la feuille volante

Henning Mankell

  • Meurtriers sans visage

    N° 1440 - Mars 2020.

     

    Meurtriers sans visage – Henning Mankell- Christian Bourgois éditeur.

    Traduit du suédois par Philippe Bouquet.

     

    Dans une ferme isolée, un couple d’agriculteurs retraités a été sauvagement assassiné. Ce qui intrigue les enquêteurs c’est le nœud coulant peu commun qui a servi a étrangler la femme qui, avant de mourir a prononcé des mots inaudibles et le terme « étranger »semble avoir été entendu. L’information ayant fuité ça ne va pas manquer de déclencher une vague de xénophobie dans la région où séjournent nombre d’immigrés. Il y avait sûrement eu des fuites au commissariat ! Ce sera l’occasion pour Wallander, et pour le lecteur, de prendre conscience que la société suédoise est moins lisse et policée qu’il y paraît et connaît les mêmes soubresauts racistes que les autres.

     

    De dénonciations en investigations, il apparaît que cette famille aurait fait une fortune illicite pendant la deuxième guerre mondiale . De plus les circonstances du meurtre sont des plus bizarres et le mot « étranger » qu’un policier a cru entendre dans la bouche de cette femme qui allait mourir et qui a miraculeusement été publié dans la presse , nourrit les tensions xénophobes et génère un autre meurtre.

    Au cours de cette enquête Wallander qui vient de se séparer de sa femme vit une solitude difficile ainsi que des relations conflictuelles avec sa fille. Les visites qu’il fait à son père vieillissant sont également pour lui une épreuve, les relations entre les deux hommes n’ayant jamais été vraiment bonnes, et notre inspecteur est confronté à titre personnel, outre à cette enquête qui n’avance pas, à des difficultés d’ordre familiale dont il se passerait bien.

     

    Ce policier désabusé, un peu dépressif et même alcoolique me plaît bien.

     

    C’est le premier roman de cette série qui sera popularisé en France par la télévision, sûrement pas le meilleur de la série et dont l’intrigue traîne un peu mais qui met en lumière cet inspecteur devenu emblématique.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Une main encombrante

    N° 1430 - Février 2020.

     

    Une main encombrante Henning Mankell – Éditions du Seuil.

    Traduit du suédois par Anna Gibson.

     

    Il est plutôt chanceux l’inspecteur Kurt Wallander. En ce mois d’octobre 2002, il vient de trouver ce dont i rêve depuis longtemps, lui qui voulait quitter son appartement d’Ystad pour vivre à la campagne, avec Linda sa fille qui travaille avec lui au commissariat et avec un chien, un avant-goût de la retraite en quelque sorte. Ça tombe plutôt bien puisqu’il est vraiment lessivé et même un peu désabusé par son métier, par la vie en général, sauf que la réalité va être un peu différente. En explorant le jardin de cette propriété qui lui plaît bien, il tombe sur les os d’une main, et donc sur une enquête. Au bout de la main il y a évidemment un squelette dont l’état laisse à penser que les investigations vont être difficiles à cause de la mort qui remonte au siècle dernier, de la charge de travail qui augmente pour des enquêteurs de moins en moins nombreux et par-dessus tout cela la presse qui s’en mêle et qu’un autre squelette est découvert.

     

    J’ai retrouvé avec plaisir le personnage de Wallander et l’ambiance de cette courte enquête qui nous fait remonter le temps et qui insiste sur son état d’esprit et ses aspirations. Selon l’auteur, ce serait la dernière de l’inspecteur, fatigué, désireux de se retirer... Mais aussi pour l’auteur cette volonté de passer à autre chose, de l’abandonner à la vieillesse, à une sorte de néant ! On sent que Mankell lui aussi est sans doute gagné par la nostalgie. Les investigations sont quelque peu hésitantes mais mon attention a été attirée par les dernières pages consacrées par l’auteur aux rapports qu’il entretenait avec Wallander, c’est à dire les relations créateur-créature. Il nous parle de la « naissance » de son personnage, de l’origine de son nom, de son diabète, de sa solitude dans l’attente d’une hypothétique compagne, de son côté désabusé... Mankell aborde la question d’une manière originale se demandant si Wallender lisait les mêmes livres que lui. Et lui de répondre, à sa place, en précisant que Kurt n’était sans doute pas un grand lecteur, avec peut-être un faible pour Sherlock Holmes ! Puis il passe à autre chose. Mais là, je suis resté un peu sur ma faim. Le personnage de roman vit en effet, certes par intermittence, mais néanmoins une existence quasi réelle puisque, en Suède, il est souvent arrivé qu’on interpelle Mankell dans la rue... en lui demandant des nouvelles de Wallander ! J’aurais bien voulu le voir développer les rapports qu’entretient, à l’intérieur de l’intrigue, l’écrivain qui tient la plume et reste, en principe, maître du jeu avec le personnage qui lui obéit mais souvent, au fils des pages, entend bien imposer sa manière de vivre les événements et de faire valoir sa liberté individuelle. Ce concept qui peut paraître anodin voire inutile m’a toujours fasciné et n‘est pas, à mon avis, un simple exercice de style mais fait partie intégrante du processus créatif. Laisser au personnage son libre arbitre, se laisser porter par lui au point de modifier son idée de départ est pour l’écrivain une façon de s’effacer devant sa création.

     

    Henning Mankell est mort en 2015. A ma connaissance, il n’a pas renouvelé ce genre d’explications, passionnantes pour moi.

     

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Les chaussures italiennes

    La Feuille Volante n° 1223

    Les chaussures italiennes – Henning Mankell – Seuil.

    Traduit du suédois par Anna Gibson.

     

    En prenant ce roman sur les rayonnages d'une bibliothèque, je pensais entrer encore une fois dans l'atmosphère du roman policier dont Mankel est le créateur. J'ai toujours apprécié l'ambiance créée par lui, le personnage de Kurt Wallander, policier humain et désabusé, le dépaysement de ces ouvrages... Cette chronique s'en est souvent fait l'écho. Rien à voir cependant avec une enquête policière cette fois, mais je n'ai pas regretté.

     

    En deux mots cette histoire évoque un chirurgien suédois de soixante-six ans, Fredrik, venu s'exiler sur une île de la Baltique parce que culpabilisé par une erreur médicale, une amputation inutile, faite par erreur douze ans plus tôt et qui a mis fin à une carrière qui aurait été brillante. Il y vit seul, dans une vielle maison de pêcheur qui a appartenu à ses grands-parents, en compagnie de deux vieux animaux, une chienne et une chatte et… une fourmilière envahissante! Son activité se résume à faire des trous dans la glace pour s'y baigner et à tenir le journal d'une vie qui a tourné court et qui finit par être une chronique de la météo du jour et de simples annotations brèves, presque incompréhensibles. Il n'a pour tout contact avec le monde extérieur que la visite de Jason, un facteur hypocondriaque et curieux qui le prend pour son médecin traitant. Autant dire qu'il attend la mort. Tout au long de ce récit Fredrik écrira et recevra des lettres, seul vrai moyen qu'il a choisi, même à l'époque du téléphone portable, pour correspondre avec ses semblables. Malgré son retrait du monde, vient à lui Harriet, une femme qu'il a jadis aimée puis abandonnée, mais qui ne l'a jamais oublié. Elle est vieille et malade d'un cancer et ils vont faire ensemble un dernier voyage, parce qu'elle exige qu'il tienne une vielle promesse. Son obéissance servile ressemble un peu à un chemin de Canossa et est à la mesure du remords qu'il éprouve et du pardon qu'il espère. Lui qui n'a jamais eu d'enfant, apprend qu'il est le père de Louise, une femme maintenant adulte, pour qui il ne peut avoir les sentiments qu'on ressent face à un enfant, et qui est la fille d'Harriet. Ce fait va bouleverser sa vie et ses projets. Ce n'est cependant pas la seule femme qui va débouler dans sa vie et la bouleverser mais la coïncidence n'est pour rien dans la rencontre qu'il fait d'Agnes, la femme qu'il avait amputée par erreur d'un bras et aussi ruiné sa carrière de nageuse de haut niveau. D'elle aussi il attend un pardon.

    Il y a beaucoup de décès (humains et animaux) tout au long de cette histoire, la camarde qui rôde autour de lui parce que la mort est la seule chose qui en ce monde est certaine, mais aussi de solitude, d'abandon de regrets et de remords. La mort, il nous est simplement possible d'y faire échec avec des rituels et la permanence de la mémoire, encore est-elle limitée à la durée de notre propre vie. Pourtant, à son âge et dans son état d'isolement Fredrik pensait qu'il était enfin en règle avec sa vie et qu'il pouvait oublier toutes ses trahisons, comme si le temps était capable de tout abolir, de tout réguler, mais ce sont des femmes qui vont se charger de rafraîchir sa mémoire et surtout de raviver sa culpabilité. Il est donc question de pardon qu'il obtiendra peut-être avant de mourir à son tour. Ce ne sera pas simple, à l'aune sans doute de ses mensonges et de ses oublis. Il sera accordé, simplement parce qu'il le demande, avec sincérité et repentance, par celles à qui il a porté préjudice. Nous faisons en effet du mal par action mais aussi par omission, sans pour autant le vouloir effectivement. Tout cela prendra du temps et la ronde des saisons, avec son alternance de canicule et de glace, est là pour souligner ce long cheminement, avec le temps fort des solstices. Il pourra mourir sereinement, assuré de s'être racheté.

     

    Je ne m'attendais pas à ce genre de roman mais je l'ai trouvé tout à la fois passionnant et émouvant, fort bien écrit et agréable à lire. .

    © Hervé GAUTIER – Février 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com

  • Les chiens de Riga

    La Feuille Volante n°1040– Mai 2016

    LES CHIENS DE RIGA– Henning MANKELL – Éditions du Seuil.

    Traduit du suédois par Anna Gibson.

    On a retrouvé dans un canot dérivant sur la Baltique, au large du port suédois d'Ystad, le corps de deux Russes, bien habillés, assassinés après avoir été préalablement drogués et torturés. Wallander est chargé de l'enquête alors qu'il est encore bouleversé par la mort de son collègue Rydberg, victime d'un cancer et préoccupé par l'état de santé de son père. Cela débute mal avec l'assassinat de Liepa, un major letton venu en renfort, la disparition de pièces à conviction, le transfert du dossier à Riga en Lettonie où la présence de Wallander est temporairement requise. Dès son arrivée dans cette ville, il est amené à s'intéresser à la mort mystérieuse du major mais les zones d'ombre se multiplient autour de cette affaire dont les méthodes sont inspirées par l'ancienne Union Soviétique. Très tôt le commissaire pense que l'enquête sur les Russes du canot et l'assassinat du major sont liés mais ses investigations sont contrariées par des écoutes téléphoniques et une surveillance que n’aurait pas renié de KGB. En Lettonie il est confronté à l'existence de complots, de corruption, de chantage, de trafic de drogue qui faisaient l’objet des recherches du major mais aussi à des dissensions et des jalousies entre collègues avec leurs inévitables délations et flagorneries. C'est aussi la combinaison de mensonges, de non-dits, de demi-vérités, de fausses pistes et d’enchaînements bien réels qui débouchent sur la mort d'un homme apparemment trop intègre. C'est donc autre chose que les banales affaires qui font l’ordinaire policier du commissaire et ce d'autant plus que, pris dans une sorte de logique du désespoir, il finit par faire une affaire personnelle d'une enquête qui ne le regarde plus, au point même d'exposer sa propre vie. De plus, à 43 ans, notre commissaire qui ne s'est jamais remis de la séparation d'avec sa femme, a un peu de mal à apprivoiser sa solitude dépressive avec de l'alcool, doute de son métier et ce n'est pas cet épisode letton, avec ses connotations personnelles, ses recherches longtemps vaines et chaotiques de documents et ses erreurs d'appréciations qui vont le remettre sr les rails. Il est certes, de par son métier, en contact permanent avec le côté obscur de la nature humaine mais là cela va prendre des proportions inattendues et lui révéler le vrai visage des pays baltes et peut-être lui faire apprécier la vie dans son beau pays.

    C'est un roman policier plein de suspense, aux ramifications internationales, où plane en permanence le fantôme de Rydberg, où pour Wallander l'assassin qui se dérobe en permanence peut prendre l’apparence banale d'un policier comme d'un tueur nostalgique de l'ancien ordre soviétique, où il a l'impression d'assister à une sorte vendetta secrète dont il ne maîtrise ni les raisons ni les conséquences. Le texte, riche en rebondissements, bien construit, est entrecoupé de phrases en italiques qui se font l'écho des remarques intimes et désespérées du commissaire sur une situation qui lui échappe de plus en plus au fil de ses investigations.

    Comme toujours, cela a été pour moi, un bon moment de lecture.

    © Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • LE RETOUR DU PROFESSEUR DE DANSE – Henning MANKELL

    N°654– Juillet 2013.

    LE RETOUR DU PROFESSEUR DE DANSE – Henning MANKELL – SEUIL Policiers. Traduit du suédois par Anna Gibson.

    Nous sommes en décembre 1945 en Allemagne, Donald Davenport arrive d'Angleterre pour y effectuer un travail bien particulier. Il s'agit d'exécuter par pendaison des criminels nazis. Il est le bourreau officiel.

    Puis nous changeons brusquement d'époque et de lieu puisque nous sommes en Suède en 1999. Un jeune policier de 37 ans qui vient d'appendre qu'il est atteint d'un cancer, Stephan Lindman, vient d'être informé de l'assassinat d'un de ses anciens collègues, Herbert Molin, qui avait pris sa retraite dans un coin retiré et boisé du nord du pays. Il vivait seul dans une grande maison isolée et y menait une vie retirée mais énigmatique. Arrivé sur place et malgré une enquête officielle dont il est bien entendu exclus, Lindman, en bon policier, tente d'en savoir davantage. Il établit très vite que si Molin se cachait ici, c'était par peur, que ce meurtre n'est pas le fait d'un rôdeur mais au contraire ressemble à une véritable exécution, précédée d'ailleurs de tortures, que l'homme qu'il croyait connaître se révèle être un véritable étranger pour lui. Le modus operandi est en effet des plus bizarres et fait référence à une passion de la victime... pour le tango ! Intrigué, Lindman, qui aide maintenant ses collègues, pousse plus loin ses investigations et se pose de plus en plus de questions à propos de Molin. Le fait qu'il ait changé de nom, de profession, que ses enfants se soient définitivement détournés de lui, qu'il ait, pendant la guerre, adhéré au parti nazi au point de porter l'uniforme de la waffen SS et qu'il soit resté convaincu par cette idéologie jusqu'à la fin de sa vie, que son voisin soit par la suite lui aussi exécuté d'une manière apparemment rituelle, le fait aussi que Molin ait sciemment cherché à effacer les traces de son passé, contribuent grandement à épaissir le mystère qui l'entoure. Notre policier patine encore davantage quand, dans sa quête, il rencontre un vieux portraitiste admirateur d'Hitler, une femme, voisine de Molin, qui partage ses convictions politiques et s'accuse d'un meurtre qu'elle n'a apparemment pas pu commettre, peut-être pour protéger quelqu'un, la disparition énigmatique d’un chien qui pourrait bien avoir une signification précise dans son enquête, la rencontre avec la fille de Molin qui elle aussi semble vouloir cacher bien des choses la concernant, des ombres qui rôdent autour de lui, un vieil avocat qui se veut amnésique, des suspects de plus en plus nombreux et insaisissables et une révélation inattendue sur son propre père à l'occasion d'une incursion dans un appartement qui fait de lui un véritable cambrioleur... Cela fait beaucoup pour quelqu'un qui venait simplement dans ce coin reculé du pays pour assister aux obsèques d'un ancien collègue !

    Parallèlement, le lecteur fait connaissance d'Aaron Silberstein qui lui aussi a changé de nom pour adopter le mode de vie argentin et dont l'ombre mystérieuse plane sur tout ce récit. Il porte en lui la vengeance et l'accomplira quoi qu'ils arrive.

    Ce roman palpitant du début à la fin, avec en toile de fond un pan d'histoire controversé de la Suède et la survivance éventuelle de l’idéologie nationale- socialiste, des personnages qui changent d'identité, une enquête qui se complique de chapitre en chapitre par des rebondissements inattendus et des pistes en forme d'impasses, ne met pas, pour une fois en scène le commissaire Kurt Wallander. Cela n'en a pas moins été pour moi un bon moment de lecture.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • LA LIONNE BLANCHE – Henning MANKELL

    N°653– Juin 2013.

    LA LIONNE BLANCHE – Henning MANKELL – SEUIL Policiers.

    Traduit du suédois par Anna Gibson.

    Nous sommes en avril 1992 et une jeune mère de famille, agent immobilier, Louise Åkerblom a disparu. C'est son mari qui vient en faire la déclaration au commissaire Wallander. D'emblée, celui-ci subodore une disparition peu commune qui n'a rien à voir avec une passade amoureuse. C'est là une de ses intuitions coutumières. Le couple était heureux, méthodiste de confession, très croyant et pratiquant au sein d'une petite communauté religieuse. Les recherches aussitôt entreprises orientent les policiers vers l'explosion d'une maison inhabitée et isolée. Dans les décombres, on retrouve les débris d'un poste émetteur, des restes épars d'un revolver uniquement fabriqué en Afrique du Sud et un doigt humain... noir ! A priori rien à voir avec la disparition de Louise qui est cependant retrouvée assassinée au fond d'un puits d'une ferme abandonnée. C'est évidemment Kurt Wallander qui est chargé de cette affaire au demeurant assez obscure.

    La chute du mur de Berlin et la disparition de l'ex-URSS ont éparpillé dans le monde entier des agents du KGB qui, contre la promesse d'une nouvelle vie et d'un passeport, sont prêts à tout. Le meurtre est une de leurs spécialités et Konovalenko en fait partie. La démocratie suédoise reste pour eux un refuge. A peu près à cette époque, en Afrique du Sud, une organisation criminelle favorable au maintien de l'apartheid projette d'assassiner une personnalité politique de premier plan. Konovalenko qui souhaite se réfugier en Afrique du Sud pour y changer de vie, lui offre de familiariser un tueur professionnel sud-africain noir, Victor Mabasha, avec de nouvelles armes mises au point en Union soviétique et pour cela le fait venir en Suède. L'affaire tourne mal cependant, une femme est assassinée par hasard et Mabasha s'évanouit dans la nature, après avoir perdu un doigt.

    Sur place, en Afrique du Sud, l'insécurité grandit, la tension monte, et , au sommet de l’État, on sent que quelque chose va se passer qui ressemble à un attentat. Frédéric de Klerk, alors président de la République et désireux de mettre fin à l'apartheid fait figure de victime potentielle mais Nelson Mandela, enfin sorti de prison, porte les espoirs du peuple noir. L'Afrique du Sud est encore gouvernée par une minorité blanche et la perspective d'un changement politique en faveur des Noirs fait craindre une guerre civile, une vengeance collective et une répression sanglante.

    Ces deux affaires n'ont rien à voir l'une avec l'autre au départ. Wallander est chargé du meurtre de Louise Åkerblom, mais ses investigations l'amènent à Stockholm où un jeune policier vient d'être tué au cours d'une opération. Encore une fois l'intuition de Wallander lui dit qu'il y a sans doute un lien entre ces affaires. C'est donc le début d'une histoire un peu compliquée avec des complications, des débordements, des erreurs qui égarent un peu le lecteur. La toile de fond est constituée par l'Afrique du Sud où notre commissaire n'a jamais mis les pieds, la silhouette de deux personnalités d'exception que sont Nelson Mandela et Frederick de Clerk et la marche inexorable de l'Histoire dans ce pays.

    Au cours de ce roman, le lecteur n'est pas à l'abri de ses surprises et les rebondissements du scénario vont l'étonner autant sur le plan du dépaysement géographique que sur l'attitude de Wallander. Il perdra un temps tout sens de la raison et même des réalités en n'écoutant que son devoir de policier pour mener à bien une mission qui, petit à petit le dépasse. Malgré lui sa fille Linda sera impliquée dans cette enquête et lui sera un peu malgré lui l'acteur médiatique de cette affaire qui se déroule dans la petite ville d'Ystad, d'ordinaire tranquille. Il devient le meurtrier d'un homme et ce geste, même accompli en état de légitime défense, le transforme complètement au point qu'il est lui-même recherché comme un authentique criminel. L'auteur nous montre ici un Wallander vieillissant qui doute à la fois de lui-même et de sa mission de policier, qui culpabilise à cause de la mort d'un homme dont il s'estime responsable. Cela provoque chez lui une grave dépression dont il aura sans doute du mal à se remettre d'autant qu'il est seul après un divorce difficile et qu'il a du mal à renouer avec une femme.

    J'ai rencontré cet auteur par hasard et je dois dire que l'écriture de ce roman, et probablement sa traduction (je ne lis pas le suédois dans le texte) distillent le suspense jusqu'à la fin pour le plus grand plaisir du lecteur attentif et passionné.

    © Hervé GAUTIER - Juin 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • LA FAILLE SOUTERRAINE – Henning Mankell

    N°652– Juin 2013.

    LA FAILLE SOUTERRAINE – Henning Mankell – Policiers SEUIL

    Traduit du suédois par Anna Gibson.

    Je ne sais pas trop pourquoi, mais j'ai eu très tôt une passion pour les romans policiers. Bizarrement, j'ai toujours été moins attiré par l'histoire, l'énigme policière, que par le roman lui-même et surtout les personnages. Ces derniers m'ont toujours paru beaucoup intéressants par leur personnalité, leur psychologie, leur façon d'agir, la qualité de leur raisonnement, leur histoire personnelle même.

    Dans ce volume qui est en fait un recueil de cinq nouvelles plus ou moins longues, dont l'action se situe avant les titres déjà parus, l'auteur nous présente les débuts dans la police de Kurt Wallander, déjà héro d'une série que la télévision a popularisé et que le succès littéraire a consacré. Dans « Le coup de couteau », nous sommes en 1969, il est encore jeune gardien en uniforme de 22 ans qui va intégrer la criminelle à Malmö, autant dire qu'il apprend son nouveau métier. Il rencontre Mona qu'il épousera et avec qui il aura une fille, Linda, a déjà des relations houleuses avec son père qui n'a jamais admis son engagement dans la police. Son côté un peu perdu me plaît bien, il n'est guère un amoureux flamboyant, est plutôt en retard à ses rendez-vous, n'est pas vraiment le Don Juan irrésistible que nombre de films du même genre nous ont donné à voir... Le personnage se révèle éminemment humain et réfléchit avant d'agir mais fait des erreurs, écoute son intuition, son entêtement et son désir de s'abstraire des procédures réglementaires, de privilégier les enquêtes parallèles, marquent déjà le futur inspecteur. Je n'ai jamais goûté les feuilletons américains du même tonneau où l'hémoglobine coule à chaque scène parce qu'un américain est avant tout un cow-boy qui sait faire honneur à la tradition et l'usage systématique de son arme.

    Avec le déroulement des récits, nous le voyons vieillir, il monte en grade, devient commissaire et est affecté en Ystad, se montre de plus en plus dépressif, à cause des meurtres sanglants dont il a à connaître dans le cadre de ses enquêtes mais aussi sans doute de sa vie affective qui part à la dérive. Il combat cela par l'alcool et ce n'est sans doute pas ce qu'il fait de mieux. Dans « La mort d'un photographe », sa femme a obtenu une séparation amiable, ne vit plus avec lui et supportait sans doute mal son travail de policier comme c'est le cas de la plupart des épouses de flics. Seule Linda, leur fille, maintient encore un semblant de lien dans leur couple. Kurt se sent seul parce qu'elle lui manque, lui échappe aussi et il mesure sur lui-même le temps qui passe, la vieillesse qui arrive. Dans « La pyramide », il est définitivement divorcé et un peu paumé, Linda, alors âgée de 19 ans, cherche sa voie et lui tente sans grande conviction une liaison avec une autre femme mais sent bien que cela ne marchera pas. Il a de la vie une autre vision mais a, lui aussi, été rattrapé par elle, a subi ses leçons. La mélancolie qui en résulte lui donne un côté humain qui le fait ressembler au commun des mortels, une sorte d'anti-héros en quelque sorte, un policier qui fait passer son métier avant tout, un homme de bonne volonté.

    Même s'il y a autour de lui une équipe de policiers chevronnés, il reste un homme seul d'où émane une certaine mélancolie et qui est aussi doué pour passer à côté de son propre bonheur. Il incarne à lui seul ce qu'il est convenu d'appeler « l'inquiétude suédoise » et enquête bien souvent sur des solitaires comme lui, victimes ou auteurs.

    Cela dit, le suspense est savamment distillé au cours des récits et jusqu'à la fin, le style est agréable à lire. C'est à chaque fois un bon moment de lecture.

    © Hervé GAUTIER - Juin 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com