la feuille volante

Georges-Léon Godeau

  • La vie est passée

    N°1756– Juillet 2023

     

    La vie est passée - Léon Georges Godeau - Le dès bleu

    Ce recueil qui date de 2002, c’est à dire qu’il est posthume, a fait l’objet pour sa réalisation de nombreuses recherches puisque les poèmes qui le composent ont été publiés dans différentes revues ou anthologies. Les thèmes sont traditionnels, ce sont les voyages effectués tout au long de sa vie et qui lui permirent de poser un regard sur la nature humaine, la famille, les amis mais surtout le Marais Poitevin qu’il chérissait pour y pêcher et s’y promener et les gens qu’il rencontrait, ces deux derniers sujets étant le principal ferment de son œuvre.

    Sur le plan de la forme, l’auteur refuse la rime, ce sont des poèmes en prose mais qui ne prennent leur véritable épaisseur que dits de vive voix. En cela il suit l’idée qu’il défendait déjà à la sortie de ce qui est à ma connaissance son premier ouvrage, « Javeniles », qu’il publia en 1953 à l’âge de trente-deux ans et qui annonça l’édition d’une vingtaine de recueils. Il était édité par « La tribune des poètes », est actuellement introuvable et a fait l’objet d’une réédition numérique par FeniXX. Dans ce recueil initial il annonçait en effet son refus de la règle et de la prosodie, même si certains des textes en montraient encore la marque, une manière de tourner la page en quelque sorte.

    Son écriture est simple, fluide, abordable par les gens ordinaires dont il parle et qui constituent, dans leur quotidien même, la véritable « matière-émotion » de son œuvre. Son univers familier c’est en effet la condition humaine universelle, celle du travail, les joies et les peines de la vie, des amours simples, des hasards, de l’instant fugitif comme de la permanence, de la mort...

    La poésie de Godeau passe par l’œil, par sa vision des choses et des êtes vivants, par l’idée qu’il s’en fait, l’image qu’il veut nous faire partager, un peu comme ses dessins et tableaux.

    Godeau est un poète injustement oublié, publié de son vivant majoritairement par de petites maisons d’édition ainsi que le note Louis Dubost (Le dés bleu) qui fut un de ses éditeurs. La France, pays de la culture et des Lumières boude un peu la poésie mais ce n’est pas le cas du Japon et de la Russie.

    Godeau mérite assurément plus que cette indifférence.


     

     

  • Votre vie m'intéresse

    N°15 – Août 1986.

    VOTRE VIE M'INTERESSE – Georges-Léon GODEAU – Le Dé Bleu.

     

    L'univers d'un poète est tout entier contenu dans ses mots et il rend compte de sa vision des choses d'une manière qui lui est propre, qui est unique. Léon-Georges Godeau possède cette qualité rare d'émouvoir en quelques phrases et de dire les choses et les gens aussi simplement qu'ils sont. Il fait sûrement sienne cette pensée de Victor Ségalen « Voir le monde et l’ayant vu dire sa vision ».

    Son écriture est de plain-pied avec les gens de toute condition, dans leur quotidien, leurs joies, leurs peines, leur travail. Il en est le témoin privilégié, s’identifie à eux parce qu'il a su promener son regard attentif sur le monde qui l'entoure et montrer à son lecteur ce qu'il a lui-même perçu sans pour autant y prêter attention. N'avoue-t-il pas lui-même « Mon peuple, je suis bien avec » ? (« une gamine », « les petits voyous »).

     

    Poète, Il n'en n'a pas moins été un homme de labeur, en contact constant avec d'autres hommes différents de lui mais qui lui ressemblent simplement parce qu'ils portent en eux la marque de la condition humaine. Ces paysans, ces ouvriers, ces bureaucrates, il les a côtoyés chaque jour de sa vie , mais ils sont aussi ses voisins, ses familiers (« Le nain », « Le rôdeur », « Le boueur », « Louise », « La meilleure secrétaire »).

     

    Tel un artisan méticuleux, il procède par petites touches pleines de vie, pleine de cette vérité qu’on voudrait cacher mais que sa sensibilité sait déceler. Il sait aussi décrire avec minutie les frayeurs intimes et puériles qui sont les siennes et par conséquent les nôtres (« Le causse »). Quand il parle de jeunes-filles ou des femmes, le style fait une grande place au non-dit, comme une délicatesse qu'il nous invite à saisir (« La fille du mareyeur », « Les femmes »). Qu'on ne s'y trompe pas, l'économie engendre l’harmonie et les mots sonnent agréablement à l'oreille car l'écriture est stricte, dépouillée, claire, pleine de senteurs et d'images. Cette « matière-émotion » comme aurait dit Char, je la retrouve dans ses dessins à la plume plus que dans sa peinture et cette exigence, je le rencontre en lui-même quand il déclare que malgré les nombreux recueils publiés, dont un chez Gallimard, et malgré une notoriété qui s'étend jusqu'au Japon et en URSS où il est traduit , seuls quelques dizaines de textes trouvent grâce à se yeux. N'avoue-t-il pas « Rien n'est important sauf quelques vrais textes qui resteront après le grand remue-ménage » ? Ce n'est pas la moindre qualité de cette anthologie que d'offrir au lecteur l’occasion de connaître Godeau à travers 25 années d'écriture.

     

    S'il n'a jamais été donné une définition de la poésie, celle qu'il fait sienne résume bien les choses « Les poèmes s'inventent au bord du monde, un pied sur la terre l'autre das le vide ». Ce que je retiens de ce livre c'est que son auteur a vu le monde, l'a mis dans ses yeux pour le remettre dans les nôtres. Il l'a fait simplement en nous invitant à nous arrêter. Tant pis pour ceux qui sont pressés !

     

  • On verra bien

    N° 1755 -Juin 2023

    On verra bien - Léon Georges Godeau - Le dès bleu

     

    Avec ce titre assez peu poétique Léon Georges Godeau (1921-1999) nous donne à voir mais aussi à entendre des tranches de vies puisque la poésie en général et la sienne en particulier ne s’apprécie pleinement que dite de vive voix.

    Un des grands intérêts de son écriture est la simplicité au sens où il transmets à son lecteur, avec une grande économie de mots, une sorte de flash et le laisse libre de graver dans sa mémoire cette impression fugace ou de l’oublier. On y lit le quotidien dans son immédiateté, presque rustique et surtout sans fard, c’est une vision discrète et fugitive du monde qui l’entoure, à l’image de ses dessins et peintures qui ornent les couverture de ses recueils, avec une prédilection pour les gens simples, amis ou voisins qui le peuplent et nourrissent son œuvre, de préférence aux plus aisés qui lui semblent avoir moins d’intérêt, être moins authentiques. Il nous la transmets telle qu’il la voit, spontanément mais non sans la dimension critique que lui inspire l’espèce humaine dans ce qu’elle a de tragique, de comique ou d’indigne, d’inintéressant. En cela il fait un choix. sans recherche de vocabulaire ni construction prosodique, en prose brute, une manière d’illustrer ce mot de Victor Segalen « Voir le monde et l’ayant vu, dire sa vision».

    On peut y voir la tentation de la facilité, on a même parlé de simplisme, mais à mon sens, c’est plutôt la verbalisation de son émotion intime et celle qu’il souhaite faire naître chez son lecteur devenu son complice. C’est l’envie d’écrire qui prévaut, de faire danser les mots, de fixer une impression ou une idée, de la confier au fragile support du papier, d’y laisser une trace pour lui d’abord et surtout pour un improbable lecteur. Il écrit aussi pour être lu par tous ceux qui voudront bien lui prêter un peu d’attention mais pas pour une élite intellectuelle. On peut y lire la solitude qui est inhérente à la condition humaine mais qui fait tellement partie de la vie mais aussi la sollicitude du regard qu’il porte sur ses semblables, l’attention et l’intérêt qu’il leur témoigne.

    L’homme était simple et menait une vie retirée loin des mondanités. Il se aimait se promener à pied, pêcher à la ligne dans ce Marais Poitevin qu’il appréciait pour sa douceur, son silence et son mystère, loin de la foule des gens pressés, mais cela n’excluait ni les voyages ni les amitiés solides, celle du linguiste Georges Mounin et du poète René Char. Des poèmes attestent d’une rencontre, d’un moment ... Il recevait toujours ses invités avec cordialité malgré une surdité bien réelle mais qui ne l’handicapait pas outre mesure.

    Ce que je retiens après chacun de ces courts textes, c’est la mélodie des mots, pas une symphonie de couleurs et de sons mais au contraire des images tissées à petites touches pointillistes ;

    Godeau reste un poète injustement oublié.

     

     

  • D'un monde à l'autre

    N°1624 - Janvier 2022

     

    D'un monde à l'autre – Georges-Leon Godeau – Édition Ipomée.

     

    Depuis que je lis Georges Godeau (1921-1999) je suis étonné par l'acuité du regard qu'il porte sur le monde qui l'entoure. On a eu raison de dire de lui que son "œil écrit" et d'ajouter comme l'a précisé Georges Mounin "qu'il écrit pour tous, il peut être lu par tous". Il n'écrit en effet pas pour une élite mais s'adresse à tous ceux qui veulent bien consacrer un peu de leur temps à lire ce qu'il écrit. Chez lui pas d'ésotérisme, pas d'images ou d'idées énigmatiques qui se rattachent à une chapelle où vous plonge dans un univers abscons. Chez lui tout est transparence, quotidien, presque ordinaire si on considère que l'écriture poétique peut être ordinaire, mais ce sont ses mots qui sont empruntés au quotidien dans tout ce qu'il a de plus banal.

    Son matériau, ce sont des mots simples, simplement, sobrement exprimés, économisés même, en dehors de toute prosodie classique. Ils expriment une sorte de vision furtive qui s'offre à lui et dont il choisit d’en conserver la mémoire. Dans cette recherche du souvenir, il veut graver l'émotion de l'instant, la couleur et les formes de cette image furtive, un peu comme l'a dit Victor Ségalen "Voir le monde et l'ayant vu, dire sa vision". C'est souvent le petit détail qui échappe au commun des mortels, qu'il ne peut ou ne veut pas voir (Georges Mounin parle à son sujet de celui qui voit « le non-vu », le « non-dit ») , un moment de la vie d’un quidam, la beauté d'une femme qui illumine son entourage, la transparence d'un paysage qui attirent son regard et l'invitent à jeter sur la feuille blanche l'émotion d'un instant, comme une fulgurance qui fige le temps. J'ai parfois le sentiment que derrière les gens qu'il voit et dont il nous fait partager une infime parcelle de leur vie, son regard perce d'enveloppe charnelle et, l'air de rien, lit en eux comme dans un livre, se faisant l'écho d'un sentiment supposé de leur part ou ressenti par lui de sorte qu’il en devient un peu, pour une miette de temps, l’interprète, le complice. Mais il n'est pas uniquement le spectateur passif du monde qui l'entoure, il en parle parce qu'il en fait également partie, ne se distingue en rien des autres hommes qui marchent dans les rues, la seule différence étant qu’il fait provision d’images, de fragrances et de sons qu’il tracera plus tard sur la feuille blanche, quand le temps sera venu et qu’il aura fait le vide sur tout cela. Comme il le dit lui-même dans un autre recueil « Les poèmes s’inventent au bord du monde, un pied sur la terre, l’autre dans le vide »

    Ce recueil s'ouvre sur un aspect de sa démarche créatrice qu'est le voyage. Il fut en effet un grand voyageur attentif aux choses, parfois les plus inattendues, réceptif autant que possible à cet appel de l'inconnu du "coin toujours remis qu'il faut bien voir avant de mourir". Ainsi se multiplient les visions confidentielle d'une capitale connue avec ses foules et ses bruits ou du silence et de la solitude d'un modeste hameau oublié sur le cadastre du monde.

    Il est aussi le poète de la nature, de ce Marais Poitevin qu’il aimait tant arpenter, cette Sèvre niortaise où il aimait tant aller pêcher . Ses recueils de poèmes, rares, ne se trouvent maintenant qu’en bibliothèque et sont bien peu souvent consultés plus de vingt années après sa mort. Poète injustement oublié, il mérite mieux qu’un discret hommage.