la feuille volante

David Lodge

  • LA VIE EN SOURDINE-David Lodge – Éditions Rivages.

     

    N°583– Juin 2012.

    LA VIE EN SOURDINE David Lodge – Éditions Rivages.

    Traduit de l'anglais par Maurice et Yvonne Couturier.

    Desmond Bates est un ancien professeur de linguistique à la retraite dans une petite ville du nord de l'Angleterre. Il est veuf, sexagénaire et remarié avec Winfred dont il est très amoureux. Elle est de quelques années sa cadette mais sa vie mondaine et professionnelle est assez débordante. S'il a choisi une retraite anticipée c'est qu'il a un grave problème d'audition. Il n'est pas complètement sourd, mais plutôt malentendant et se sent maintenant inutile[« Que vais-je faire de moi aujourd’hui ? », question à laquelle il se trouvait confronté chaque matin en se réveillant depuis qu'il était à la retraite »], surtout devant la réussite professionnelle de sa femme. C'est sans doute pour cela qu'il accepte une tournée de conférences en Pologne alors que rien ne le justifie. Comme tous ceux qui souffrent d'un tel désagrément, il est isolé du monde extérieur, malgré les appareils auditifs avec lesquels il semble avoir pas mal de difficultés. Il se réfugie dans la lecture quotidienne du « Guardian » et les visites qu'il fait à son père, seul, vieux et sourd lui aussi. A l'occasion, il ne dédaigne pas un petit verre !

    Les activités culturelles de son épouse l’entraînent souvent dans des manifestations où il s'ennuie d'autant plus qu'il entend mal. Dans l'une d'elles, il fait la rencontre d'une jeune étudiante américaine, Alex Loom, qui lui tient un long discours auquel il n'entend goutte, et pour cause! Elle le relance pourtant le lendemain en lui demandant de l'aider dans sa soutenance de thèse... avec pour thème une approche particulière sur le suicide, le lecteur comprendra pourquoi par la suite. Le sujet intéresse Bates, mais ce qui le gêne c'est que ce travail se fera dans le dos d'un de ses collègues encore en poste et surtout qu'une relation équivoque commence à se nouer entre la jeune fille un peu fantasque, affabulatrice et aguicheuse et le vieux professeur. Finalement, elle repartira en Amérique sans avoir mené ses recherches universitaires à leur terme. Son départ illustrera une nouvelle fois son côté cynique et manipulateur.

    Le récit prend la forme d'un journal intime tenu par Desmond lui-même, donc à la première personne mais, bizarrement, il change et écrit « Je me sens pris par une brusque envie d'écrire à la troisième personne » pourtant il emploie le « je » dans la presque totalité du récit. Ce texte est la narration d'une tranche de vie d'un vieil homme qui s'ennuie dans sa récente retraite et qui collationne ce qui lui arrive, ses réflexions sur la mort, sur l'amour qu'il porte à sa jeune épouse et ses états d'âme sur une passade possible avec Alex.

    Au départ je trouvais que la relation du quotidien de Desmond procurait une lecture fastidieuse, notamment ses tribulations avec son appareil auditif, ses fantasmes personnels et sexuels quelque peu échevelés, ses démêlés avec Alex , ses cours de lecture labiale, les difficultés avec son père aussi sourd que lui, veuf et atteint par la maladie d’Alzheimer. Il excelle pourtant dans la description des moindres gestes, des plus petits détails et s'attache son lecteur qui, grâce à son humour subtil, a envie d'en savoir davantage, même si parfois ses digressions prennent une dimension dangereusement universitaire. Il réussit à rire de lui-même, trouvant dans son infirmité matière à plaisanter(«la surdité est comique, la cécité est tragique », « Il y a au moins une chose que nous autres les sourdingues réussissons à faire dans une réception, c'est de déclencher le rire des gens avec nos bourdes, et ils n'ont pas se plaindre de moi en la circonstance »), et ce malgré le fait qu'il associe la surdité à la mort. Le titre anglais lui-même [Deaf Sentence] est un jeu sur le mot deaf (surdité) et death (mort). L'hospitalisation de son père consécutive à une attaque et son décès lui rappellent celui de sa propre mère, « organisé » par son entourage.

    En fait, Desmond est à a recherche du bonheur qu'il pensait avoir trouvé en épousant Winfred. Mais cette femme plus jeune que lui, se dérobe de plus en plus à ses sollicitudes sexuelles, lui échappe et il note qu'elle se conduit par rapport à lui « comme une étrangère » plus soucieuse de de son travail que de son mari... et lui l'attend toute la journée à la maison. Sa visite solitaire au camp d'Auschwitz en est l'allégorie, de même que le plaisir qu'il ressent à rester dans le silence qui le protège des agressions du monde extérieur. Il ne profite même pas de la présence d'Alex qui pourrait représenter pour lui une foucade. C'est tout le problème des hommes qui ont épousé des femme plus jeunes et qui désirent le rester et Desmond se prépare à reproduire l'exemple de son père dont il s'occupe pourtant avec patience. On imagine très bien ce qu'il adviendra de lui dans quelques années et la déréliction qui en résultera.

    C'est donc un roman doux-amer que nous livre ici cet auteur à la fois érudit et drôle bien qu'il traite de la maladie, de la vieillesse, de la dégradation physique, de la fin de vie et de la différence grandissante qui existe entre un homme vieillissant et une épouse plus jeune que lui et je ne parle pas de de la valse- hésitation de Desmond face à Alex, ses interrogations, ses craintes pour l'avenir, sa phobie de la mort ...

    J'avais lu avec plaisir « Jeux de maux » du même auteur (La Feuille Volante n° 330). Encore une fois, je n'ai pas été déçu, David Lodge est vraiment passionnant.

    ©Hervé GAUTIER – Juin 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • JEUX DE MAUX - David Lodge [traduit de l'anglais par Michel Courtois-Fourcy] - Rivages.

     

    N°330– Mars 2009

    JEUX DE MAUX – David Lodge [traduit de l'anglais par Michel Courtois-Fourcy] - Rivages.

     

    L'actualité de l'Église brésilienne avec ses excommunications aussi anachroniques que révoltantes, l'attitude d'un Pape, ancien Grand Inquisiteur, oublieux du message de l'Évangile dont il est pourtant porteur, et qui soulève un tollé de protestations jusque dans les rangs de la hiérarchie épiscopale française, défraient actuellement la chronique. Nous vivons vraiment une époque formidable! Le hasard fait que j'ouvre le roman de David Lodge, qu'il monopolise mon attention et que je le lis avec avec plaisir, avec gourmandise même. Non, ce livre écrit en 1980 n'a pas vieilli, bien au contraire!

     

    Voilà un ouvrage qui parle, avec un humour de bon aloi, d'une « religion », le catholicisme, qu'on nous a fait passer pour la seule possible, parce que la seule vraie et incontournable en occident, mais qui a assurément provoqué, au moins chez les jeunes gens des années 50, fantasmes, terreurs intimes, renoncements, scrupules et sacrifices en tous genres qu' adultes ils ont largement eu le temps de regretter. Il parle de l'hypocrisie, des tabous qu'elle a engendrés, des culpabilisations qu'elle a entretenues dans les jeunes esprits autour de la masturbation féminine et masculine, de la virginité et de la manière de s'en débarrasser, de la jouissance sexuelle et de la découverte du plaisir qui étaient forcément bannis, mais aussi de la nature de Dieu, au passage un peu écornée, de la confession, de la transsubstantiation, de la communion, la peur de l'enfer [et de la dépression nerveuse qui pouvait aller avec], bref de l'Église, de ses rituels et de ses pompes largement entretenus par des générations de parents et une hiérarchie catholique attentive... Autant de thèmes qui ont interrogé, torturé, bouleversé les jeunes d'alors au point que certains d'entre eux [de plus en plus nombreux si j'en crois les statistiques], émettent des doutes sur le message, oublient le chemins des églises... ou se tournent vers d'autres religions!

     

    C'est vrai, j'ai lu ce livre avec plaisir. Il dénonce sur un mode plaisant et parfois badin, mais jamais caricatural, l'impact pesant de l'Église face à l'éveil d'adolescents à la vie et les embûches variés que la hiérarchie catholique a su y mettre au nom de la morale, des bonnes mœurs et surtout de l'organisation figée d' une société puritaine et autoritaire dont elle a toujours été l'alliée intéressée et que les jeunes fidèles, plus contestataires, ont su remettre en question quand ils sont devenus adultes. L'immobilisme dogmatique de l'Église catholique face aux grandes interrogations de l'humanité, de la procréation, du respect de la vie, de la contraception, du plein épanouissement de la sexualité individuelle reste une question d'actualité. Nous le voyons bien actuellement.

     

    A travers plusieurs personnages et leur vie sexuelle et familiale parfois difficile et en tout cas rendue avec force détails parfois amusants, l'auteur règle ses compte avec l'Église catholique, ses dogmes et ses interdits absurdes qui déstabilisent inutilement les individus. Cette atmosphère un peu délétère entretenue par elle au regard du péché, dont on nous rappelle à l'envi qu'il s'agit, en ce qui nous concerne d'un état permanent, n'est peut-être pas autre chose que la peur de l'enfer, la nécessaire obéissance aveugle aux paroles de Pape et leurs inévitables interprétations à la fois variées, hypocrites et partisanes qui nourrissent cet état de choses avec lequel chacun finit, un jour ou l'autre, par prendre ses distances.

     

    L'auteur prend soin de rappeler qu'il nous raconte une histoire, que nous sommes ici dans une fiction, que les personnages ne sont pas réels[bizarrement, il s'adresse directement à son lecteur et prend même congé de lui à la fin], mais le contexte dans lequel il les fait évoluer leur donne une virtualité bien actuelle! Il prend des références historiques citant abondamment l'encyclique « Humanae Vitae » ou le concile Vatican II... Il a cependant soin, et c'est sans doute nécessaire, de nous rappeler que ce n'est pas un roman comique. Dont acte!

     

    La société qui nous est proposée est anglaise, un petit groupe d'étudiants catholiques dont il suit le parcours, mais la transposition est aisée et même bénéfique car si cette église est universelle, comme on nous en a largement rebattu les oreilles, la réaction que peut faire naître son enseignement et son exemple ne l'est pas moins.

     

    Finalement l'auteur paraît appeler de ses vœux une église libérale, mais les événements actuels ne semblent pas aller dans ce sens et nous donnent à penser qu'il peut s'armer de patience!

     

    Hervé GAUTIER – Mars 2009.http://hervegautier.e-monsite.com