la feuille volante

Douglas KENNEDY

  • La symphonie du hasard (Livre 1)

    La Feuille Volante n° 1195

    La symphonie du hasard (livre 1) – Douglas Kennedy – Belfond.

    Traduit de l'américain par Chloé Royer.

     

    Quand j'ai reçu cet ouvrage de la part de Babelio et des éditions Belfond que je remercie, je me suis dit que le titre ne pouvait que me parler. J'ai en effet toujours affirmé que le hasard gouverne nos vies bien plus souvent que nous voulons bien l'admettre. Il nous fait naître dans un milieu donné, il provoque la rencontre de gens qui favorisent ou non notre avenir, il s'invite dans notre quotidien et la mort interrompt notre vie au moment et dans des circonstances qui bien souvent nous échappent. Ici, c'est une famille américaine des années 70, les Burns, qui sert de fil conducteur à cette saga. Les voies de la génétiques sont comme celles du Seigneur, impénétrables. Ainsi, une même ascendance a-t-elle engendré trois enfants différents, Peter, sérieux et puritain, Alice, éditrice new-yorkaise, et Adam, ex-jeune loup de Wall Street, qui lui est actuellement en prison. Est-ce l'univers carcéral ou les révélations divines toujours miraculeusement présentes dans les prisons américaines, lors des visites hebdomadaires d'Alice, Adam va faire à sa sœur des révélations familiales qui vont accréditer cette affirmation « chaque famille est une société secrète ». Du coup Alice va y aller de ses confidences et c'est son parcours à elle que le lecteur va suivre, sur son enfance, sur son adolescence, sur le début de son cursus universitaire, le tout sur fond de puritanisme vieillissant, de guerre du Viet-Nam, de coup d'état au Chili, de scandale du Watergate, de charme discret des vieilles provinces du nord-est. On n'échappe pas au portrait de ses parents, un couple bancal, mal assorti et agressif («Ma mère et mon père me paraissaient terriblement seuls. Surtout lorsqu'ils étaient ensemble. ») qui pratique volontiers le mensonge et l’hypocrisie, bien digne de ses racines juives du côté de sa mère et catholiques irlandaises du côté paternel, en fait une famille toxique qu'elle va fuir. Elle est très attachée à son père, réactionnaire et un peu alcoolique qui peine à voir grandir cette fille cadette qui de plus en plus lui échappe surtout quand elle choisit, malgré sa situation transitoire d'étudiante, une vie de couple apparemment heureuse, peut-être parce que la sienne ne l'est pas.

    Le plus étonnant sans doute c'est que dans ce premier livre où il est question d'Alice, une jeune fille de 17 ans, Douglas Kennedy se glisse avec beaucoup de facilité… dans la peau de ce personnage, lui qui a 60 ans, même si ce n'est pas vraiment la première fois qu'il choisit quelqu'un du sexe féminin comme héro. L'auteur renoue avec le thème du hasard autant qu'avec celui des rapports entre hommes et femmes, du bonheur conjugal impossible, des états d'âme et des difficultés qu'il suppose, dans un contexte de mensonges, de trahisons, de secrets, d'alcool, de drogue, sans oublier la culpabilité judéo-chrétienne, un autre de ses thèmes favoris. Cette famille est à l’image de l'Amérique et de sa volonté de réussite, en même temps qu'elle existe dans un contexte religieux du rachat perpétuel de ses fautes. En réalité, on apprend beaucoup dans ce roman sur les années 70 et d'autres thèmes comme l'anti-sémitisme, l'homophobie, le racisme sont aussi abordés. C'est parfois un peu long et détaillé et on perd le fil de cette fiction mais si nos références sociales et culturelles françaises sont différentes, nous appartenons tous à l'espèce humaine qui montre des caractéristiques communes qui ici sont bien analysées.

    Peut-être ai-je tort mais il se peut que ces sujets soient aussi des préoccupations personnelles de l'auteur, ce qui en fait de cette trilogie un roman largement autobiographique. C'est sans doute par dérision qu'il déclare, paraphrasant Flaubert, qu'Alice, c'est lui ! Il y a certes la différence de sexe et d'âge mais le parcours de cette jeune femme ressemble étrangement à celui de l'auteur. Il y a sa famille qui devait sans doute ressembler à celle d'Alice mais aussi le personnage de son père qui fut un agent de la CIA et joua un rôle dans le coup d’État de Pinochet au Chili. Le fait d'insérer cet épisode dans ce roman en dit assez long sur la gêne qui peut être la sienne et peut-être aussi une certaine forme de culpabilité. Il y en a un, un peu secondaire il est vrai, qu'est celui de ce professeur de l'université où étudie Alice qui veut écrire un livre mais ne parvient pas à s'y mettre. Est-ce la révélation d'une difficulté réelle, d'une paresse, d'une volonté affichée de procrastination ou l'aveu de ses propres limites ? Cette prise de conscience de son inutilité personnelle, cette perte de l'estime de soi qui débouchent sur la mort volontaire du Pr Hancock, sont-elles révélatrice d'une sorte de malaise personnel ? Pourtant Douglas Kennedy a toujours été un auteur prolifique.

     

    Comme toujours j'ai apprécié l'analyse psychologique des personnages, le déroulement des faits, la qualité du style, direct et efficace, ce dont cette chronique s'est souvent fait l'écho. Il y a des longueurs certes, mais, bizarrement peut-être et malgré ces 360 pages, je ne me suis pas ennuyé, ce fut un réel bon moment de lecture et ce premier tome augure bien de la suite.

     

    © Hervé GAUTIER – Décembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • CINQ JOURS

    N°794 – Août 2014.

     

    CINQ JOURS - Douglas Kennedy - Belfond .

    Traduit de l'américain par Bernard Cohen.

     

    Saint Augustin conseillait qu'on se méfiât de l'homme d'un seul livre. Je n'ai pas lu tout Douglas Kennedy, tant s'en faut, mais le thème du mariage est un de ceux qu'il affectionne particulièrement. Je dois bien avouer que, à l'heure où la pérennité de cette institution est de plus en plus malmenée par le divorce, c'est bien là un thème de société qui peut effectivement être abordé.

     

    L'intrigue est simple, basée comme toujours sur le hasard qui fait bien plus souvent partie de notre vie que nous voulons bien l'admettre. Laura et Richard sont deux inconnus l'un pour l'autre, ils ne se sont jamais rencontrés. Elle est technicienne en radiologie, aime ce qu'elle fait mais un peu moins son contexte familial où elle ne s’épanouit guère avec un mari chômeur puis nanti d'un emploi précaire et dévalorisant, peu prévenant, avec qui elle n'a pas vraiment de points communs et deux enfants qui peinent à sortir de l’adolescence. Lui est assureur et ne trouve dans son métier comme dans son couple aucune vraie raison de vivre une vie heureuse. Une conférence à Boston va provoquer leur rencontre qui n'avait pourtant aucune chance de se produire. Bien sûr, cela va être coup de foudre entre eux, un peu comme s'ils s'y étaient déjà individuellement préparés sans même le savoir et cela va durer cinq jours pendant lesquels ils vont se découvrir mutuellement et s'aimer d'un amour passionnel. C'est une situation que nous avons tous connue, soit parce que nous l'avons vécue personnellement, soit parce que nous l’avons rencontrée dans notre entourage. Dès lors des questions se posent, peut-on s'échapper d'une vie qui, à la longue devient, sinon insupportable, à tout le moins difficile à vivre ? Que sera cette nouvelle existence, le moment de passion gommé ? Ne risque-t-elle pas, elle aussi, de devenir routinière, avec en prime, le regret d'avoir peut-être fait un nouveau mauvais choix ? A-t-on le droit, à l'occasion de cette poursuite du bonheur qui par ailleurs est légitime, de compromettre la vie de ceux qui dépendent de soi ? Doit-on forcément se sacrifier pour eux ? Peut-on faire durer artificiellement des situations sentimentalement délétères alors qu'on peut par ailleurs changer de vie et se donner une nouvelle chance ? Peut-on tout bouleverser au nom d'un amour qui ne durera peut-être pas et l'infidélité d'un moment, même si elle est tentante et forcément exaltante s’inscrira-t-elle dans la durée ? Mais peut-on réellement et définitivement répondre à ce questionnement sans fin dans un contexte forcément émotionnel, ce qui induit à terme assurément de la déception, de la détresse et des larmes comme seul rempart contre le malheur. C'est en tout cas une réflexion sur l'existence qui a le mérite d'être ainsi formulée, même si l’épilogue qu'il propose n'est pas de l'ordre du « happy-end » qui ne se rencontre que dans les livres et jamais dans la vraie vie. Il met en évidence, une nouvelle fois les compromissions de la condition humaine, les petits arrangements avec la vie qui nous la font accepter.

     

    Ce texte écrit à la première personne par Laura elle-même est un témoignage émouvant, même s'il peut passer au départ pour une banale entreprise de séduction, une simple envie de profiter d'un moment de liberté. Au début j'y ai vu des longueurs, une première partie assez longue et hésitante puis, au fur et à mesure de ma lecture, le texte a imposé son rythme et l'approche entre Laura et Richard, faite nécessairement d’hésitations et de confidences parfois intimes sur leur parcours, s'est justifiée d'elle-même. Ils ont tous les deux la quarantaine, une expérience matrimoniale réelle, des espoirs déçus, des regrets et des remords mais quand même des plans d'avenir encore possibles, des enfants à épauler parce qu'il faut bien continuer à vivre. La lenteur des dialogues et des postures est devenue inhérente à cette passion naissante qui s'affirme de page en page. Il y a cette empathie réciproque des deux personnages qui n'est pas du tout surfaite telle qu'elle est présentée. Chacun écoute l'autre, comprend ses difficultés au sein du ménage et de la famille qu'il a créé, communie à ses projets et à ses échecs, s'unit à l'autre à travers sa propre connaissance du couple qui est le sien. Elle est faite, comme pour tout le monde, de déceptions, de mensonges et parfois de trahisons, de routine, d'espoirs d'autant plus utopiques que le temps y a imprimé définitivement sa marque. On est davantage dans la confidence mutuelle que dans la « drague » classique et cette période d'attente et même parfois de doute, imposée par le roman, non seulement distille une sorte de suspens mais aussi ajoute à l'intérêt que j'ai personnellement ressenti à cette lecture. Cela donne une dimension plus humaine et authentique à ce roman qui ressemble de plus en plus au fil des pages non plus à une fiction mais à un véritable témoignage. Cela passe par une complicité des instants passés ensemble, par les confessions de chacun, les retours à la réalité à travers les textos que Laura reçoit sur son portable, par la transformation physique de Richard sous l'impulsion de Laura qui n'aurait à l’évidence pas pu avoir lieu sans elle, des projets d'avenir un peu fous, des étreintes pleines de fougue. Dès lors non seulement une passade est possible mais sans doute aussi une décision définitive de changer de vie, à condition de le faire ensemble, malgré tout ce que cette décision peut avoir de bouleversant dans la vie de chacun, entre culpabilité et volonté d'être soi-même et de profiter de l'instant, entre renoncement à une certaine sécurité dans la routine et saut dans l'inconnu avec, en toile de fond, ce mythique « rêve américain » qui pourrait, dans leur cas, se révéler possible. Reste la question, à la fois pertinente et abrupte que pose Kennedy :« Sommes-nous libres de choisir le bonheur ? »

     

    Cela donne l'occasion à l'auteur de livrer à son lecteur, outre ce roman émouvant, des aphorismes bien sentis qu'il puise assurément dans son expérience personnelle, l'écriture prenant ici sa véritable fonction cathartique. Je garde à la mémoire, le livre refermé, une de ses remarques puisée dans un autre ouvrage « Dans mes livres, je rôde toujours autour de l'idée que chaque homme est très doué pour construire sa propre prison, le mariage étant la prison la plus commune. Le couple, rongé par le sentiment confus de culpabilité est l'un de mes thèmes obsessionnels ». Je terminerai ce commentaire par une remarque personnelle. Je ne sais si je dois cela à la fascination qu'exerce sur moi le peintre américain Edward Hopper mais j'ai lu les dernières pages de ce roman avec, dans ma mémoire, certaines de ses toiles, à cause sans doute de la solitude qu'elles distillent et que j'ai ressentie sur la fin.

     

    Dans cette chronique j'ai déjà eu l'occasion de parler de Douglas Kennedy dont je découvre l’œuvre avec curiosité et un réel plaisir. Autant par l'écriture et le style que par l'histoire mais aussi par la pertinente analyse psychologique des personnages, j'ai vraiment apprécié ce roman qui m'engage à poursuivre la découverte des autres ouvrages de cet auteur.

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • MURMURER A L'OREILLE DES FEMMES

    N°787 – Août 2014.

     

    MURMURER A L'OREILLE DES FEMMES - Douglas Kennedy- Belfond.

    Traduit de l'américain par Bernard Cohen.

     

    Sacré Douglas Kennedy ! Je ne connais pas sa biographie et encore moins sa vie intime mais si ces douze nouvelles en sont le reflet, puisqu'elle sont écrites à la première personne, même sous le masque d'autres personnages, je me dis que soit c'est une sorte de don Juan, soit c'est un sacré vantard. Car qu'il se cache sous la masque d'un modeste comptable, d'une brillante avocate d'affaires ou d'un professeur respecté, il puise sans doute autant dans son imagination que dans son expérience les modèles qu'il met en scène, même s'il alterne, pour la crédibilité de la lecture sans doute, les hommes et les femmes, l'écriture permettant cette fiction. Ça l'aurait même pris de bonne heure, cette attirance pour l'autre sexe, dès l'âge de 7 ans, à l'entendre, à l’occasion d'une simple rencontre, puis ensuite il aurait connu le grand amour, à supposer bien sûr qu'il existe. Il pourrait même se dire qu'il a été « l’homme de la vie » d'une ou de plusieurs femmes, ce qui est plutôt flatteur et il est de bon ton pour un homme de se vanter de ses succès féminins ou de laisser planer un doute sur ses performances sexuelles! Pour un homme comme pour une femme, c’est tentant de pouvoir se dire « qu'ils sont faits l'un pour l'autre » et que par conséquent ils doivent passer leur vie ensemble. Alors on fait rimer « amour avec toujours », on parle de destin et si on y croit, de Dieu, cela ne coûte rien, mais finalement tout cela est bien artificiel et résiste bien rarement à l'épreuve des faits, du temps et de l'usure des choses, bien des mariages se concluent par un divorce... . Il a sûrement rencontré des femmes avides de se marier et ardemment désireuses de devenir mères mais l'amour est sans doute le domaine qui révèle le mieux la part d'ombre de chacun. Ici elle se nomme lâcheté, trahison, mensonge, adultère quand ce n'est pas, pour briser la routine matrimoniale destructrice ou l'illusion de la sécurité, pour accéder à cette envie de liberté, céder à l'espoir bien souvent déçu de faire fortune ou obtenir la notoriété, de satisfaire à ce désir inextinguible de tout jeter par-dessus les moulins et changer de vie pour l'inconnu ou les fantasme de la nouveauté, la folie quoi ! Le mariage, surtout s'il succède à une déception amoureuse antérieure ne peut que se conclure par un échec[je suis frappé dans ces nouvelles par la facilité avec laquelle les conjoints ou les amants se séparent, souvent pour des raisons sentimentales mais sans oublier la dimension financière cependant]. Sans doute le charge-t-on de trop d'espérances mais je ne suis pas sûr que l'écriture, dénonçant ce désastreux état de choses, en constitue le baume, pas plus d'ailleurs que tous les produits excitants extérieurs... Quant aux relations extra-conjugales, elles ne valent guère mieux et la déconvenue en est souvent l'issue. De quoi êtres vraiment désespéré ! [« Est-ce que ça se passe toujours comme ça ? Vouloir ce que l'on n'a pas, avoir ce que l'on ne veut pas. Pensez qu'il existe une autre vie « là-bas » et redouter de perdre celle qui est ici. Ne jamais être sûr de ce que l'on poursuit... » et puis aussi « Rappelle-toi, petit, on est seul, toujours seul »].

    Il y a aussi cette certitude qu'ont certains de n'être pas faits pour être heureux, à côté de qui le bonheur passera toujours... sans s'arrêter et pour qui le choix dans cette matière sera toujours mauvais quoiqu’ils fassent.

     

    C'est vrai que la condition humaine est un spectacle à la fois changeant et constant et quand on choisit l'aspect amoureux des relations entre les gens, le mariage qui épuise l'amour pourtant si ardemment promis et qui transforme les époux en véritables étrangers l'un pour l'autre, quand ce n'est pas pire, avec au bout du compte bien souvent la résignation... ou l'irréparable ; c'est là un sujet inépuisable pour qui veut en parler et je crois de Douglas Kennedy le fait bien. Il promène un regard désabusé sur les hommes et les femmes qui composent cette chose étrange qu'on appelle la société avec ses convenances, ses règles, son hypocrisie. Le fait que ce recueil se termine par un improbable conte de Noël veut-il il cependant dire que tout espoir n'est pas perdu ou au contraire que ce monde n'existe que parce que nous y instillons de temps en temps des choses qui n'arrivent que dans les livres ?

     

    Si, dans ces textes, il fait simplement œuvre d’écrivain, non seulement c'est bien observé mais aussi c'est bien écrit. Je ne sais pas si c'est grâce à son style ou à la traduction mais le texte est agréable à lire.

     

    J'ai déjà dans cette chronique l'intérêt que je porte aux romans de Kennedy. L'univers de la nouvelle est très particulier et j'avoue une attirance pour ce genre littéraire. Là je n'ai pas été déçu .

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA POURSUITE DU BONHEUR

    N°729 – Février 2014.

    LA POURSUITE DU BONHEUR – Douglas Kennedy – Belfond.

    Traduit de l'américain par Bertrand Cohen.

     

    Tout commence le jour des obsèques de Dorothy, la mère de Kate Malone à New-York. A cette occasion, comme toujours, toute la famille est réunie. Il y a là Charlie, le frère de Kate, au parcours un peu cahoteux, pas vraiment ravi est surtout pressé de repartir, Meg, une tante alcoolique et bien entendu Kate et son fils Ethan, bref une fratrie désunie où de vieilles querelles mal digérées refont surface. Le père Jack Malone est mort depuis longtemps et Kate se surprend à penser « Ça y est. Orpheline, enfin ! ». Une vieille dame qui lui est complètement inconnue assiste à la cérémonie cherche à se rapprocher d'elle. Elle se nomme Sara Smythe et, fait tout ce qu'elle peut pour entrer en contact avec elle au point même de brusquer un peu les choses et finalement pour lui donner un album de photos et lui révéler que son père, Jack, fut le grand amour de sa vie. Kate va donc découvrir l'histoire de sa propre famille à partir de cet épisode. Dès lors, Douglas Kennedy va user de l'analepse qu'il affectionne pour nous conter une histoire d'amour hors du commun. Elle sera bien entendu malheureuse, émaillée de moments intenses mais aussi de déprimes profondes. Si les parents de Kate n'ont pas été heureux ensemble, ceux de Sara ont vécu la même union dénuée d'amour et leurs enfants n'ont eu de cesse de fuir cette famille, tout en recopiant le modèle ! La vieille dame va raconter à Kate ce que fut sa vie, pas vraiment traditionnelle, plus axée sur la liberté professionnelle et sentimentale, sa rencontre avec son père, leur amour fou né d'un premier regard - hasard ou destin. Nous étions en 1945 à New York et après une nuit torride et des serments échangés, Jack, alors reporter dan l'armée américaine, part pour l'Europe. Dès lors ce sera le silence de cet homme dont elle avait décidé d'attendre le retour, la désolation, la dépression, le désespoir puis le ressaisissement, apparent seulement, le mariage avec un autre homme n'étant qu'une lamentable et courte erreur !

    L'auteur va se lancer dans une saga qui va des années 50 à nos jours pour nous faire partager la vie de la famille de Sara ou plus exactement le destin croisé de Kate et de Sara, deux femmes qui sont pourtant différentes l'une de l'autre et qui ne se connaissaient pas avant l'enterrement.. C'est que la vie de Sara a été illuminée par deux hommes, Eric d'abord, son frère, dandy, homo, ancien membre du parti communiste dans sa jeunesse qui a toujours été là pour elle, surtout dans les moments difficiles et Jack Malone. Son frère était tout pour elle, leur complicité était complète, mais sa vie à lui s'inscrit dans le maccarthysme, cette épisode sombre des États-Unis plus connu sous le nom de « chasse aux sorcières » qui poursuivit non seulement les communistes mais aussi au homosexuels. L'auteur ne se prive pas de la critiquer. Ses méthodes n'avaient rien à envier à celles en usage au-delà du Rideau de Fer. Les événements auront raison de lui. Pour Jack Malone, c'est un peu différent, puisque, militaire dans l'armée américaine quand elle l'a rencontré, il a simplement choisi de profiter de cela pour l'abandonner, et pour fonder une famille, sans elle ! Si la liberté, l'indépendance, les voyages ont caractérisé la vie de Sara à une époque où la femme américaine était plutôt cantonnée dans un rôle traditionnel d’épouse et de mère de famille, Kate au contraire, à cause sans doute d'un parcours sentimental agité a toujours recherché la sécurité du foyer et du mariage. Ce fut pour cette dernière la rencontre avec Matt et la naissance d'Ethan, leur fils. Cela a simplement mal tourné pour elle et le divorce a été au bout du chemin, encore un échec ! Sara elle aussi a connu des déboires sentimentaux et même un éphémère mariage avorté qui étaient dus dans doute à ce Jack qu'elle ne parvenait pas à oublier. Elle a eu une vie trépidante cependant mais avec l'écriture comme exutoire, comme compensation à toutes ces désillusions. Si au départ elle doute, se rendant responsable de sa sécheresse littéraire, son talent créatif s'affirme au fur et à mesure que sa liberté se confirme. Sauf que rien n'est simple, dans la vie comme dans les fictions et un jour d’hiver, par hasard, à Central Park,, elle rencontre Jack quatre ans après leur nuit torride. Bien sûr il est marié et père de famille, bien sûr il y a plus tard, avec Sara, une explication et tout est remis en question parce que, pour lui aussi, le mariage n'est pas vraiment une réussite et que tout redevient possible avec elle.... Mais ce serait compter sans les vicissitudes de la vie, la culpabilisation, le temps qui passe, les deuils, les départs qu'on voudrait sans retour, le pardon toujours possible ...,

     

    Comme à chaque fois, l'auteur excelle dans l'analyse psychologique des personnage qu'ils nous présente alternativement et leurs réactions face à l'Amérique puritaine et hypocrite de cette période. Il semble nous dire que ce bonheur est inatteignable simplement parce que l'homme et la femme, qu'ils forment un couple mariés ou qu'ils soient simplement amants, sont pleins de contradictions qu'ils mènent cette quête impossible avec une apparente sincérité et des serments qui se veulent définitifs mais que celle-ci ne pèse rien face à la trahison, au mensonge, aux autres tentations auxquelles ils se dépêchent de succomber, aux nombreuses compromissions qui émaillent leur vie, parce qu'il faut payer pour ses fautes [« Il n'y a pas d’actes sans conséquence s. Des fois on a la chance d'y échapper mais des fois il faut payer »] et que le hasard fait partie du jeu, que l'instant pèse sur notre décision... Sara et Jack se débattent dans une liaison qui semble sans issue, avec ses moments d'intense bonheur et de profondes dépression. Elle ne se sera vraiment interrompue que par la mort de Jack, Eric qui soutient constamment sa sœur se verra lui aussi reprocher par le maccarthysme son ancienne adhésion au communisme et son homosexualité, une façon aussi de faire échec à son bonheur, mais aussi d'entacher quelque peu des relations fraternelles qu'il entretient avec Sara.

    Kennedy nous offre ce roman, selon son habitude, avec un talent de conteur que nous lui connaissons, avec un style que ne trahit pas la traduction. Il réussit à émouvoir son lecteur attentif simplement parce celui-ci, pour peu qu'il ait un peu vécu, ne peut pas ne pas se reconnaître !

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • La femme du V° – Douglas Kennedy

     

    N°495– Janvier 2011.

    La femme du V° – Douglas Kennedy- Belfond.

    Traduit de l'américain par Bernard Cohen.

     

    Nous sommes quelques jours avant Noël dans un Paris un peu glauque où Harry Ricks vient de débarquer. Il y a quelques mois, il était encore enseignant dans une université américaine et vivait aux État-Unis avec sa femme et sa fille. Désargenté, en instance de divorce et radié à vie de l'université à cause d'une aventure amoureuse et tragique avec une étudiante, il arrive à Paris avec pas mal d'illusions. Il les a pourtant perdues définitivement quand il a appris que son épouse filait le parfait amour avec le doyen de la faculté dont il a été expulsé. Paris représente pour lui un nouveau départ et reste, dans son esprit, la ville de tous les fantasmes d'autant qu' il habite « rue du Paradis »! Il se retrouve pourtant au fin fond du X° arrondissement, dans une chambre de bonne lugubre. Ici, il a vraiment la certitude « d'être tombé plus bas que terre ». Les toilettes sont d'une propreté plus que discutable. C'est là un obsessionnel leitmotiv qui me paraît révélateur.

     

    Il ne trouve son salut que dans l'écriture d'un roman, dans un travail un peu mystérieux mais bien payé de veilleur de nuit, dans la fréquentation des cinémas, celle d'un cybercafé... et surtout celle d'une faune interlope. Jusqu'au jour où il rencontre un peu par hasard une hongroise d'âge mûr, un peu mystérieuse, Margit, dont il tombe, bien entendu, amoureux. Leurs relations deviennent rapidement torrides et chacun raconte son histoire. La sienne est tragique et ils se retrouvent chez elle, dans le V° arrondissement de Paris. Si elle accepte de le rencontrer régulièrement, elle y met cependant une condition bizarre mais sine qua non qu'il accepte : Elle ne le verra que tous les trois jours de cinq heures à huit heures ! Caprice ou nécessité ? Pourtant cette liaison « lui donne l'illusion d'échapper à la banalité de sa vie ». Harry saura par la suite que ce « contrat » est pour lui à la fois vital... et viager ! Il respectera cependant cet « accord » et ne cherchera pas à repartir pour les États-Unis, malgré la présence de sa fille. Margit alterne passion et réserve, souffle le chaud et le froid, paraît en savoir beaucoup sur lui, pilote sa vie et parfois celle des autres. Elle est pour lui un véritable ange gardien.

     

    Dans le même temps, Harry est l'objet d'un chantage, il est soupçonné de meurtre, se rend compte qu'il est constamment surveillé, se retrouve carrément dans un monde parallèle qui lui échappe mais qui semble lui envoyer des messages, se demande en quoi consiste exactement son travail et qui est ce « M. Monde »[une référence à Siménon qui figure aussi en exergue du roman] que viennent voir nuitamment ses visiteurs mystérieux, s'interroge sur tout les « événements » qui l'entourent et dont il est le témoin, sur cette femme-fantôme décidément bien énigmatique.

     

    J'ai bien aimé les évocations érotiques de Kennedy.[je ne lis pas encore cet auteur dans le texte mais je pense que le traducteur ne trahit pas l'auteur] autant que l'alternance des expressions crues violentes ... En revanche, je ne suis pas sûr d'avoir apprécié ses développements et digressions parfois pénibles sur la culpabilité très judéo-chrétienne, même si c'est là un thème récurrent dans son œuvre. En cela il est un digne Américain puritain et austère qui pourtant dénonce cette société manichéenne que, apparemment, il n'aime guère. Pourtant, cette histoire de quatrième dimension, cette Margit fantôme qui apparaît et disparaît opportunément au gré des besoins du roman et sait prévoir l'avenir me paraît un peu forcé. Pour accréditer cette idée, l'auteur oppose intuition et raison... Je veux bien que nous soyons dans une fiction, mais quand même, recourir dans un polar aux forces surnaturelles ![A moins que Paris soit pour Dougal Kennedy un lieu à ce point magique et envoutant que rien n'y est comme ailleurs ?- Alors, la femme du V° arrondissement ou celle de la 5° dimension ?]

     

    J'ai goûté avec plaisir ses remarques sur le mariage raté de Harry et sur les circonstances qui l'ont fait capoter, sur la petitesse et la mesquinerie des personnages mis en scène. C'est apparemment un thème qui lui est cher et dont il parle souvent avec gourmandise. En cela il est le témoin de son temps qui est aussi celui des divorces et des échecs matrimoniaux, de l'hypocrisie mais aussi de la vengeance. Il paraphrase opportunément Alexandre Dumas quand ce dernier prétend que les chaines du mariage sont si lourdes à porter qu'il faut parfois s'y mettre à plusieurs !

     

    Il faut y voir aussi le regard sans concession d'un étranger sur Paris qu'il connaît bien et sur la France. Kennedy a simplement voulu nous dire que ce n'est pas une ville aussi belle que cela, que la liberté n'y est pas aussi complète, qu'on et bien loin du Paris d'Hemingway, des artistes, et de celui de Gershwin.

     

    C'est un roman plein de suspens et un polar très noir, une sorte de texte gigogne, un peu trop surnaturel quand même mais qui tient en haleine son lecteur jusqu'à la fin.

     

    Ce livre illustre une nouvelle fois une de ses phrases «  Dans mes livres, je rôde toujours autour de l'idée que chaque homme est très doué pour construire sa propre prison, le mariage étant la prison la plus commune. Le couple, rongé par le sentiment confus de culpabilité est l'un de mes thèmes obsessionnels »

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

  • Piège nuptial – Douglas Kennedy

     

    N°494– Janvier 2011.

    Piège nuptial – Douglas Kennedy- Belfond.

    Traduit de l'américain par Bernard Cohen.

     

    Nick, le narrateur, est journaliste en poste dans la province américaine du Maine. Fasciné par l'Australie, il décide de tout plaquer pour y aller. Curieux, il se dit que Darwin, au nord du continent, serait un point départ opportun pour une exploration.

     

    Après une rencontre avec un « révérend », ministre du culte et apparemment seul adepte de « l'Église apostolique de la foi inconditionnelle » à qui il achète son minibus Volkswagen, il se lance sur la route en solitaire. Après avoir percuté nuitamment un kangourou, il fait la connaissance, par le plus grands des hasards, d'Angie, belle plante autochtone qui se présente à lui comme une jeune vierge. Les présentations faites et fier de sa bonne fortune, Nick ne tarde pas à s'apercevoir que sa conquête ne correspond pas tout à fait à l'image qu'elle voulait donner d'elle. Amatrice de bière, de bagarre et dévoreuse d'hommes, elle n'a pas vraiment les manières d'une blanche pucelle. Pourtant, elle sera sa compagne de route puisque Nick a choisi de descendre vers le sud.

     

    Nick n'est pas vraiment un tombeur mais il profite de la compagnie d'Angie. Un peu malgré lui, les choses évoluent et il se réveille en plein désert, au milieu de nulle part et apprend qu'il a demandé la main d'Angie à son père et que cela a été suivi aussitôt d'une cérémonie nuptiale. Bref, il se retrouve marié malgré lui d'autant plus qu'il aurait donné son consentement après avoir été préalablement drogué. Il est « l'amerloque » un peu paumé qui va faire connaissance de sa nouvelle belle-famille, des gens complètement déjantés, que les événements qu'il apprendra plus tard, ont amené ici, dans une ville fantôme, rayée de la carte à la suite de l'incendie d'une mine d'amiante. Ils ont fondé ici une communauté familiale alcoolique, violente et marginale qui, pour éviter la consanguinité, recherche activement des mâles qui feraient office de géniteurs. Sans le savoir Nick s'est donc retrouvé pris au piège, mais il s'est refermé sur lui ... en plein désert ! Pour un célibataire explorateur, c'est un comble ! Il a beau n'être qu'un étranger, il représente une opportunité que les membres de ce clan ne veulent surtout pas laisser s'échapper. Il apprend d'ailleurs que ses prédécesseurs qui s'y sont aussi essayés ont tous connu un destin tragique !

     

    Il fait véritablement connaissance de sa femme (elle se révèle « aussi tendre qu'un demi de mêlée »), de sa belle famille aux habitudes néandertaliennes et apprend du même coup qu'Angie est enceinte. Tant bien que mal il essaie de s'adapter à sa nouvelle situation de captif tout en songeant à fuir ce microcosme désert et oublié. Malheureusement pour lui, on a pris soin de lui confisquer son passeport et son argent, ce qui compromet encore davantage ses velléités de départ.

     

    Il s'aperçoit vite que la seule façon de s'en sortir est de donner le change et pour faire davantage illusion il simule la dépression qu'il soigne comme il peut malgré les dangers que cela représente puisqu'il s'aperçoit qu'il est soumis à une surveillance constante. Il fait cependant la connaissance de la seule personne qui n'a pas été contaminée par ce clan. Il s'agit de Krystal qui se trouve être sa belle-sœur, institutrice de cette ville fantôme, animée elle aussi de velléités de fuite. Avec elle, il met au point un plan laborieux mais qui malheureusement tournera mal pour elle.

     

    J'ai bien aimé ce roman au style, certes peu académique et même argotique mais quand même un peu drôle. Le texte qui se lit facilement entraîne le lecteur passionné dans une aventure ou le suspense et le dépaysement sont garantis.

     

    Avec ce roman un peu cauchemardesque par moments, paru précédemment sous le titre « Cul-de-sac », Kennedy poursuit sa quête du bonheur impossible comme il l'avait fait avec « Quitter ce monde »(la feuille volante n° 485 ) Ces personnages se débattent comme ils peuvent dans des mariages improbables. J'aime assez cette peinture originale de la condition humaine et son style est toujours aussi attachant.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • QUITTER LE MONDE – Douglas Kennedy

      

     

    N°485– Décembre 2010.

    QUITTER LE MONDE – Douglas Kennedy – Belfond.

     

    Tout commence par une scène de ménage ordinaire entre époux qui ne s'aiment plus et qui choisissent le jour du treizième anniversaire de leur fille unique, Jane Howard, pour se jeter à la figure les griefs qu'ils ont accumulés pendant de longues années de mariage. Pour que l'effet soit complet, l'adolescente déclare à ses parents « qu'elle ne se mariera jamais et qu'elle n'aura jamais d'enfant ». Le lendemain, le père alcoolique notoire, quitte la maison pour ne plus jamais y revenir en laissant une lettre d'explications qui fait allusion à la remarque péremptoire de l'adolescente. Dès lors s'installe entre la mère et la fille une atmosphère de culpabilisation où s'insinue la traditionnelle question que chacun se pose sur son propre destin. En est-on maître ou s'impose-t-il à nous ?

     

    Plus tard, sa mère qui a choisi elle-aussi l'alcool pour mourir à petit feu, accepte la mort comme une délivrance tout en rappelant à sa fille devenue une femme ses paroles d'adolescente. Pourtant, Jane a une vie normale, bousculée seulement par des aventures mal vécues et une relation adultérine interrompue par la mort de l'amant. Après un séjour rapide dans un fonds de pension ou elle connaît la vie trépidante d'un trader, elle prend un poste dans une université de Nouvelle Angleterre, devint mère d'une petite fille et s'aperçoit que son compagnon, dont elle se sépare, la trompe et l'escroque. Elle apprend que son père qui ne s'était guère occupé d'elle a été non seulement un aigrefin mais aussi un collaborateur du régime chilien de Pinochet et prend conscience, à la mort de sa mère que celle-ci ne l'a jamais aimée. Seule sa fille est une source de joie pour elle alors qu'elle se rend compte que tout autour d'elle l'abandonne. C'est pourtant cette même Jane qui avait juré ne pas vouloir d'enfant !

     

    On ne dit pas assez que la mort fait partie de la vie et quand elle frappe ceux qui nous sont chers et plus spécialement nos enfants cela devient insupportable. Comme si sa vie n'avait pas été un assez long chemin de croix, comme si le destin devait s'acharner sur ceux qu'il a choisis, Jane croise encore une fois le malheur et sa fille périt dans un accident. Face à cela, la vie de Jane s'arrête, il ne peut d'ailleurs en être autrement et le tentation est grande de « quitter ce monde » où elle n'a décidément plus rien à faire. Après une telle épreuve, rien ne peut plus être comme avant. Cela commence par la volonté de se marginaliser elle-même simplement parce qu'à partir de ce moment-là, elle n'est plus comme les autres gens. Ils ne peuvent rien pour elle et souvent l'évitent, pour leur confort personnel. Il n'est facile ni de comprendre et à plus forte raison d'aider ces malheureux parents en deuil qui n'admettrons jamais l'absence définitive de leur enfant. Pour eux l'enfer est bien dans ce monde et non dans une hypothétique vie post-mortem. La culpabilisation d'être encore vivant face à ce malheur est une réalité et le contexte judéo-chrétien qui baigne nos sociétés occidentales ne fait que rajouter à l'horreur. Quant au message de la religion, il ne pèse rien face à cette douleur !

     

    Jane se réfugie alors dans les médicaments et l'alcool mais aussi dans la parole toujours difficile à formuler, dans le travail, dans le dépaysement. Cela la protège du monde extérieur, met en évidence la tentation du suicide momentanément écartée parce qu'impossible, cette incompréhensible ressource de l'être humain face à la vie qui pourtant ne pèse plus rien. «  Il faut continuer, je ne peux continuer, je vais continuer » dit Samuel Beckett, illustrant toute l'ambiguïté et la complexité de cette situation.

     

    Elle suit alors un parcours un peu cahoteux qui la mène au Canada où elle croise à nouveau la mort et l'injustice, mais dans le cadre d'une intrigue policière où elle joue un rôle primordial mais qu'elle souhaite anonyme (ce détail prend une importance capitale), de découverte du coupable. Bizarrement, cela commence par par une intuition féminine qui va à l'encontre des certitudes des enquêteurs et de la vindicte publique mais agit comme un véritable miroir de sa propre souffrance. Elle se jette seule, avec une énergie longtemps refoulée par son deuil, dans des investigations qui vont mettre à mal sa réputation et vont menacer sa vie. Finalement son action solitaire et un peu désespérée fera éclater la vérité et bousculer pas mal d'idées reçues sur la religion et ses ministres ! C'est en réalité un combat pour la vie qui reprend le dessus et avec lui une acceptation des malheurs qu'elle n'as pas souhaités et qui ont peuplé son parcours,. Elle doit y faire face et les assumer parce que cela est sa destinée et qu'elle ne peut rien faire contre elle. Elle restera pourtant définitivement différente des autres, imperméable au bonheur humain !

     

    Malgré des longueurs, Douglas Kennedy se révèle être un excellent illustrateur de la condition humaine dans ce qu'elle a de plus intimement sordide. Il parle avec justesse des rapports qui existent entre les gens, à l'intérieur même d'une famille, la confiance qu'on peut faire aux autres et les mensonges, les trahisons qu'ils peuvent nous faire subir, de l'hypocrisie qui règne en ce monde, des épreuves et des deuils qui pourrissent la vie de certains d'entre eux, choisis arbitrairement par le destin ou le hasard.

    Il est aussi un bon critique des idées reçues qui sont souvent opportunément entretenues, même si les valeurs de charité et d'amitié, de solidarité si volontiers proclamées, en sortent quelque peu écornées.

     

    Kennedy poursuit dans ce roman sa quête du bonheur impossible. Finalement Jane semble choisir de demeurer dans ce monde qu'elle souhaitait quitter mais en restera en marge parce que c'est sa façon de s'en protéger.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'HOMME QUI VOULAIT VIVRE SA VIE – Douglas KENNEDY

     

    N°481– Décembre 2010.

    L'HOMME QUI VOULAIT VIVRE SA VIE Douglas KENNEDY- Éditions Belfond.

     

    Le moins que l'on puisse dire est que Ben Bradford, la trentaine, a réussi, à tout le moins au sens social du terme. Pour faire plaisir à son père, il est devenu avocat d'affaires, travaille dans un prestigieux cabinet de Wall Street. Marié à Beth, une jolie femme, quoiqu'un peu superficielle, deux enfants, il vit fort confortablement dans une banlieue riche de New-York. Cela devrait suffire à sa vie puisqu'il a tout pour être heureux, comme on dit, mais en apparence seulement ! Il se trouve qu'il n'aime pas le rythme routinier de son existence. D'ailleurs Beth elle-même n'y met pas beaucoup du sien et les hurlements de Josh, leur petit-dernier, n'arrangent rien. Quant aux exigences d'Adam, l'aîné, ce n'est guère mieux. Le thème de l'insatisfaction peut paraître banal chez un être à qui la vie semble avoir tout donné, pourtant, ce qu'il aurait voulu, c'est être photographe. C'est un rêve de jeunesse qu'il n'a jamais vraiment abandonné autant qu'un défi lancé par sa petite-amie d'alors, Kate Bryner, devenue correspondante de guerre à CNN. Cela se complique un peu quand il constate que tout s'y met pour lui pourrir la vie, les absences répétées et sans raison de son épouse... et sa froideur récente au lit qu'il ne peut raisonnablement pas mettre sur le seul compte de la dépression post-natale. Elle a bien changé ces derniers temps, est devenue distante, presque étrangère. Des disputes éclatent entre les deux époux à propos de rien de sorte qu'il parvient rapidement à détester sa propre maison... et ses habitants ! Et pourtant, il aime sa femme; l'usure du couple est aussi un sujet éculé jusqu'à la trame. Pour que le tableau soit complet, il découvre qu'elle le trompe avec un moins que rien, un minable, un inconnu qui ne lui arrive même pas à la cheville, un photographe-amateur un peu mythomane du nom de Garry Summers. La certitude de s'être trompé avant de l'avoir été prend possession de lui.

     

    La trahison, le mensonge, l'adultère débouchent nécessairement sur un divorce annoncé, la perte de tout ce qui faisait sa vie. Non seulement Beth se révèle sous son vrai jour mais surtout, pour Ben, cela va correspondre à la séparation d'avec ses enfants qu'il ne peut se résoudre à admettre. Face à cela, le désespoir se dessine et avec lui le suicide comme une solution...

    C'est pourtant mal connaître notre avocat, qui est avant tout un être intelligent et organisé et qui, pour avoir été ainsi bafoué et humilié, choisit de se débarrasser définitivement de l'amant de sa femme. Il met au point un scénario qui ressemble au manuel du parfait petit assassin ou, si l'on préfère, au mythique « crime parfait » !

     

    Il convient donc de mettre à profit cette opportunité pour « vivre enfin sa vie », organiser sa propre disparition pour mieux réapparaître ailleurs, sous une autre identité, pour une autre existence plus conforme à ses désirs, avec un niveau de vie plus modeste, bref devenir Garry Summers ! C'est le début d'une course anonyme, d'autant plus effrénée qu'elle ne mène nulle part si ce n'est vers ce qu'il a toujours rêvé : devenir photographe. Le hasard sert ses projets un peu malgré lui, dans le Montana où il rencontre la notoriété et l'amour, avec en toile de fond le mensonge, la supercherie, puisqu'il est désormais célèbre, mais sous un faux nom !

     

    Je ne dévoilerai pas l'épilogue, mais ce roman, tissé de mort, de vie et de renaissance, de rebondissements inattendus, de notoriété, de succès et d'oubli, m'a conquis par le réalisme de ses descriptions (notamment l'incendie) autant que par la pertinence de ses remarques sur le système, sur la réussite, sur la condition humaine autant que la précision de son scénario et un grand souci du détail.

     

    J'observe que les personnages de Kennedy, même les plus secondaires, ont plus ou moins subi l'échec du mariage ou côtoyé la mort. C'est certes un roman policer plein de suspense, mais que le lecteur passionné finit par oublier au profit d'une authentique et émouvante histoire d'amour, la victoire de la vie.

     

    Alors, problème de recherche de sa propre identité, interrogations sur le sens de la vie, sur la fuite en avant, sur le refus de voir les choses ? C'est aussi une réflexion sur la renommée éphémère et son cortège inévitable d'argent, de reconnaissance et d'oubli, sur la peur de la réussite et l'angoisse de la perte, sur la fragilité des choses humaines ou l'invitation à se méfier de l'inconstance des femmes que la présence d'un conjoint et d'enfants ne dissuade pas de l'adultère ? Pourquoi pas ? « Ça te conduit à penser que tout est fragile, que tout n'a qu'un temps. Tu finis par douter du bonheur, douter que ça puisse exister. Et chaque fois qu'il t'arrive quelque chose de bien dans ta vie, tu sais que ça ne restera pas, qu'on va te le reprendre à un moment ou à un autre... »

     

    J'ai bien aimé le style délié, parfois jubilatoire, l'humour et le rythme de ce roman. Au début, l'auteur réussit à faire sourire le lecteur avec une situation matrimoniale certes classique, mais qui n'amuse que lorsqu'elle arrive aux autres, sur une scène de théâtre de boulevard ou au cinéma. En prime nous avons aussi un résumé de « l'American way of Life » qui, malgré son côté futile et sa consommation effrénée de whisky et de médicaments, deviendrait presque sympathique. Je ne parle pas des procédures de licenciements brutales et inhumaines dont l'Europe s'est malheureusement inspirée. Puis vient l'invitation à réfléchir...

     

    Tout cela donne un roman passionnant, agréable à lire où l'auteur tient en haleine son lecteur jusqu'à la fin.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

×