthe ou l'oubli parfois cohabite avec le mensonge parce qu'on fait prévaloir le masque rassurant des apparences. Certains sont revenus définitivement, d'autres n'y font que des visites ponctuelles comme le narrateur, mais tous ont en commun une mémoire qui les relie entre eux. Ils ont tous connu, en France où ils sont venus travailler, le rejet, le mépris, le racisme...Tous ces témoignages nécessairement fragmentaires sont comme les morceaux d'un puzzle, ils en ont le mystère et l’hésitation, l’approximation parfois. Ils sont pleins de colère, de douleurs, d’espoirs déçus. Petit à petit cela forme une sorte de tableau, à la fois impressionniste et réaliste, comme si l'écriture faisait échec à l'oubli et peut-être invitait le lecteur à faire sien le sentiment de révolte, de crainte et de douleurs de tous les exilés de tous les temps et de tous les pays. Ils seront toujours les boucs de la population et la cible des extrémistes.

    Le style est simple, dépouillé, poétique souvent. Les chapitres sont brefs et des analepses qui mélangent présent et passé laissent une impression de permanence.

    Le narrateur nous parle aussi de lui et sème dans son texte des références de ses lectures personnelles où René Char voisine avec Antonio Marchado, Jorge Luis Borges avec William Faulkner.

    Alfons Cervera (né en 1947) fait partie de ces écrivains qui se sont appropriés cette période de l'histoire espagnole qui va de la seconde république à la démocratie retrouvée et qui ont voulu, par l'écriture, faire échec à l'oubli qui caractérise tant l'inconscient collectif de nos sociétés humaines. Comme tout écrivain, il a commencé par raconter une histoire familiale, forcément pudique et silencieuse en y mêlant souvenirs et imaginaire mais il s'est aperçu assez vite qu'il y avait « des territoires de la mémoire à explorer » avec ces zones d'ombre et de lumière. Il en a fait un thème de réflexion et de création en y incluant la mémoire collective, en se faisant le porte-parole des vaincus, prenant en compte leur témoignage, leur exemple et leur rendant ainsi leur dignité.

    Il devient ainsi non seulement un écrivain classique avec son bagage de rêve et de dépaysement mais aussi le « témoin » d'un monde qu'il n'a peut-être pas connu directement mais qu'il fait revivre en l'évoquant par la mémoire et en nous invitant à y réfléchir.

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Ces vies-là

     

    N°566 Avril 2012

    CES VIES-LA Alfons Cervera. Éditions la contre-Allée

    Le décès d'un parent est souvent l'occasion de relations longtemps cachées sur son parcours, sur sa vie. Chacun apporte son témoignage, on libre la parole, on fait valoir des convictions, on exhibe des preuves, des photos, des papiers, on pose des questions qui appellent des réponses, des commentaires parfois. Des légendes souvent patiemment tissées s'effondrent d'un coup et des affirmations trouvent soudain leur justification. Tous ces secrets de famille révélés en un jour écornent ou renforcent l'image du défunt.

    Quelques temps après la mort de sa mère, l'auteur qui est aussi le narrateur, participe un colloque Grenoble sur le thème "Témoins et témoignages, mémoire individuelle et collective". C'est pour lui l'occasion de revenir sur les dernier jours de cette femme dont une chute apparemment sans gravité avait révélé une tumeur qui allait l'emporter. Pendant un an et demi, elle avait subi patiemment soins et examens médicaux , comme si la mort, avec elle, avait pris son temps. Elle s’était accrochée à la vie tout en appelant la mort de ses vœux. L'auteur se souvient des signes inquiétants survenus avant son décès, de cette longue agonie, de ses silences, de ses moments d'absence, de cette lente progression de la maladie, de la peur qu'on ne peut maîtriser, peur de l'inconnu, du moment fatal et incontournable, peur de souffrir, de mourir [pourtant il cite opportunément Thomas Berhnard "  Je ne comprends pas la peur de la mort parce que mourir est aussi normal que manger  "], peur de l’au-delà, du néant ou de l'inconnu, peur d’être enterrée vivante. La mort guette et elle est patiente. Bien entendu elle inaugurera une longue période d'oubli que ceux qui restent combattront avec leurs moyens. Cervera a choisi l’écriture pour exorciser à la fois cet oubli et ce deuil. L'ouverture de cette succession révèle aussi des documents dont il n'avait jamais entendu parler, qui attendaient sans doute depuis des années et qui concernaient son père mort depuis 16 ans d'un infarctus. L'un disait qu'il avait été condamné à 12 ans de prison en 1940 et l'autre, de 1952, annulait cette condamnation et ce un an après la fin de la guerre civile espagnole qu'il avait faite dans le camp républicains ! Pourtant, il n'aurait jamais été emprisonné. Autour de cet événement, le mystère s’épaissit au cours du récit d'autant que la vieillesse et la maladie ont gommé la mémoire de ceux qui l'ont connu. Nous apprendrons plus tard que ce père a simplement été condamné sur dénonciation, après le conflit, pour avoir participé à l'attaque d'une maison où étaient conservées des reconnaissances de dettes de tout le village. Cette condamnation a été commuée en exil intérieur. Lui qui était boulanger au village de Los Yesares dut partir pour Valence où il se fit laitier. Cet épisode familial est, pour Cervera, à travers le souvenir de son père, l'occasion de prendre son compte   la mémoire des vaincus de cette guerre meurtrière qui ensanglanta le pays et engendra, même après la fin du conflit, haine, exil et assassinats sommaires.

    J'ai bien aimé ce texte écrit d'une manière nostalgique et mesurée, simple et parlante à la fois["  Nous construisons nos vies sur l’échafaudage de nos souvenirs"], sans que je sache exactement si cette impression est due au style de l'auteur ou la qualité de la traduction.[ Sans vouloir faire offense aux auteurs en général, certaines traductions, tout en restant fidèles au texte original, sont de véritables recréations au cas particulier cela n'a d'ailleurs pas dû être très facile puisque j'ai noté au milieu du roman, une phrase sans ponctuation, qui fait un chapitre entier, court, certes, mais quand même !] Qu'importe d'ailleurs, lire est un plaisir chaque fois renouvelé surtout quand le texte sert si bien notre belle langue française.

    J'ai appris aussi, de la part de Cervera qui confesse ne jamais se séparer d'un cahier où il note tour ce que lui inspire l'instant, les aphorismes sur l”écriture " Écrire est un acte héroïque, un labeur impossible, une erreur, la seule écriture descente est celle du silence", "Lire est une autre forme d'écriture, une autre erreur". J’adhère assez cette analyse de l'écriture, ce qui est du domaine du non-dit et le sera toujours à cause de l’impossibilité de s'exprimer ou par la non-volonté de le faire, à cause de motivations qui resteront à jamais secrètes parce que l'art de la parole écrite n'est pas forcement libératrice et ne doit en aucun cas être quelque chose qu'on fait pour plaire aux autres. Elle peut être un exorcisme mais elle reste toujours en retrait de ce qu'on voudrait dire et qu'on ne dira jamais, sans doute parce que la douleur qu'on porte en soi est trop forte et que tenter de l'exprimer est la fois désespéré et inutile. Pire peut-être ? Cet exercice est souvent un pauvre cautère et il est illusoire de penser que le lecteur puisse s'y retrouver ou s'y reconnaître. Il est quand même paradoxalement nécessaire parce qu'il est le vecteur de la mémoire.

    Alfons Cervera (dont il est déjà question dans le n° 564 de cette chronique) est un de ces écrivains du renouveau littéraire espagnol. Il a choisi de faire sien le combat contre l'oubli en portant la parole des vaincus de la Guerre civile, des bannis, des morts et de leur redonner une mémoire que la dictature franquiste avait si longtemps étouffée.Ce roman est le deuxième publié en français.

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    c Hervé GAUTIER - Avril 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • Maquis

     

    N°564 – Avril 2012

    MAQUIS – Alfons Cervera -Éditions La Fosse aux Ours.

    Traduit de l'espagnol par Georges Tyras.

    Ce sont en réalité de petites anecdotes racontées à la manière des gens du peuple, de ce petit village de la province de Valence après la victoire des franquistes. Là, des hommes prennent le maquis pour résister à la Guardia Civil sans pitié pour ceux qui restent, les enfants et les femmes des maquisards.

    Grâce à des analepses et à différents témoignages éclatés dans le temps, les choses se révèlent, faites de souffrances, d'humiliations, d'embuscades et d'exécutions sommaires comme les affectionnaient les franquistes. C'est pour y échapper que les hommes se réfugient dans la montagne et choisissent de résister à Franco mais aussi peut-être pour venger la défaite républicaine et leurs camarades assassinés par les vainqueurs. Ils s'appellent, « Paco Haute tension » Justino Sanchez, Sébas, Nicasio, Ojos Azules, et ont été les victimes du caporal Bustamente, misérable petit chef de la Garde Civile qui fait régner la terreur dans le petit village de Los Yesares. Les circonstances font que celui-ci se croit autorisé a perpétrer des violences contre ceux qui sont restés au village pour qu'il dénoncent ceux qui l'ont quitté et qui les harcèlent. Il fait régner la terreur qui donne aux vainqueurs tous les droits, tortures, humiliations et assassinats pour affirmer leur autorité. A chaque page il y a la peur de la mort, celle des autorités chargées de maintenir l'ordre moral franquiste, le maire, le curé, les notables, le chef de la phalange, le caporal Bustamente et son arbitraire, celles des gardes qui craignent les représailles des maquisards, celle de son voisin qui peut parfaitement devenir un délateur... Une sorte de folie ordinaire s'empare de ce village perdu et oublié où le maquisard n'est qu'un nom, qu'une frêle silhouette promise à la mort ... et le combat est tellement inégal !

    Ce n'est pas un roman, mais un récit, inspiré peu ou prou par l'histoire familiale de l'auteur, réalisé à petites touches avec différents témoignages d'hommes déjà morts, écrits dans un langage volontairement populaire mais aussi éminemment poétique. Il marque ainsi une phase de résistance au franquisme, entre la fin de la guerre civile et les années cinquante, période marquée par la peur, la culpabilité, l'oubli et, bien sûr, la répression, avec aussi, au début, l'espoir un peu fou des vaincus que Franco sera délogé par les alliés à la fin de le Deuxième guerre mondiale ! Face à cette lutte perdue dans le maquis, il ne reste plus aux opposants survivants qu'à s'exiler à l'étranger et tenter de résister à Franco à l'abri des frontières, en France. C'est le récit des temps difficiles de l'Espagne des vaincus persécutés par les vainqueurs

    Ce travail de mémoire, qui est aussi une sorte de «  devoir de mémoire » est bien résumé par cette phrase : « Il lui a parlé de la mémoire, de ce que nous sommes et ne sommes pas si nous renonçons à laisser le meilleur de nous-mêmes à ceux qui viendront après nous ». La lutte était nécessaire ne serait-ce que pour faire échec à l'oubli même si l'histoire est écrite par les vainqueurs « Dans la mémoire des gens seules restent les guerres remportées par les vainqueurs, les autres, on les oublie parce que les victoires marquent l'indignité de la défaite et que, au bout du compte c'est la vérité falsifiée, écrite par les chroniqueurs de l'oubli qui s'imposera ».

    L'auteur qui n'a pas connue cette période puisqu'il est né en 1947, s'approprie cette « mémoire des vaincus » et la laisse en héritage aux générations futures, porte témoignage sur ce qu'a été cette guerre civile sanglante et sans pitié qui a bouleversé bien des consciences et préparé le chaos de la Deuxième Guerre Mondiale. « Nous ne sommes que ce que nous laissons, Sebas. Mets toi bien ça dans la crâne, juste ce que nous laissons. Une fois morts, il n'y a plus moyen de rectifier ce que nous avons été ou pas été, ni dans un sens ni dans l'autre, rien à faire, que dalle, point final ».

    Alfons Cervera est journaliste, universitaire au service culturel de l'université de Valence, responsable du « Forum des débats », poète, écrivain de langue catalane. A partir de 1984, il publie « Sur les vampires et autres histoires d'amour » surtout axé sur une recherche esthétique du langage. A partir de 1990, à cause sans doute de ses origines valenciennes, il ressent le besoin d'être le témoin de « la mémoire des vaincus ». Teruel et Cuenca, qui furent le théâtre d'affrontements sanglants pendant la guerre civile ne sont pas si loin. Il inaugure ainsi un cycle romanesque avec « La couleur du crépuscule »(1995), « Maquis »(1997), « La nuit immobile »(1999), « L'ombre du ciel »(2002),  « Cet hiver-là »(2005).

    Cette recherche littéraire de la mémoire collective des républicains a été saluée par le critique espagnole. Cervera précise bien «  Je ne recherche pas la revanche mais la mémoire des faits qui n'ont jusqu'alors été racontés que dans une version unique et intéressée des vainqueurs de la guerre ». C'est donc exercice de récupération de cette mémoire confisquée par les vainqueurs auquel ce livre Alfons Cervera... avec bonheur !

    © Hervé GAUTIER - Avril 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com