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la feuille volante

articles consacrés à Edward Hopper

  • Edward Hopper

    La Feuille Volante n° 1177

    Edward Hopper – Éditions Adam Biro

     

    Cet ouvrage été réalisé à l'occasion d'une exposition sur le peintre américain Edward Hopper (1882-1967), qui a eu lieu au musée Catini à Marseille du 23 juin au 24 septembre 1989. Elle a ensuite été montrée à la Fondation March à Madrid. Comme il est normal dans un ouvrage collectif, de grands noms de la culture française l' ont éclairé de leurs commentaires .

    La peinture américaine du début du XX° siècle, voulant se démarquer de son influence européenne et notamment celle de l’École de Paris , a développé un langage pictural original en explorant notamment l'expressionnisme abstrait. Dans le même temps le réalisme qui caractérise le style de Hopper s'est taillé une place privilégiée dans la peinture d'outre-atlantique au point d'y prendre une dimension mythique. Ainsi est retracé l'itinéraire de ce peintre qui, puisant son inspiration dans la lumière de Paris, dans l'impressionnisme et la peinture européenne, a modifié sa vision du monde et sa façon de le peindre. Avant, les tons étaient agressifs et sombres, hérités sans doute du puritanisme dans lequel il baignait ; après son séjour en France, sa palette s'est éclaircie, s'est libérée du carcan religieux et de ses interdits, a découvert les femmes, leurs corps, la nudité, l'érotisme, la vie ... Cette révélation ne le quittera plus. Il maniera la lumière, et son pendant les ombres, avec la même dextérité qu'il citait les poèmes de Verlaine pour séduire sa future épouse et ce séjour en Europe marquera son style au point qu'il mettra dix ans à s'en abstraire. Il conduira une évolution lente mais pérenne qui se révélera dans sa manière de représenter les paysages, les immeubles, parfois, encore marqués par l'architecture européenne, et d'y mettre des personnages.inspirés sans doute par les toiles de Degas. Cependant Hopper les traite à sa manière et quand il revient aux USA, il reprend son travail d'illustrateur et leur donne un aspect systématique et impersonnel qui accentue cette impression de solitude qui émane d'eux. Ce parti-pris est souligné par la technique de l'eau-forte plus sombre qu'il pratique également et qui tranche sur la lumière des aquarelles et des toiles de la même époque. Il choisit d'exprimer ainsi les angoisses et les hantises qui sont, selon lui, la caractéristique de l'espèce humaine. Jo, sa femme sera tout au long de sa carrière son unique modèle, ce qui renforce, par son unicité, cette sensation d'isolement ; Quand il représente des phares et des maisons, il le fait sur fond de ciels limpides et le paysage est souvent vide mais s'il décide d'y mettre des personnages, le plus souvent féminins, ces derniers sont étonnamment seuls. Sa peinture est en situation d'existence, en société et le plus souvent à la ville et dans des appartements et on peut, dans cette manière de s'exprimer ,voir le thème du deuil de quelque chose, du travail en plein air peut-être et quand il choisit de représenter quelqu'un, il agrémente cette représentation d'un rideau qui vole, d'un reflet sur une vitre ou d'une ombre sur un mur.

    Hopper fit trois séjours en France de 1907 à 1910 et jusqu'à sa mort il resta francophile Il était certes l'héritier de Degas mais n'en reconnaît pas moins sa filiation avec des peintres réalistes américains tels de John Sloane ou Thomad Eakins mais refusa qu'on cantonnât son œuvre dans les « american scenes » à la manière de Hart Benson. Il était fasciné par la culture et l'art de vivre français et son époque parisienne fit découvrir les femmes, y compris d'ailleurs les prostituées des rues, au jeune protestant qu'il était alors et ce fut une révélation ; Il les croqua à la plume ou à l’aquarelle,. A son retour aux USA et dans sa période de maturité, il gardera pour elles cette posture attirante au point de se métamorphoser en véritable voyeur. De cette période française date également son goût pour la photographie. Il mettra du temps à s'extraire de cette influence parisienne pour s’affirmer dans un style spécifiquement américain. Cependant, nombre de ses toiles, et singulièrement la dernière qui le représente en Pierrot et Colombine avec Jo son épouse, sont d'inspiration européenne. Faisant référence à la fois à Watteau, à l’impressionnisme et à la commedia dell' arte.

    Edward Hopper a donc été inspiré largement par la culture française et européenne avant de trouver son langage pictural original qui allait à l'encontre de l'art abstrait qui se développait en Amérique à cette époque..

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Edward Hopper au Grand Palais

    La Feuille Volante n° 1176

    Edward Hopper au Grand Palais – Beaux Arts Éditions

     

    Du 10 octobre 2012 au 28 janvier 2013 a eu lieu au Grand Palais à Paris une exposition de l’œuvre de peintre américain Edward Hopper (1882-1967), rétrospective importante, puisque sur la centaine de tableaux réalisés par l’artiste, 55 étaient exposés. Cet ouvrage s'ouvre sur les propos de Didier Ottinger, commissaire de l'exposition qui le présente comme un artiste mal connu. Il insiste notamment sur l'absence de mélancolie dans la plupart des toiles de Hopper. Le commissaire préfère voir en lui un rebelle, un résistant face à la société américaine de son temps et qui cristallise les angoisses de la civilisation dans quelle il vit qui, selon lui, a trahi ses idéaux d'origine. Il concède que Hopper est un peintre réaliste mais insiste sur son côté abstrait, lui-même motivé non par une vision de la réalité mais par une émotion humaine. Il choisit donc d'en montrer une vision décalée qui peut remettre en question l'idée traditionnelle qu'on se fait de cet artiste. Dans cet ouvrage, plusieurs intervenants livreront également leur vision du peintre.

    J'avoue que, sans être spécialiste de Hopper, je ne le voyais pas exactement comme cela. Je le ressens comme un créateur paradoxale retirant à la fois peu de choses de ses séjours en France, mais affirmant, jusqu'à un âge avancé, son attachement aux impressionnistes français ainsi qu'à la poésie et ce malgré un style original conservé pendant toutes sa carrière américaine. Il était certes atteint par ce virus des voyages propre au Américains, qu'on peu déceler dans ses nombreuses représentations de routes, de voies de chemin de fer et d'hôtels mais il a choisi de représenter New-York, bizarrement vide de gens et de gratte-ciel, des maisons à l'architecture originale mais sans vie et la solitude du Cap Cod. Ses personnages comme ses paysages paraissent figés dans un isolement quelque peu malsain, mais il semblerait que, si certains de ses tableaux ont été influencés par la littérature de son temps, il n'en a pas moins imprimé sa marque au cinéma, celui d' Hitchcock notamment, et a l'ambiance des romans policiers où le malaise prévaut. En France, mais dans un autre registre, l’écrivain Philippe Besson ne fait pas mystère de l'attachement qui est le sien aux toiles de Hopper. Il est également présenté comme un peintre d'avant-garde alors qu'il s'est exprimé au moment où l'art abstrait se développait et combattait son parti-pris réaliste, lui-même refusant par ailleurs d'être mis en perspective avec Benson par exemple dont la préférence va à la représentation de scènes spécifiquement américaines.

    L'espace urbain exerce sur Hopper une véritable fascination. Cela avait déjà commence lors de ses séjours parisiens mais, même dans ce registre, j'ai toujours ressenti une certaine solitude et un vide caractéristique. Il aimait certes New-York mais n'a pas négligé les maisons, parfois à l'architecture particulière, des localités petites et moyennes et le décor un peu désolé du Cap Cod. Même si elle n'est pas vraiment absente de ses tableaux, la nature n'y est représentée que secondairement et il n'y a pas chez lui de grands espaces qui sont la caractéristique de l'Amérique, à l'exception toutefois des scènes maritimes . Il était en effet particulièrement attaché au bord de mer et à son décor.

    Il est également noté que, lorsqu'il représente un personnage, Hopper suscite une empathie chez le spectateur qui s'y identifie automatiquement et qui s'approprie sa mélancolie, communie à son silence, à ses préoccupations, à sa solitude et ce même si le peintre, par le truchement de sa toile, en fait un voyeur. Ce qui frappe aussi c'est la sensualité de sa palette. Non seulement il choisit de représenter majoritairement des femmes seules, souvent accompagnées de bagages, ce qui semble indiquer une fuite possible ou peut-être une aspiration vers plus de liberté, mais, le plus souvent, elles baignent dans une lumière chaude. Et douce En revanche, quand il évoque un couple, c'est une indifférence orageuse qui prévaut, à l'image sans doute de sa propre union avec Jo, son épouse.

    Même si je ne partage pas toutes les analyses qui ont été faites dans cet ouvrage et tous les concepts qui ont été développés autour de son œuvre, j'ai retrouvé avec plaisir l'émotion personnelle que je ressens à chaque fois que je croise les œuvres de cet artiste à la fois intemporel et au talent si attachant.

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Edward Hopper

    La Feuille Volante n°1020– Mars 2016

    Edward Hopper - Les 100 plus beaux chefs-d’œuvre – Rosalind Ormiston – Larousse.

     

    Cet ouvrage richement documenté retrace la biographie d'Edward Hopper (1882-1967) qu'on retrouve dans tous les livres qui lui sont consacrés. Son originalité vient sans doute de la rétrospective effectuée par thèmes avec des illustrations.

    C'est en France, lors de son premier séjour qu’il prend l'habitude de peindre en extérieur, à cause, selon lui, de la lumière parisienne, différente de ce qu'il avait connu jusque là. Quand il revient à New-York ce sont pour autant des scènes d'intérieur qui monopolisent sa palette où le spectateur joue, malgré lui, le rôle d'un indiscret. Le décor intérieur est pratiquement inexistant, soulignant l'impression de vide. Il reviendra cependant aux scènes extérieures à partir de son installation à Greenwich village, représentant des paysages urbains, les cafés notamment, avec la lumière du soleil sur les bâtiments. Je note que bien qu’ayant longtemps habité New-York, il n'a que très rarement représenté les gratte-ciel, préférant les immeubles de style victorien. Il développera ce thème lors de ses fréquents séjours au cap Cod, peignant des maisons basses et renouant avec son inspiration de jeunesse pour les bateaux, les bords de mer et les phares qui sont peut-être pour lui un symbole de liberté. Il y réside souvent au printemps ou en été, y fait construire une maison et favorise des vues de la campagne ou du littoral. Il voyagea beaucoup avec son épouse, notamment dans le sud et au Mexique d'où il rapportera des toiles et des aquarelles de paysages. Ses voyages ont suscité chez lui un thème particulier que sont les trains, les voies ferrées et les routes. Pourtant, si ce sujet peut être l'invite au départ, voire à la fuite, il n'en porte pas moins un message de solitude et de vide caractéristique de sa peinture. Il s’intéressera également à la vie moderne à travers toiles, aquarelles et aussi eaux-fortes mais il se dégage toujours des personnages qu'il choisit de représenter une sorte de morosité et d'ennui. Architecturalement, il représente ce qu'il voit, c'est à dire un décor essentiellement américain, mais les maisons qu'il donne à voir sont souvent vides et très rarement complétées par une représentation humaine.

    Il peint des nus féminins, souvent dans le huis-clos d'une chambre, mais ces tableaux n'ont rien d'érotique et cela tient sans doute à son éducation puritaine. Son épouse sera d’ailleurs son seul modèle pendant toute sa vie. Quand il représente des femmes, habillées ou non, elles souvent seules, peut-être dans l'attente de quelqu’un ou de quelque chose, actrices d'un récit inachevé… Les hommes seuls sont plus rarement représentés, quant aux couples, il s'en dégage une atmosphère pesante qui était sans doute l'image de celui qu'Edward formait avec Joséphine, son épouse. Quand Hopper choisit de peindre des groupes de personnes, on sent imperceptiblement qu'il exprime surtout la distance qui existe entre eux.

    Il s'intéressera, notamment à partir de 1942 et de son tableau «Les oiseaux de nuit » (son préféré, à la vie nocturne mais vue à travers des fenêtres ou des devantures de cafés, avec une sorte de tendance marquée pour le voyeurisme. On a déjà souligné que ses toiles tiennent beaucoup de l'instantané photographique ( Il semblerait d’ailleurs que Hopper ait beaucoup travaillé à partir de photographies) mais elles distillent cependant une lourde sensation de solitude et de vide bien qu'elles représentent des paysages urbains qu'on s'attendrait à voir peuplés de gens et de mouvement.

    L'étonnant est que Edward Hopper ait traversé, sans les assimiler et sans qu'elles ait laissé la moindre trace sur sa façon de peindre, les périodes de la peinture expressionniste abstraite, du cubisme et du pop'art. Seul impressionnisme français l'a un temps inspiré, sans oublier le réalisme de Courbet, de Rembrandt et la pratique de son métier de d'illustrateur de magazines (activité alimentaire qu'il détestait cependant). Après avoir recherché le succès, il se présenta enfin, faisant de lui un artiste reconnu, emblématique de la peinture réaliste américaine. Son influence sera cependant déterminante sur les peintres américains tels que Andrew Wyeth (1917-2009) ou Eric Fischl notamment. On sait aussi que le cinéaste Alfred Hitchcok (1899-1980) s'inspira de certains de ses tableaux (notamment de « Maison près de la voie ferrée » dans son célèbre thriller « Psychose »). A titre personnel, je note également que l’écrivain français Philippe Besson fait souvent référence à Edward Hopper dans son œuvre et notamment dans son roman « L'arrière saison » [La Feuille Volante n° 604 -Décembre 2012] où il s’inspire du tableau intitulé « Les oiseaux de nuit ».

    Pour autant, le mystère qui entoure son œuvre austère, simple et surtout figurative et réaliste, invite à l'interprétation toujours difficile et ce d'autant plus que Hopper était un adepte de Baudelaire qui privilégiait la « vision intérieure », issue de l'imagination. Ses séjours en Europe et l'étude qu'il fit de ses peintres ne sont pas étrangers à son style original. Cet ouvrage abondamment documenté et très pédagogique apporte un éclairage intéressant sur l’œuvre d'Edward Hopper que personnellement je ne me lasse pas de découvrir.

    © Hervé GAUTIER – Mars 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

     

     

  • Edward Hopper

    La Feuille Volante n°1019– Mars 2016

    Edward Hopper - Gerry Souter – Parkstone international.

    Traduit de l’américain par Aline Jorand.

     

    Je ne sais pas pourquoi, moi qui ne suis pas spécialiste de la peinture en général, et de la peinture américaine en particulier, je ressens pour Edward Hopper (1882-1967) une véritable fasciation. Aussi bien quand je découvre un livre qui lui est consacré, je ne manque pas de le lire avec intérêt.

    L'auteur le présente à travers sa biographie, insistant sur ses origines modestes et sur le rôle de ses parents, de sa mère surtout qui a su favoriser sa vocation artistique. Son éducation a été fortement marquée par les femmes (sa mère et sa grand-mère) et cela se retrouvera dans son œuvre. Il note que son éducation victorienne complétée par une empreinte puritaine et religieuse (son arrière-grand-père, le révérend Griffiths a fondé l'église baptiste de la petite ville de Nyack (État de New York) où il est né – Edward ira à l'école privée) qui prône une vie austère, recommande de s'éloigner des plaisirs de la sexualité et des comportements immoraux. Cela développera une timidité naturelle qui, bizarrement, sera contrebalancée par un réel sens de l'humour. Cette formation ne sera pas sans influencer sa peinture et quand il représente des femmes, même si elles sont nues, il n'y a pas de dimension érotique. Je note également que après son mariage avec Joséphine, celle-ci sera son unique modèle. Dans certaine de ses toiles, surtout celles où il représente des chambres ou des bureaux il y a cependant une sorte de voyeurisme.

    S'il a fréquenté des écoles de dessins, et notamment la New York School of Art, s'il s'est perfectionné par l'étude des impressionnistes français présents dans les musées américains et en France même où il fit trois séjours, il commença son apprentissage en copiant de façon empirique, très jeune, des couvertures de magazines. Ses séjours à Paris ne se confondent d'ailleurs pas avec la vie de bohème qu'on peut imaginer chez un jeune peintre et il en rapporte nombre de tableaux dans la manière impressionniste qui n'apparaissent malheureusement pas dans les illustrations de cet ouvrage.

    Ce que je retiens ce sont les débuts difficiles de Hopper et toute sa vie sera rythmée par l’alternance du succès et de l'échec, l'obligation de gagner sa vie comme illustrateur, ainsi que de la sécheresse artistique passagère ce qui ne sera pas sans influencer son équilibre personnel. Il sera en effet souvent sujet à la dépression. A partir de 1923 cependant, date à laquelle il rencontre Joséphine qui va devenir son épouse, la chance semble lui sourire et, petit à petit, il devient un peintre connu et reconnu. Pourtant sa vie sentimentale sera des plus agitée, émaillées par de violentes disputes avec sa femme qui pourtant choisira de mettre sa carrière artistique personnelle entre parenthèses mais en ressentira une sorte de complexe d'infériorité. Edward semble ne pas avoir été heureux en ménage et il en concevra une profonde solitude qui ressort sur la plupart de ses toiles, notamment au niveau des personnages et des paysages. Les époux voyageront pourtant souvent ensemble, notamment au Mexique mais cet ouvrage ne publie aucune des toiles réalisées dans ce pays. Ils achèteront une maison au cap Cod et Edward renouera alors avec l'inspiration de la mer et des bateaux qui avait été la sienne, très jeune, à Nyack quand il fréquentait les chantiers navals et le « Boys Yacht Club ». Ce thème du voyage, incarné par les bateaux, les trains et les routes me semble également dénoter une sorte de volonté de départ, de fuite, l'envie d'un ailleurs qu'on ose cependant pas pas tenter. Les phares auront aussi une grande influence sur sa peinture.

    Il affectionne également les paysages urbains, les trains ou les maisons isolées mais je note que s'il vécu et travaillé à New York, il ne représenta que peu de gratte-ciel pour se concentrer plutôt sur les maisons de style victorien avec toujours, peu ou prou, cette impression de solitude, de vide, d'attente de quelque chose qui n'arrivera peut-être pas. Cette idée d'isolement persiste même si le tableau représente un groupe de personnages et se retrouvera dans les oeuvres qu'il consacrera aux salles de théâtres ou de cinéma, aux chambres ou aux halls d’hôtels. Je ne suis pas spécialiste de ce peintre mais je ressens sa peinture comme une activité de compensation face à une vie qu'il supporte plus qu'il ne l'apprécie. Sa dernière toile, « deux comédiens », semble vouloir nous dire qu'il a fait son parcours aux côtés de son épouse, comme s'il avait joué un rôle, grimé en acteur, et trouvé dans celui-ci une raison d'exister.

    Hopper est un peintre figuratif qui n'a guère changé de style. Il a du également lutter contre l'expressionniste abstrait très en vogue à son époque mais son style n'a jamais vraiment varié si on excepte sa période impressionniste.

    Cet ouvrage complète l'étude entamée depuis de nombreuses années sur ce peintre emblématique américain. Il m'a prêté un bon moment de lecture.


     


     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]


     

     

  • Edward Hopper

    N°741 – Avril 2014.

    EDWARD HOPPER- Gail Levin – Flammarion.

    Traduit de l'américain par Marie-Thérèse Agüeros.

     

    Ce peintre américain me fascine tellement que j'ai résolu de m'intéresser à ce qui a été écrit sur son style et sur son talent. Cette chronique s'est récemment fait l'écho de quelques-uns de ces ouvrages (La Feuille Volante n°696-698-739). A l'inverse d'autres qui dissertent volontiers sur sa peinture et, si l'on veut le dire comme cela, sur sa manière de voir le monde, ce livre nous parle de la biographie d'Edward Hopper (1882-1927), soulignant les différentes étapes de son évolution et montrant qu'il est assurément un des peintres importants du XX° siècle.

     

    Sa famille, des commerçants baptistes de la petite ville de Nyack au bord de l'Hudson, fut attentive aux goûts artistiques d'Edward mais l'encouragea cependant à apprendre le métier d'illustrateur commercial, plus lucratif et aussi plus sûr que celui d'artiste-peintre. A la fin de ses études secondaires, il partit donc effectuer sa formation à New-York, fréquenta écoles et ateliers où, grâce à son talent précoce, on lui promit une belle carrière. Plus tard il rendit hommage à l'un de ses professeurs, Robert Henri, pour l'influence qu'il a exercée sur lui et notamment sur les tonalités sombres de sa peinture. Ce professeur l'avait encouragé à peindre en combinant l'observation et l'imagination mais lui qui aimait surtout les bords de mer ou en plein air n'oublia cependant pas ce conseil. Selon le message de Henri, Hopper a en effet eu soin de reproduire cette « sensation de nuit » caractéristique. Certes, au cours de sa carrière sa palette éclaircira ponctuellement, notamment sous l'influence des Impressionnistes, mais il restera fidèle à ces tonalités.

     

    Toujours à l'instigation de ce professeur, il s'embarqua pour l'Europe afin d'y assimiler le message des Impressionnistes français, mais pas seulement. De 1906 à1910, il fit trois séjours sur le vieux continent qui l'amenèrent de Paris à Londres, Amsterdam, Berlin, Bruxelles et en Espagne où il se prit de passion pour la corrida. Il apprécia tout particulièrement Paris, ville qu'il trouva pleine de vie en comparaison de New-York. De ce séjour il rapporta un style et des œuvres, souvent composées de mémoire mais que la critique américaine apprécia très peu à son retour. Il restera cependant toujours fidèle au souvenir des Impressionnistes français. En 1915 et un peu par hasard, il découvrit la gravure qu'il pratiqua en restant fidèle à son inspiration française. Il prisait peu cette technique mais ses gravures se vendaient mieux que ses toiles. Revenu à New-York à partir de 1912, il s'installa à Greenwich-village où il exerça le métier d'illustrateur publicitaire pour différents magazines, ce qui lui permit de gagner sa vie, mais sans grande conviction cependant. A l'époque il continua à peindre et en 1920, à l'âge de 37 ans, il fit sa première exposition américaine. Il exposa un maximum de toiles d'inspiration française mais ce fut un échec. Il commença à s'intéresser à l'architecture américaine, caractérisée par la maison victorienne qu'il reproduira souvent dans ses toiles, gravures et aquarelles. A partir de 1928, période qui correspond à sa maturité, il abandonna la gravure et adopta un style de composition qu'il gardera toute sa vie. Il présentait ses toiles soit comme une composition frontale, soit en diagonale et souvent vues à travers une fenêtre. Cette dernière manière met le spectateur en position de voyeur mais aussi ouvre le tableau vers le monde extérieur. Il n'en continua pas moins à jouer sur l'ombre et la lumière ce qui caractérise les toiles de la maturité.

     

    A New-York, la ville où il a pratiquement vécu toute sa vie il est inspiré par John Sloan (1871-1951). C'est à partir de cette époque qu'il s'intéresse aux femmes qu'il figure nues ou peu vêtues et représentées dans des scènes quotidiennes réalistes voire intimes, un peu comme si elles ne se savaient pas observées par le peintre. Il poursuivit son étude des fenêtres en explorant les jeux sur l'ombre et la lumière et en donnant à ses toiles une connotation sensuelle par la représentation d'un rideau gonflé par le vent. A cette époque il peignit également des maisons en aquarelles. Il rencontra Jo Nivison, peintre elle-même, qu'il épouse en 1924 ; Il a alors 42 ans. Elle l'encouragea dans sa recherche picturale et l'invita à participer à une exposition à Brooklyn. La critique accueillit favorablement ses aquarelles et il commença à vendre ses toiles et à connaître le succès même si ce fut au détriment de l’œuvre de Jo. Il put enfin abandonner son activité d'illustrateur qu'il prisait peu et se consacrer à sa peinture.

     

    Ses toiles n'ont aucune connotation politique ou sociale mais il s’intéressa beaucoup aux atmosphères et aux relations humaines. Elles laissent notamment transparaître une certaine solitude et même de l'ennui mais c'était sans doute voulu. Ce qu'il recherchait en effet à travers les représentations c'était exprimer une pensée par la peinture. En réalité et compte tenu de ses propos, chacune de ses toiles est une étape dans la connaissance de lui-même. Il ne représente pas ce qu'il voit comme on a pu le dire mais il cherche à faire passer une émotion à travers la représentation. Ses toiles sont donc suggestives et l'invitation à une interprétation bien plus qu'une banale reproduction du quotidien. On peut notamment y lire une charge érotique, lui qui était si réservé, mais aussi l'absence, surtout à la fin de sa vie et bien entendu la mort ! Hopper disait volontiers qu'il lui était difficile d'exprimer une pensée par la peinture, pourtant, quand il choisit de représenter le couple, d'évoquer le mariage et les relations homme-femme, on peut aisément deviner son message. Au début, c'est l'amour qui l'emporte mais plus le temps passe plus les liens se distendent et dans le couple s'installent l'incompréhension et le silence. Cela est souligné par le choix de l'automne et du crépuscule qui ne sont pas sans rappeler les poètes symbolistes français que lui avait fait découvrir Henri. Pour figurer la solitude, le peintre représente souvent des rues, des routes ou des parc publics vides ou des personnages isolés qu'on s'attendrait plutôt à voir figurer dans une foule. Pour évoquer l'attente, il choisit souvent des femmes seules, s’inspirant sans doute des peintres hollandais et pour le voyage, il préfère les trains ou les bateaux en haute mer, les toiles vides de personnages. On peut aisément faire un parallèle avec sa vie personnelle.

     

    Jo qui fut son unique modèle féminin, même si elle s'effaça devant le talent de son mari et mit sa propre carrière entre parenthèses, joua un rôle crucial dans l'imaginaire de Hopper au point d'être sa véritable complice dans ses compositions. Sa dernière toile les représente tous les deux en habit de théâtre de la « Commedia dell'arte »(ce qui paraît anachronique le concernant) , saluant un public imaginaire ce qui évoque évidemment le départ mais aussi l'idée de mort. Il s'éteindra en 1967 à l'âge de 85 ans. Jo le suivra moins d'un an plus tard.

     

    Gail Levin (1946-2013) Universitaire, professeur d'histoire de l'art, spécialiste de la culture américaine et de la peinture de Hopper en particulier était tout à fait indiquée pour présenter ce peintre d'exception qui incarne si bien la peinture américaine et peut-être aussi la condition humaine.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     


     

  • Hopper, peindre l'attente

    N°739 – Avril 2014.

    HOPPER – Peindre l'attente- Emmanuel Pernoud – Citadelles et Mazenod.

     

    L’impression générale que peut avoir un non-initié à la vue des toiles d'Hopper est effectivement l'attente. En douze chapitres d'un livre richement documenté, illustré et pédagogique, l'auteur s'attache à montrer cet aspect de l’œuvre du peintre américain autant que les influences extérieures dont ses toiles se sont enrichies (Impressionnistes français, cubistes, peintres hollandais du XVII°, poètes symbolistes français, Proust...) ainsi que que son empreinte sur les autres artistes, à la fois dans le domaine de la littérature et du cinéma. Il montre aussi tout le paradoxe de cette œuvre qui va à rebours de son temps.

     

    Ce qui frappe d'abord chez Hopper, c'est le regard de ses personnages, leurs yeux sont vides, dirigés le plus souvent vers une sorte d'infini, baignés par une absence d'eux-mêmes. C'est un peu la solitude qu'on lit dans leur immobilité, car ce sont bien des êtres dénués de tout mouvement qu'il nous donne à voir. Cet aspect statique dénote comme un désintérêt du monde extérieur, un espoir d'autre chose qu'ils ne voient pas ou qu'ils imaginent. On sent en eux une sorte de vacuité ou peut-être de doute qui génère une mélancolie qui devait bien être aussi celle du peintre. Ils sont passifs face au décor qui se déroule devant eux et auquel ils sont étrangers. Ils ne bougent pas mais cette absence de mouvement peut signifier qu'ils sont à l'écart de tout changement. Ils sont comme résignés, capables d'attendre indéfiniment quelque chose qui ne viendra peut-être pas. Ils regardent souvent par une fenêtre et se perdent au loin, le ciel étant alternativement noir ou bleu, couleur qui suffit à caractériser leur état d'esprit, leur degré d'espérance. Généralement ils gardent le silence et quand ils parlent entre eux, le spectateur à l'impression que leur dialogue est suspendu de même d'ailleurs que leurs gestes, comme s'il existait entre eux une sorte d'incompréhension, un impossible dialogue. C'est là un paradoxe puisque Hopper qui vit principalement à New-York où tout est mouvement  peint des villes et des rues généralement vides de voitures, de gens et même d'enfants. Lui, choisit tout autant de représenter des immeubles à l'architecture victorienne mais néglige les gratte-ciel alors que nombre de ses contemporains, peintres ou écrivains feront le choix d'une représentation plus contemporaine, du tumulte et du bruit. Dans ce décor figé, l'auteur veut voir un parti-pris d'attente et on retrouve cette idée autant dans la façade des immeubles que dans la fixité du regard des gens et, de la peinture de Hopper, pourtant réaliste, la vie ne ressort pas.

     

    Le spectateur est placé dans la position indiscrète d'un voyeur et l'artiste excelle à montrer des scènes de la vie conjugale, dans le huis-clos d'une chambre mais ce qu'il donne à voir n'a rien d'érotique, au contraire, c'est l'ennui, l'indifférence, le silence, l'absence de communication, le spleen qui ressortent de ces toiles. C'est l'image d'un échec qui fut sans doute aussi le sien, son mariage n'ayant pas été des plus heureux et surtout sans descendance. Le lit est souvent représenté défait et vide ce qui est le symbole de l'isolement, de l'intimité non-partagée et les femmes parfois dénudées ou peu vêtues semblent attendre désespérément un amant qui ne viendra pas les rejoindre. C'est un peu comme si elles étaient vivantes mais presque déjà mortes, si elles attendaient un amour impossible ! Les derniers tableaux insistent peut-être sur cette idée quand ils montrent des pièces vides qui sont un peu comme des boites peintes où il est difficile de communiquer.!

     

    Les personnages de Hopper (souvent des femmes) sont en train de lire des lettres ou des livres ce qui n'est pas sans rappeler l'influence de Vermeer mais cela accentue cette notion de solitude et d'attente, de désœuvrement, de désintérêt pour le monde extérieur et les lieux représentés sont souvent de transition (halls d’hôtel, gares, compartiments, bureaux, chambres) et impliquent l'expectative d'autant que ces personnages sont immobiles et regardent souvent par une fenêtre d'où on aperçoit à peine le ciel, comme s'ils étaient prisonniers et donc en espérance d'une libération, comme s'ils n’occupaient l'espace que temporairement. D'une manière générale les toiles de Hopper sont tristes, qu'elles représentent des couples, des être seuls ou des paysages. Les femmes semblent avoir sa préférence mais elles portent rarement de maquillage, le peintre restant puritain à l'image de ses contemporains. Quand il choisit de représenter les cafétérias, les cafés, il y introduit parfois la prostituée comme celles qu'il a vues lors de son séjour à Paris. Là aussi l'attente existe et peut être orpheline... mais c'est celle du client ! Les autres individus représentés sont souvent soit des femmes seules, soit des couples qui paradoxalement semblent absents. Ils paraissent espérer quelque chose sans que nous sachions très bien quoi. Leur attitude veut peut-être signifier un échec sentimental ou sexuel qui fut peut-être celui du peintre lui-même.

     

    Un autre aspect de la représentation de Hopper est donnée par les bancs des parcs publics. Ils sont souvent déserts et illustrent ainsi à la fois l'attente et l'ennui. Cette vacuité dans les paysages s'étend aussi aux rues américaines ce qui est un paradoxe puisque l’Amérique est mouvement. Le siège lui-même est le symbole de l’attente et quand quelqu'un est assis, il y est comme vissé, immobile, figé, en contemplation de l'horizon ou du vide. S'il y a peu de statues chez Hopper, les êtres qu'il représente en ont souvent l’apparence.

     

    Cette inactivité se retrouve dans la représentation des travailleurs. Là aussi c'est l'inaction, le chômage consécutifs à la crise de 1930 (il commence à être connu à partir de cette époque). Il pratique donc l'art social qui pour lui est réaliste. Quand il peint des travailleurs, il préfère figurer la pause, le temps de repos plutôt que l'acte de travail qui est mouvement. Pourtant, il faut noter qu'il a été illustrateur de presse et que, dans ce domaine seulement il a changé de registre et représenté exceptionnellement le mouvement, mais pour des raison professionnelles. Cependant en tant que peintre il montre la vie ordinaire, donne à voir assez peu d'usines et ignore le Taylorisme. Sa peinture est réaliste mais il en gomme cependant la vie comme pour figurer le souhait de quelque chose. Il préfère les bureaux, les restaurants, les cafés, mais des travailleurs qu'il représente sont dans l’expectative, dans une sorte de passivité, ils sont comme pétrifiés, acceptant leur sort, leurs gestes sont suspendus, leur regard est vide, un peu comme une photographie, une image fixe. C'est sans doute pour cela qu'on a parlé d'anachronisme chez Hopper.

     

    Cet aspect statique des corps se retrouve également dans le sport. Il représente l'athlète non pas en plein effort mais au repos. Quand il choisit le théâtre c'est moins le spectacle que la salle d'attente (endroit d'événements potentiels) qu'il peint et s'il choisit quand même la salle de spectacle, le rideau symbolise chez lui encore une fois cette attente, la frontière entre deux mondes, entre deux temps. Lorsque c'est une scène de strip-tease qu'il peint, c'est le puritain qui ressort en lui et il réussit à faire passer chez le spectateur...une absence de désir ! Puritain encore quand il donne à voir des rues : elles sont vides et sabbatiques puisqu'il les choisit lors du dimanche protestant quand chacun est à l'office ou reste chez soi, c'est à dire attend. De même les voies ferrées qu'il représente semblent abandonnées et les trains sont le plus souvent à l'arrêt, les routes sont désertes et les poteaux télégraphiques sans fils, tout cela symbolise peut-être le désir du départ mais sûrement aussi l'attente que quelque chose. Même les phares sur les côtes du Maine qui peuvent trancher quelque peu dans l’œuvre de Hopper ressemblent à des guetteurs tournés vers le large, vers l'infini, donc là aussi l'idée d'ailleurs existe.

     

    C'est un livre qui montre une approche différente, particulière mais pertinente, de la peinture de Hopper, une invitation à la voir différemment, à la comprendre dans le contexte de son temps et la psychologie de son auteur. Un ouvrage remarquable sur un peintre également remarquable !

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com


     

  • Edward Hopper - Entractes

    N°698 Novembre 2013.

    EDWARD HOPPER – Entractes – Alain Cueff – Flammarion.

     

    Je poursuis avec cet ouvrage mon approche passionnée de l’œuvre d'Edward Hopper (1882-1967) tant sa peinture exerce sur moi, comme sur beaucoup sans doute, une étrange attraction.

    Alain Cueff reprend bien volontiers les idées développées depuis longtemps à propos du peintre américain [solitude, mélancolie, aliénation,...] mais invite son lecteur à regarder ses tableaux sous un autre angle, les commentant en fonction de son vécu personnel et des influences qu'il a pu subir, prenant comme fil d'Ariane chronologique certains d'entre eux. Il parvient à la conclusion que si ces idées sont certes justes, il faut en chercher la raison autant dans sa psychologie personnelle, dans ses illusions de jeunesse où il espérait que l'impressionnisme qui l'avait tant influencé lors de son séjour en France serait accueilli favorablement dans son pays, que dans les événements extérieurs que connaît son pays. En effet, Cueff prétend que le regard vide des personnages peut parfaitement aussi s'expliquer par le revers du « rêve américain » qui ne serait qu'un leurre. La crise économique née de 1929, les émeutes, le chômage ont mis à mal ce concept. De plus le francophile qu'il est s'alarme de l’attentisme de l'Amérique face à la montée du nazisme en Europe. Ses personnages prennent, sous son pinceau, conscience de la précarité de leur vie, il serait donc le peintre de  « l’existentialisme américain » bien avant qu'en France cette philosophie soit développée.

     

    D'emblée, l'importance de la lumière est soulignée dans l’œuvre de Hopper. Il en fera, à la fin le thème unique de ses tableaux. Il s'attachera également à peindre des personnages dont la mélancolie est visible. Ils sont à son image, lui-même étant quelqu'un de timide, réservé, peu souriant, puritain et aimant la lecture. Sa confession baptiste explique sûrement le côté dépouillé de ses toiles. On a dit de lui qu'il peignait ce qu'il voyait, ce qu'il connaissait le mieux, qu'il tirait son inspiration du quotidien. C'est sans doute vrai, mais sa vision était probablement sélective puisqu'il habitait New-York, a représenté des maisons à l'architecture victorienne mais n'a jamais peint de gratte-ciels. Cette ville qu'il aimait et où il a pratiquement toujours résidé fourmille de vie alors que ses tableaux sont vides de présence humaine et que ses personnages sont immobiles et silencieux. Même si, comme de Chirico et Magritte, il a une prédilection pour les paysages urbains déserts, l'auteur note le côté inquiétant des personnages représentés, leur immobilisme et le silence qui les entoure. C'est un peu comme s'il étaient des mannequins sans vie, des êtres désincarnés au regard vide, dans une expression d'attente, souvent plongés dans la lecture. C'est une constante de la peinture de Hopper que ce vide, que cette solitude. Ces deux thèmes viendront d'ailleurs en conclusion de son œuvre. Les paysages eux-mêmes n'inspirent pas au spectateur quelque chose de reposant comme ils pourraient le faire et là aussi il ressent cette même impression de vacuité.

     

    Hopper est un contemplatif et ne s'intéresse qu'aux paysages suburbains d'une grande banalité. Il semble saisir l'instant dans son immédiateté, représentant ce qu'il voit mais à travers le prisme de son regard plein de solitude. Il prétendait d'ailleurs un peu bizarrement « n'avoir d'autre ambition que de peindre la lumière du soleil sur les murs d'une maison ». Le soleil est effectivement souvent présent dans ses toiles, éclaire les personnages, mais il n'est jamais visible de face, ce sont toujours ses effets que le peintre donne à voir, un peu comme s'il hésitait, s'il n'osait pas. Pourtant ce soleil éclaire mais ne réchauffe pas, ses toiles restant froides

    Cueff propose à chacun de se laisser porter par les tableaux de Hopper, de se laisser inspirer par eux. Il retient l'un des plus emblématiques, « Les oiseaux de nuit » et note que des hommes de lettres ont obéi à une invite créatrice[J'ai personnellement retenu « L'arrière saison » de Philippe Besson – La Feuille Volante n° 604]. Je pense en effet, sans vraiment me l’expliquer, que Hopper interpelle chacun d'entre nous au point de nous inciter intimement à poursuivre pour nous seuls le prétexte de son tableau, de lui donner une suite personnelle.[Il semblerait que le tableau lui-même ait été peint après la lecture d'une nouvelle d'Hemingway, bien que Hopper ait prétendu le contraire].

     

    Hopper n'a été vraiment connu qu'à partir de 1925, date à laquelle il commence à vivre de sa peinture. Auparavant il a été illustrateur, dessinateur d'affiches publicitaires et pour le cinéma

    et il ne fait aucun doute que cette période qu'on peut qualifier d'initiatique a été pour lui une sorte d'apprentissage qui va, par la suite, influencer son style réaliste. Tout n'a cependant pas été simple pour lui. Même s'il ne vend son premier tableau qu'en 1913 et qu'il commence à participer à des expositions collectives qui ne lui valent que de l'indifférence de la part de la critique, il doute, cherche sa voie et s'oriente même un temps vers la gravure et vers l'aquarelle. Il est en quelque sorte « coincé » entre l'invention de la photographie qu'il n'aime guère et l'évolution de la peinture vers le cubisme, l'abstrait, le surréalisme qui invitent davantage le spectateur au rêve et à l'imaginaire. Malgré sa relative réussite en gravure il revient cependant vers la peinture en privilégiant le nu féminin ce qui peut signifier chez lui à un désir sexuel latent, obsessionnel et refoulé. Jusqu’à la fin de sa vie il représentera des femmes nues ou vêtues au point qu'on a pu le qualifier de voyeur pudique. En observant les personnages féminins de ses tableaux, on ne peut qu'être frappé par leurs formes généreuses et sculpturales qui marquent un caractère sexuel évident. Les femmes (même si son épouse en est l'unique modèle, ainsi métamorphosée sur chaque toile) qu'il peint semblent attendre quelque chose, mieux, l'espérer. Le fait qu'il peignent des femmes dans cette sorte d'expectative peut parfaitement être la transcription personnelle et inversée de son attente à lui. Il n'est pas illogique de penser que cela peut être le « grand amour ». Hopper a toujours été un solitaire, on lui connaît peu de liaisons amoureuses et son union avec « Jo » a été plus un mariage, d’ailleurs tardif (il est dans la quarantaine), de raison qu'un amour passionné. Tout les oppose et cela ne peut qu'enfanter des disputes conjugales, une incommunicabilité définitive entre eux, un silence oppressant. « Jo » se révèle en effet être une épouse jalouse qui peint elle-même de moins en moins et compense sans doute par la tenue d'un journal intime tout comme son mari pratique la peinture. Ces deux activités peuvent être interprétées comme un refuge, pire peut-être, comme les deux faces d'une même souffrance ! Cueff note d'ailleurs que ce n'est pas le moindre des paradoxes que Hopper ait voulu peindre apparemment des tableaux impersonnels alors qu'en réalité ils sont le reflet de sa propre vie, entretiennent aussi une énigme qui reste entière.

     

    Ce livre passionnant éclaire d'un jour nouveau la démarche créative de Hopper et contribue à lever une partie du voile sur un style réaliste (ou néo-réaliste) étrangement attractif et moderne à la fois, qui est le reflet de son siècle autant que de sa vie et de sa personnalité.

     

     

     

    Hervé GAUTIER - Novembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • Quelques mots sur Edward Hopper

     

    L A F E U I L L E V O L A N T E

    La Feuille Volante est une revue littéraire créée en 1980. Elle n’a pas de prix, sa diffusion est gratuite,

    elle voyage dans la correspondance privée et maintenant sur Internet.

     

    N°607– Décembre 2012.

    Quelques mots du Edward Hopper (1882-1967).

     

    Pour moi, au départ, un tableau emblématique et connu à force d'être présenté quand on évoque la peinture américaine (Noctambules, 1942. The art institute of Chicago), l'annonce d'une rétrospective à Paris au Grand Palais d'Edward Hopper qu'on présente comme un célèbre artiste d'outre-atlantique, un article dans une revue littéraire (Le Magazine Littéraire n°525 de novembre 2012) sous la plume de Philippe Besson, un roman (L'arrière-saison, du même auteur) qui évoque ce tableau et qui m'a passionné (La Feuille Volante n°604), m'ont donné envie d'en savoir davantage et d'entrer dans l'univers de ce peintre.

     

    Qui était donc ce jeune homme de 25 ans qui est venu à Paris étudier l' impressionnisme qui était à la mode, simplement parce que sa vocation est d'être peintre ? Pourtant la peinture américaine n'existe pas encore vraiment (Norman Rockwell – 1894-1978 en fera aussi partie) et la famille dans laquelle il est né est celle de modestes commerçants d'une petite ville de l'état de New-York . Il aime l'ambiance de la Capitale, le Quartier Latin, les jardins publics, les avenues, les musées et la littérature et la poésie aussi. La France, à l'époque, est le centre du monde culturel et un artiste se doit d'y être.

     

    Comme chaque peintre débutant il s'inspire de ceux qu'il reconnaît comme ses maîtres au premier rang desquels figurent Edgar Degas, Pissaro, Renoir, Sisley et bien entendu finit par trouver son propre style. Il y a certes l'influence française qui l'amène à peindre des scènes de la vie parisienne comme la Seine et le Louvre mais il s'intéresse aussi à la photographie et devient francophile et francophone. Il voyage également en Europe, notamment aux Pays-Bas où les maître néerlandais (Veermer et Rembrand etre autre) le passionnent. Quand il rentre aux États-Unis il devient illustrateur, produisant des affiches, des gravures, des eaux-fortes et des aquarelles, mais assez peu d'huiles sur toile. Ce n'est que vers l'entre-deux-guerres qu'il commence à être connu pour son style réaliste et ses paysages américains Le succès est au rendez-vous et il s’installe avec son épouse au cap Cod dans l'état du Massachusetts. L'année 1925 le consacre en tant que peintre et ses toiles entrent dans les musées, notamment au Museum of Modern Art et au Withney Museum Américan Art.

     

    De son séjour en France, il ne retient pas l'influence cubiste mais lui préfère le réalisme de Jean-François Millet et de Gustave Courbet. Ce sera en effet une des grandes tendances de son œuvre caractérisée par de larges aplats de couleurs souvent contrastées et des compositions fortement structurées. Pourtant l'article de Besson m'apporte des précisions. Le réalisme de Hopper « n'est qu'apparent et les apparences, comme chacun le sait sont trompeuses : ce sera sa signature  ». Il semblerait en effet qu'Hopper ait souffert d'un sévère problème d'audition ce qui expliquerait, plus sans doute qu'une mésentente conjugale souvent évoquée, l'ambiance qui émane de ses tableaux

     

    Ses origines américaines l'influencent peu à peu et, délaissant l’impressionnisme comme il le fera plus tard de la peinture abstraite, il s'oriente vers les paysages ruraux de Nouvelle-Angleterre et du cap Cod, privilégiant la représentation des bâtiments urbains, qu'ils appartiennent aux villes moyennes américaines ou à New-York. Il faut également noter que s'il choisit d'évoquer la modernité par la représentation des routes, voies ferrées et des ponts, il néglige totalement les paysages industriels bien qu'ils soient une composante importante des États-Unis. Il leur préfère la vie quotidienne des classes moyennes, témoignant ainsi d'une sorte d'ambiance immobile et parfois même nostalgique d'un pays qui naguère était riche et puissant et qui peu à peu voit son importance s'amoindrir notamment au moment de la grande dépression.

     

    Au départ de son œuvre, il n'était pas portraitiste mais au début des années 30, les personnages, et spécialement les femmes, peuplent ses tableaux. Il poursuivra cette inspiration en donnant de plus en plus de place aux individus, leur instillant une sorte de présence grandissante mais avec une sorte de sentiment de solitude par un effet de juxtaposition. L'expression des visages où peut facilement se lire l'ennui né de l'attente, complète cette ambiance et le dépouillement du décor autour d'eux les transforment en individus anonymes dénués de toute émotion, presque en retrait, perdus dans leurs pensées ou simplement fatigués, impassibles comme s'ils portaient en eux une histoire individuelle impossible à raconter mais cependant dramatique. Ils semblent marqués par une véritable mélancolie voire du sceau de l'incommunicabilité. Le spectateur a facilement l’impression que dans ses œuvres, le temps est comme suspendu avec peut-être une idée sous-jacente d'un certain « paradis-perdu » qui ferait naître un spleen. Dans ces tableaux, les lignes sont épurées, le mobilier réduit à sa plus simple expression ou simplement absent, les paysages de campagne semblent baignés dans une sorte de langueur...Hopper sera en également largement inspiré par la photographie et par le cinéma qui exerceront une influence indéniable sur son œuvre. On peut se rappeler opportunément qu'il a aussi été illustrateur au cours de sa carrière.

     

    Il décédera en 1967 à New-York où il avait son atelier.

     

    Je reviens à cet article de Philippe Besson qui note que Hopper c'est la douceur mais il précise aussitôt qu'il y a chez ce peintre « une hésitation permanente entre douceur et danger ». Je retiens pour ma part un réalisme caractéristique qui fait l’originalité d'Edward Hopper et qui inspirera beaucoup d'autres artistes américains.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com