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la feuille volante

Antonio Moresco

  • La petite lumière

    La Feuille Volante n° 1122

    La petite lumièreAntonio Moresco – Éditions Verdier.

    Traduit de l'italien par Laurent Lombard

     

    Depuis le hameau où il est le seul habitant, un homme aperçoit chaque soir une petite lumière au loin à travers les bois, qui s'allume toujours à la même heure et qui l'intrigue. L'homme n'exerce aucune activité dans ce village, c'est une sorte d'ermite qui interroge la nature silencieuse et les animaux, au milieu desquels il vit. Les hirondelles retiennent particulièrement son attention. Il finit par trouver l'explication de cette petite lumière, allumée par un enfant qui vit d'une manière aussi solitaire que lui et surtout beaucoup plus mystérieuse dans une sorte d’autarcie lointaine et étonnante, et quand il est au contact des autres il doit se battre pour survivre.

    Après « Fable d'amour » (La Feuille Volante n°993) et « Les Incendiés » (La Feuille Volante n° 1121) qui m'avaient très modérément plu, j'ai apprécié cette écriture apaisée qui correspond davantage à l'image que j'ai eue de lui lors d'une rencontre. Parfois elle se perd dans les détails matériels et parfois elle emporte le lecteur dans un univers énigmatique ponctué d'images poétiques empruntées à la nature. J'ai lu ce roman comme une longue et étrange nouvelle, me laissant porté par cet univers particulier tissé avec des mots mais aussi plein de symboles. J'avoue aussi avoir été un peu curieux de cet auteur qui, semble-t-il, flirte maintenant avec la notoriété après avoir connu de longues années de purgatoire et dont les deux premières œuvres m'ont laissé plus que dubitatif. J'ai volontiers habité ce texte où la solitude sourd à chaque page et que, moi aussi, je ressens surtout dans un siècle où paradoxalement elle existe plus qu'avant. La violence qui le caractérise aussi est ici symbolisée par les fréquents tremblements de terre, (et peut-être aussi cette lumière intense prêtée par un vaisseau d'extra-terrestres juste évoqué), l'école où cet enfant, abandonné à lui-même doit se battre pour exister et s'affirmer au sein du groupe et la perspective d'une mort anonyme et peut-être lente, loin de tous les secours, le rejet de ce monde par l'interrogation du narrateur à propos du suicide. La couleur qui prédomine et qui s'oppose à la petite lumière est le noir de la nuit, celui de la salle de classe, de la forêt dense et sombre, l’obscurité qui beigne le hameau, Dans ce roman, l'auteur renoue avec le thème des morts-vivants qu'il avait déjà évoqué dans « Les Incendiés », mais mois violemment cette fois et qui n'est pas sans évoquer la descente de Dante aux enfers.

    Il y a quand même une sorte de complicité entre le narrateur de l'enfant quand celui-ci lui révèle qu'il voit aussi la nuit la petite lumière de la maison de cet homme, comme s'ils partageaient cette lueur nocturne, l'épilogue confortera sans doute cette entente commune. Le personnage de l'enfant a pris une dimension autobiographique quand il avoue ne rien pouvoir apprendre dans cette école où il n'a semble-t-il pas sa place. Une rencontre avec l'auteur a révélé de longues années de dyslexie et on imagine la marginalisation et la solitude qui ont été les siennes pendant cette période. Plus loin, l'homme surprend l'enfant en train de prier, mais il ne prie personne, peut-être une allusion au séjour interrompu de Moresco au séminaire ? Il compare même cette solitude à une période expiatoire, ce qui lui donne, sans doute un caractère quasi-religieux. La symbolique de la mort et de la classe de nuit pour ces enfants pas comme les autres me paraît ici révélatrice d'une grande déréliction, aggravée par la fuite du temps et l'hiver qui peu à peu s'installe et par des visions de nuit. L'enfant s'y inscrit tout comme le narrateur et leurs deux univers semblent se rejoindre à la fin dans l'image de cette petite lumière devenue une richesse commune.

     

    J'ai découvert cet auteur un peu par hasard et la découverte de ses romans fait naître en moi beaucoup d’interrogations.

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Les incendiés

    La Feuille Volante n° 1120

    Les incendiés Antonio Moresco – Éditions Verdier.

    Traduit de l'italien par Laurent Lombard.

     

    Dès la première ligne, le ton est donné : le pessimisme face au monde absurde dans lequel le narrateur dont nous ne saurons rien sauf qu'il a été soldat et qu'il circule armé, tente d'exister. Il dénonce l'absence d'amour, l’inexistence de la liberté, la prédominance du mensonge entre les hommes et les femmes, la réalité de la mort, son échec personnel. Ayant ainsi pris conscience de la déliquescence générale, il s'est naturellement coupé de ce monde « foutu » qu'il quitte et la solitude volontaire qui en résulte le plonge dans un abîme de réflexions délétères. C'est la période des grandes migrations vacancières et il décide lui aussi de quitter la ville, de rejoindre le bord de la mer où les corps à demi dénudés des femmes offerts à sa vue font naître en lui des fantasmes très forts. L'hôtel où il réside s'enflamme et, réfugié sur une falaise hors de portée du brasier il rencontre une femme, slave, blonde aux dents d'or qui lui avoue avoir mis le feu pour lui, puis, comme une vision, elle disparaît.  Elle ne reviendra que dans son rêve, un peu comme si elle évoquait à elle seule toutes celles qu'il avait croisées ou étreintes, comme si elle devenait obsédante, envoûtante même. Les termes sont intensément érotiques et sa solitude volontaire est souvent troublée par la vue d'une femme, la même que celle de l’incendie. Il se souvient des passantes qu'il a simplement aperçues, des détails de leur visage et de leur corps, parle de l'émoi qu'elles ont suscité. L'image du feu est associée à la passion amoureuse et l'épilogue « flamboyant » vient conforter cette impression, mais aussi à l'acte sexuel évoqué avec force détails pornographiques voire scatologiques et lié à l'or de la denture comme un symbole impossible à atteindre. Il y a en permanence ce mélange d'émotions subtiles et d'évocations crues, un peu comme si le narrateur, dégoûté de cette vie, se réfugiait dans le rêve et dans ses souvenirs.  Dans les images de cette femme qu'il rencontre physiquement ensuite, il y a cette notion de dépaysement, d'éphémères rencontres, cette douceur et cette violence dans l'étreinte, ce mystère et cet esclavage qui les entourent, dans une sorte de halo fugace où se conjuguent recherches et découvertes, quête effrénée de cette compagne face à la fragilité de la vie, faiblesse de l'enfant et maturité de l'adulte, obsession du corps féminin et de l'amour bestial et délirant, conçus sans doute comme une addiction pour échapper à l'absurde de l’existence et aussi à la mort. Il se souvient alors de la vision nocturne d'un couple enlacé mais dont l'homme menaçait sa partenaire d'un pistolet, une arme létale qui va revenir dans le texte, une histoire de femme tellement mystérieuse qu'on se demande si tout cela n'appartient pas au rêve !

     

    Tout au long de ce roman déjanté et gore, j'ai ressenti un réel malaise entre la poursuite de cette femme belle et désirable, comme un fantôme énigmatique dont la sensualité n'a d'égal que sa volonté de tuer, le besoin d'amour de cet homme désespéré mais présenté comme irrésistible, ces corps féminins désirables, cette violence aveugle et maffieuse, cette luxure distillée à chaque page dans une atmosphère d'esclavage, de soumission, de crainte et de destruction définitive de cette société à laquelle le narrateur et sa compagne n'échappent que sous la forme de morts-vivants. Pourtant, telle n'avait pas été mon impression lors d'une rencontre avec Antonio Moresco et Laurent Lombard, l'auteur ayant eu des propos apaisés avec une image presque effacée. Le cheminement du narrateur avec sa compagne parmi les morts qui ne le sont pas tout à fait, n'est par ailleurs pas sans évoquer la descente de Dante aux enfers. Devant les frustrations sexuelles et l'obsession de la mort de l'auteur à travers d’improbables combats meurtriers de vivants contre des morts, j'ai été partagé entre la sincérité de la confession de son érotomanie et sa fascination pour une certaine violence armée, je me suis interrogé sur l'exorcisme de l'écriture, le refoulement et la culpabilisation. J'ai pensé que ce parti-pris de rejet était peut-être lié à son parcours personnel et littéraire difficile et tortueux, entre séminariste, ouvrier prolétaire et activiste politique. Même si l'épilogue vient donner un certain espoir en forme de conclusion à ce roman dérangeant et peut-être une réponse à ses interrogations et à ses angoisses, je n'ai que très peu goûté son style cru et le déroulement déconcertant de cette fiction, même si, par certains côtés, je suis moi aussi admirateur de la beauté des femmes et que je déplore, de plus en plus cette société sans repère ni boussole qui est la nôtre, surtout actuellement.

     

    Je suis peut-être passé à côté de quelque chose qui par moments a des connotations épiques mais surtout apocalyptiques et orgiaques et à d'autres périodes présente des côtés étrangement oniriques, entre désespoir et obsession, violence, destruction et amour fou, le tout aux marches de la réalité. Je n'ai peut-être rien compris à ce récit tressé avec une une prose narrative allégorique et fantastique, élément d'un triptyque romanesque que l'auteur lui-même présente comme le mouvement d'une symphonie. L'auteur a pourtant fait l'objet d'un colloque en Sorbonne en 2015 et est considéré comme un grand écrivain italien. J'ai en tout cas eu une pensée pour le traducteur de ces textes et la difficulté qu'il a pu avoir entre « traduction et trahison » [« dradure-tradire » comme le disent si bien nos amis Italiens].

     

    C'est ma deuxième approche de l’œuvre de Moresco qui fait suite à « Fable d'amour » (La Feuille Volante n°993) et qui m'a laissé quelque peu dubitatif.

     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • FABLE D'AMOUR

    N°993– Novembre 2015

     

    FABLE D'AMOUR Antonio Moresco- Éditions Verdier.

    Traduit de l'italien par Laurent Lombard.

     

    Comme le titre l'indique, c'est une fable, il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu’elle commence par la traditionnelle formule qui fait toujours rêver « Il était une fois »…Il y est question d'un clochard, Antonio, un de ces hommes sans visage qui tendent la main et dont on évite de croiser le regard dans la rue. Son seul ami est un pigeon blessé qui servira de passeur dans cette histoire et avec lequel il partage sa maigre pitance glanée dans les poubelles de la ville. Ils ne parlent pas le même langage mais ils se comprennent. Comme dans toute les fables il y a du merveilleux et celui-ci a le visage d'une jeune fille, Rosa, qui l'arrache sans raison à l'enfer de la rue, change sa vie et devient son amante. Elle est aussi belle qu'il est laid, aussi resplendissante qu'il est transparent. Bref, ils ne se ressemblent pas. Alors pourquoi lui et pour quelle raison sa vie change-t-elle ainsi du jour au lendemain, la fable ne le dit pas. Veut-elle faire une bonne action, vivre un rêve personnel, s'acheter une bonne conscience ou est-elle à ce point possédée par cette culpabilité judéo-chrétienne qui inspire souvent nombre de nos actions ? Ce qu'elle dit en revanche c'est que la chance tourne pour Antonio et sans plus de raison qu'avant, Rosa se désintéresse soudain de lui, le précipite dans sa vie d'avant faite de peur, de faim, d'insécurité. Il s'ensuit sous la plume de l'auteur une violente diatribe contre les femmes, leur inconstance, leurs fourberies, leurs trahisons mais aussi contre les hommes, leur suffisance, leur naïveté, bref contre la nature humaine qui ne vaut décidément pas cher, capable de tout détruire autour d'elle et même l'amitié comme l'amour ne résistent pas à ses attaques. Toutes ces grandes idées généreuses et altruistes ne pèsent pas bien lourd, ne sont que du vent et Antonio prend soudain conscience de cette cruauté. Pourquoi fait-on ce qu'on regrette ensuite, comment change -t-on au point de devenir quelqu'un d'autre que soi-même on ne reconnaît plus ?

     

    C'est un conte semblable à celui de notre enfance, un conte de fée, celui du Prince Charmant et de la petite mendiante qui l'épouse, ils s’aiment, sont heureux et ont beaucoup d'enfants selon la formule consacrée, sauf que là les rôles sont inversés, comme si cela était la prise en compte du changement de la société et que ce texte s'adresse aux adultes. Comme nous sommes dans le domaine du merveilleux, l'auteur nous fait voyager au-delà de la vie. Pourquoi pas ?

     

    Le livre refermé qu'en reste-t-il ? Comme celles de La Fontaine, cette fable a une morale, cette histoire se termine bien et l'auteur tient a son « happy end ». Ce que je retiens cependant, c'est cette image de la nature humaine, capable du meilleur comme du pire, surtout du pire, qu'il ne faut se fier ni aux apparences ni aux certitudes, que l'homme est un prédateur pour ses semblables, que l'amour n'existe pas, que tout ce décor qu'on voudrait idyllique n'est qu'une illusion, qu'il n'y a pas de havre de paix, même dans la mort, que Dieu n'existe pas davantage que les hommes généreux, qu'il n'y a pas de paradis, que l'enfer est ici, qu'il n'y a rien à espérer que la solitude et que la mort. Bien sûr, cela se termine bien sinon ça ne serait pas une fable sans cela, mais ça ne me fera pas changer d'avis sur la nature humaine. Face aux réalités de cette vie, j'aime bien me réfugier dans les livres pour voir le monde autrement, même si l'image qu'ils en donnent n'est pas la bonne, mais là j'ai quand même été un peu déçu.

     

    Hervé GAUTIER – Novembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com