la feuille volante

Luis Sepulveda

  • Les roses d'Atacama

    N°836 – Novembre 2014.

    Les roses d'AtacamaLuis Sépulveda- Métailié

    C'est une sorte de carnet de voyage que nous offre l'auteur, le compte rendu de belles rencontres avec des gens dont il nous raconte l'histoire. Ce sont de gens ordinaires dont personne ne parle, 34 portraits, 34 esquisses inspirée par la sensibilité humaine. Dans ces nouvelles, il met en scène des hommes, des marginaux, qui ont choisi de se battre avec des armes dérisoires contre un pouvoir violent et barbare tel que les dictatures savent en enfanter, des petites gens qui font chaque jour leur métier avec passion, même si celui-ci leur apportera la mort. C'est aussi pour l'auteur l'occasion de se révolter contre l'exploitation meurtrière de la forêt en Amérique du sud ou la disparition programmée des baleines en Méditerranée. Sepulveda sait que ces combats sont perdus d'avance mais son action de témoin est une sorte de devoir moral pour que ces instants passés avec eux, que ces luttes, même vouées à l’échec, soient gravés dans nos mémoires, pour que ces injustices soient dénoncées comme une aberration dans l'histoire du monde, que l'oppression sous toutes ses formes soit ainsi révélée, pour que l'hypocrisie et le mensonge qui sont l'apanage des sociétés humaines bien pensantes soient dévoilés. C'est qu'il n'est pas autre chose qu'un témoin qui, à travers ses mots rend la parole à tous ces laissés pour compte que l'histoire officielle a oubliés, pour que tous ceux qui se sont un jour levés contre la barbarie ou qui ont simplement fait ce qu'ils estimaient être leur devoir, ne soient plus des fantômes. Il leur redonne leur nom, remet des mots sur leur action et c'est ainsi un peu de leur dignité qu'il leur rend. Il le fait simplement, sans faire dans le pathos, sans noircir le tableau, comme le scribe attentif et scrupuleux qu'il est.

    Il évoque sa démarche en décrivant ce militant politique qui se penche sur les éphémères roses qui poussent dans le désert salé d'Atacama au nord du Chili. Elles sont toujours là, redonnent vie et couleurs à cette terre ingrate, ne fleurissent qu'une fois l'an, ponctuellement, sont aussi vieilles que le monde et des générations d'hommes qui sont passés par ici les ont vues. Elles sont le symbole de la permanence dans ce milieu hostile, de la vie qui disparaît mais toujours renaît tel un phénix, une sorte de miracle comme seule la nature sait en faire pour attester sans doute que rien n’est perdu, que l’humanité est capable de résister, comme les hommes dont il témoigne de l'humanisme, de l'altruisme, de la solidarité...

    Le style est agréable, émouvant, une évocation simple mais pleine d'humanité, sans fioriture mais aussi sans concession. L'écrivain révolté voyageur et militant qu'il est trouve ici un thème particulièrement bien choisi pour que ses lecteurs prennent conscience des réalités et n'oublient rien de ce qui fait notre commune histoire et défendent ce patrimoine dont nous ne sommes que les usufruitiers.

    Il réussit, selon le mot de l'éditeur « à transformer la tendresse des hommes en littérature »

    ©Hervé GAUTIER – Novembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • INITIALES

     

    N°567 – Avril 2012

    INITIALES (Association des libraires) – Dossier n°26.

    Fiction et mémoire, la guerre civile espagnole.

    Pour aborder un thème historique il est deux manières. L'une tient à la fiction et l'autre à l’étude classique. Pourtant, certains faits, surtout s'ils sont baignés par la violence, résistent à l'écriture, quelle que forme qu'elle prenne. Soit cela résulte d'un parti-pris de l'auteur (on songe aux rescapés des camps de concentration qui ont choisi de se taire volontairement, faisant prévaloir la vie sur la mort), soit les événements interdisent qu'on en parle. La Guerre civile espagnole (guerre incivile disent certains) est de ceux-là. Pendant son déroulement, elle inspira pourtant de grands écrivains, Hemingway ou Malraux, mais sans vouloir minimiser leurs témoignages, ils en ont surtout donné une version lyrique, nourrissant l'imagination des étrangers au conflit, donnant une vision romantique de la guerre, côté républicain. Puis ensuite plus rien à cause de la censure franquiste qui imposa près de quarante années de silence, de répression, d'exil et de mort pour les vaincus.

    A partir de 1975, des écrivains espagnols, qui bien souvent n'ont pas connu le conflit ont décidé de s'emparer de cette mémoire, d'en faire l'axe de leur œuvre mais aussi de ranimer la culture historique collective que le franquisme avait efficacement confisquée aux Espagnols. Alfons Cervera (né en 1947) s'est approprié cette période d'après-guerre . L'oubli, si savamment orchestré est tellement grand dans l’inconscient collectif qu'il se produit parfois, par le miracle de l'écriture, une sorte de réminiscence, en ce qui le concerne puisée dans son histoire familiale. On ne dira jamais assez combien la création artistique est une alchimie et combien l'auteur peut, au premier chef, être surpris par le résultat. Comme tout écrivain, il a d'abord cherché à raconter des histoires mais s'est très vite aperçu qu'il existait « des territoires de la mémoire à explorer » et a donc fait sien ce vaste et complexe espace historique qui va de la seconde république à la démocratie retrouvée en passant par la dictature, la transition... Ainsi cette période, « pleine de lumières et d'ombres » s'est-elle imposée à lui comme un thème de réflexion et de création. Ainsi l'écrivain, à travers son histoire familiale faite de soumission, de silence, prend-il en charge la mémoire collective qui avait longtemps été dédiée à l'oubli, dénonçant par l'écriture ce que fut le régime franquiste, se faisant ainsi le porte-parole des vaincus et leur rendant leur dignité. Pourtant, ce besoin de ne pas oublier et de témoigner avait existé malgré la dictature et même pendant la période de transition pendant laquelle on prônait le principe officiel de « ni vainqueurs ni vaincus ». On n'avait pourtant pas ouvert toutes les fosses communes et les condamnations prononcées par les tribunaux franquistes n'étaient pas toutes effacées. Restait aussi la mémoire familiale, nécessairement pudique et silencieuse de ces ouvriers et de ces paysans pauvres qui s'étaient dressés contre l’invasion fasciste. Nombreux furent les témoins qui se manifestèrent par l'écrit, se faisant l'écho de ce conflit à la fois absurde et sanglant qui mit en perspective la délation, le déchirement familial, donna à cette guerre son visage horrible, montra la folie des hommes et révéla, une nouvelle fois, la véritable nature humaine.

    Puis vinrent les auteurs contemporains qui, en quelque sorte, prirent ce relais malgré le risque du « radotage », de la redite devenue peut-être inutile. C'est que, une guerre civile ne ressemble pas à un conflit armé traditionnel et porte en elle une dimension manichéenne. De plus, on a eu tendance à oublier que la république avait été démocratiquement élue alors que Franco était le rebelle putschiste. Puis il y eut le reste, les faits d'armes de chaque camps, les atrocités des deux côtés, mais bénis par l’Église catholique quand ils étaient franquistes, le combat inégal, les républicains soutenus par les communistes et surtout par les Brigades internationales, les nationalistes trouvant leur soutien parmi les puissances fascistes, le déchirement interne des républicains, les défections anglaise et française, les camps de concentration français pour les vaincus... Comme le dit Tony Cartano, l'Espagne reste, aujourd'hui encore divisée « entre ceux qui prêchent l'oubli et ceux qui réclament justice contre les crimes franquistes ». L'expérience du juge Garzon est sans doute là pour le prouver. Pourtant, la libération de l'Espagne passe à n'en pas douter par la parole ! Elle porte la mémoire individuelle d'un parent qui devient collective, a travers la honte de la retirada , l'exil en France, la résistance au maquis contre le nazisme, le rêve avorté de reconquête de l'Espagne, l'exil durable pour les combattants et leurs familles.

    Ce numéro rend également hommage aux femmes, romancières contemporaines qui font elles aussi entendre leur voix mais surtout ces combattantes, soit figure emblématiques de la république, comme Dolorès Ibarruri, soit ministre de la santé comme Federica Montseny ou photographe comme Gerda Taro, la compagne de Robert Capa, tuée en 1937 à la bataille de Brunete.

    Ce conflit qui pourtant ne déborda pas l'Espagne eut un retentissement mondial non seulement à cause de Guernica que Picasso immortalisa, mais aussi parce que des intellectuels, et pas seulement eux, s'engagèrent dans les Brigades internationales pour défendre la liberté ainsi attaquée, parce que des écrivains étrangers de toutes les nationalités prirent parti pour un camp ou pour un autre, médiatisant ce conflit à en faire une légende, faisant qu'à l'extérieur au moins il ne tombe pas dans l'oubli.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2012.

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • UN NOM DE TORERO - Luis SEPULVEDA

     

    N°338– Mai 2009

    UN NOM DE TORERO – Luis SEPULVEDA– Éditions MėtaIlliė. - Traduit de l'espagnol par François Maspero.

     

     

    Nous le savons, le domaine du romancier c'est la fiction. Drôle de nom pour caractériser un récit, une histoire qui est racontée au lecteur, avec un début, un développement et une fin où s'entremêle réalité et imaginaire , où les personnages existent et croisent dans un décor dû au seul pouvoir de l'auteur, mais qui, parfois, se laisse déborder par la vie qu'il leur insuffle. Le milieu de prédilection de Sepulveda, c'est le voyage et le monde qui lui offre sa vaste étendue, mais c'est aussi l'histoire immédiate de l'humanité qui se confond avec sa propre expérience, ses propres pérégrinations, ses désillusions aussi...

     

    L'histoire donc. Elle met en scène deux hommes, Juan Belmonte, ancien guérillero de toutes les guerres perdues d'Amérique Latine et Frank Galinsky, ex membre de la Stasi qui sont engagés par des parties adverses pour retrouver un mystérieux trésor composé de 63 pièces d'or appartenant à la collection du « Croissant de Lune Errant » originellement dérobé par les SS. L'histoire a pesé sur ces deux hommes qui ont dû revenir sur leur idéaux politiques et qui, pour mener à bien leur mission doivent se livrer à un duel sanglant en Patagonie. Belmonte, qui porte un nom de torero, le même que celui d'Hemingway, est mandaté par « la Lloyde Hanséatique » qui a sur lui un moyen de pression idéal : soit il mène à bien sa mission, soit il perd Véronica, sa seule raison de vivre, brisée par la torture.

     

    Comme son titre ne l'indique pas, il s'agit d'un roman noir [le couleur de la couverture le laissait cependant penser], un véritable duel sanglant sur fond de désillusions, mais de désillusion politiques, celle de la démocratie chilienne assassinée par Pinochet, celle des idéaux communistes trahis par Staline, celle aussi des espoirs déçus de la réunification allemande.

     

    Il y a le personnage de Véronica, absent, muet, autiste, mais incroyablement présent, une sorte d'obsession de la mort, de la souffrance, de la nuit dans lequel elle survit, de l'exil, du mal de ce pays envoûtant qu'est la Patagonie, comme il le dit, la Terre de Feu est un pays de légendes, de trésors cachés. Il est fascinant par son climat, ses paysages, sa solitude. Il y a aussi la figure de Belmonte, perdant définitif dans cette société où il ne se reconnaît plus, qui a manifestement évolué sans lui et qui le laisse, lui, au bord du chemin sans possibilité de lui tendre une main secourable. C'est un roman de la réconciliation impossible d'un homme avec son pays qui veut surtout oublier ce qui fut la dictature de Pinochet, le roman d'un éternel exilé, un roman d'amour aussi...

     

     

    Sepulveda fait ici un travail de remise en cause personnel, de confidences faites à son lecteur. Il est un fameux conteur dont cette chronique n'a pas manqué de célébrer le talent. J'y ai dit le plaisir que j'ai éprouvé à la lecture de certains de ses romans. Ici, j'ai retrouvé tout ce qui fait l'intérêt traditionnel que suscite d'ordinaire ses récits. Cependant, et je ne saurais dire pourquoi, j'ai moins accroché à ce roman, et je me suis un peu forcé à lire jusqu'à la fin, parce que c'est lui!

     

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE MONDE DU BOUT DU MONDE - Luis SEPULVEDA

     

    N°336– Avril 2009

    LE MONDE DU BOUT DU MONDE – Luis SEPULVEDA– Métailié.

    (Traduit de l'espagnol par François Maspero)

     

     

    Dans ce récit se mêlent des bribes d'enfance d'un garçon de 16 ans qui vient passer ses vacances d'été à bord d'un baleinier des les eaux désolées des canaux de Patagonie parce qu'il a lu « Moby Dick » mais aussi les romans de Francisco Coloane, et le combat écologique en faveur des baleines de ce même garçon qui, ayant grandi, s'engage au côté de « Greenpeace » contre la pêche industrielle japonaise d'un bateau-usine dont on cherche à cacher l'existence et l'activité, et le soutient de ceux qui ont choisi de mener ce combat..

    C'est donc un roman militant qui veut porter témoignage.

     

    Comme à son habitude, l'auteur se livre à l'évocation de personnages hauts en couleurs comme le capitaine Nielssen, sculpté par l'aventure et la vie en mer, fils d'un marin danois et d'une indienne Ona, qui veut finir sa vie ici, malgré le climat rude, dans ce décor sauvage « parce que ces milliers d'îles, d'îlots et de rochers sont ce qu'il y a de plus proche du moment de la création ». C'est l'occasion pour lui de dénoncer aussi l'extermination par les Chiliens des minorités indiennes qui peuplaient originellement ce pays devenu terre d'émigration.

    Il rappelle le génocide oublié de ces peuples de la mer maintenant disparus, la déforestation de la Cordillère, les ravages des Japonais, la corruption des militaires au pouvoir au Chili qui ont encouragé et fait perdurer cette œuvre de destruction, les trafics en tous genres et l'absence de contrôles et de sanctions qui qui favorisent cette politique... Il rompt le silence sur la surexploitation de la mer dans ces contrées, le massacre aveugle de la faune par les Japonais mais également à l'époque (nous sommes en 1984) par les États-Unis, la Russie et l'Europe.

     

    C'est aussi un texte qui évoque ces vaisseaux-fantômes qui font partie de la mythologie nationale, qui décrit les paysages grandioses du sud du Chili où les récifs écorchent la mer et les tempêtes sèment la mort, ces récits de piraterie où la légende se mêle à l'histoire, cette fable (mais en est-ce une vraiment) ou les baleines et les dauphins se défendent eux-mêmes contre les pêcheurs criminels venus les exterminer.

     

    Je ne sais pas pourquoi mais, malgré les images et les évocations poétiques qui émaillent ce livre, ce qui est aussi un manifeste écologique m'a moins plu que ceux que j'ai déjà lus.

     

     

     

     

    ©

    Hervé GAUTIER – Avril 2009.

    Hervé GAUTIER – Avril 2009.

    http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE NEVEU D'AMERIQUE - Luis SEPULVEDA- Métailié.

     

    N°335– Avril 2009

    LE NEVEU D'AMERIQUE – Luis SEPULVEDA– Métailié.

    (Traduit de l'espagnol par François Gaudry)

     

     

    Cela commence par un geste iconoclaste, où l'anticléricalisme le dispute à l'anarchisme, d'un petit garçon qui, à l'invite de son grand-père, va pisser sur la porte d'une église de Santiago, tout aussitôt suivi, à propos d'un livre à lire, par une promesse de voyage, à un grand voyage, celui d'aller dans un village d'Andalousie d'où est originaire sa famille et peut-être aussi d'en faire un qui ne mènera nulle part! Nulle part, oui, peut-être mais avec pas mal d'étapes dont le point de départ obligé se situe dans un pays, le Chili, qui a accueilli jadis sa parentèle comme des émigrants, mais qui maintenant le rejette à cause de Pinochet , de ses exactions, de ses exécutions...

     

    Dans ce récit autobiographique, l'auteur entraine son lecteur dans un périple picaresque qui le conduira des geôles chiliennes à la Terre de Feu, à travers toute l'Amérique Latine, dans un itinéraire compliqué, hésitant et en pointillés qui ressemble à une fuite, un exil, une quête de quelque chose d'indistinct. Son but initial, c'est la liberté, mais pour lui, les détours se multiplient, l'entrainent toujours plus loin, mais c'est pour revenir sur cette terre sud américaine qui est la sienne. C'est aussi un parcours initiatique de l'aventure d'un infatigable voyageur à qui il arrive les choses les plus incroyables depuis l'atmosphère fétide des prisons jusqu'aux paysages grandioses de la Patagonie en passant par des projets avortés où la bonne fortune n'a d'égal que le refus de se fixer définitivement, où la volonté de bouger s'apparente vraiment à la conjugaison du verbe « partir. ».. à tous les temps!

    C'est pour lui l'occasion de rencontres d'exception d'hommes et de femmes que seul le voyage permet de croiser, des gens qui vivent leur vie sans entraves, des gens au grand cœur, insoumis, anarchistes qui ont en commun ce goût de la liberté et le refus d'obéir à l'ordre établi, une certaine attirance pour le bonheur, quel que soit le prix qu'il faut payer pour cela «  Sur cette terre nous mentons pour être heureux. Mais personne ici ne confond mensonge et duperie »; C'est toute une galerie de portraits qui défile devant nous.

    Et l'écrivain n'est jamais très loin qui, mêlant légende et réalité, fait la chronique de tout cela, autant pour en conserver la mémoire intime que pour, grâce à son imagination autant qu'à son souvenir, enthousiasmer son lecteur ainsi transformé en passager clandestin, caché entre les pages du livre, témoin silencieux de ce parcours .

     

    Il n'oublie pas de nous faire partager la beauté de ces paysages grandioses des terres australes auxquels répond ce village andalous écrasé de soleil où il a ses racines lointaines et qui est le terme de cette pérégrination, le respect de cette promesse qui, en quelque sorte, le fait revenir « au point de départ du long voyage entrepris par (son) grand-père », lui, « le neveu d'Amérique » qui ainsi est revenu.

     

    Le style est humoristique et alerte, captivant, comme bien souvent celui des écrivains sud-américains, et Sepulveda, en merveilleux conteur, entraine son lecteur presque malgré lui dans le sillage dépaysant de ces contrées autant que dans les méandres de ses aventures d'éternel nomade.

     

     

     

    ©

     

    Hervé GAUTIER – Avril 2009.http://hervegautier.e-monsite.com 

  • RENDEZ-VOUS D'AMOUR DANS UN PAYS EN GUERRE - Luis SEPULVEDA

     

    N°334– Avril 2009

    RENDEZ-VOUS D'AMOUR DANS UN PAYS EN GUERRE – Luis SEPULVEDA– Métailié.

    (Traduit de l'espagnol par François Gaudry)

     

    Je ne dirai jamais assez l'attachement que j'ai pour les écrivains sud-américains, d'expression espagnole en particulier, et, en général, pour l'atmosphère d'exception que tissent les nouvelles.

     

    J'ai aussi plaisir à célébrer le 29° anniversaire de cette revue en compagnie d' un écrivain d'exception.

     

    Ici, Luis Sepulveda, dont cette chronique a déjà mentionné l'œuvre, revient avec un recueil de 27 nouvelles où le style est fluide, précis, simple, poétique, érotique aussi parfois et où l'auteur s'attache son lecteur jusqu'à la fin.

     

    Il y est question de ces rendez-vous manqués qu'on a, au cours de sa propre vie, avec soi-même, avec les autres, avec l'amour, l'amitié, avec le temps... Ce sont autant d'actes manqués, de situations qu'on regrette amèrement plus tard mais pour lesquelles on n'est pas forcément pour quelque chose, des moments où la malchance nous accable ou nous paralyse, bloque en nous des mots qu'on n'ose pas dire, de gestes pourtant simples que la timidité nous interdit de faire, qui compromettent à jamais notre vie, la recouvrent de ces remords dont on ne peut se débarrasser et qu'on traine toute son existence.

     

    Que ce soit ces femmes qu'on n'a pas pu aimer, qui nous ont échappé, ces paysages de bout du monde comme seule la Terre de feu en offre, ces fantasmes d'une enfance qui s'en va sans retour, ces peines jamais éteintes, ces envies jamais vraiment assouvies, le mystères des autres, celui qu'ils ont ou celui qu'on leur prête, leur charme, leur charisme, tout cela laisse des traces indélébiles dans notre âme, avec, en plus une cicatrice invisible, intime mais bien réelle, que nous sommes seuls à connaître et qui nous torturent. Il y a aussi ces moments anodins d'une vie, sublimés par l'écriture, ces petites parcelles d'existence qui, sans elle, s'évanouiraient dans l'oubli, des instants d'une conscience ou d'une absence que le quotidien, la routine et l'usure des jours rendraient transparentes, ces souvenirs qui vous reviennent en pleine figure à propos de rien et qui soulignent nos renoncements, nos compromissions parfois, ce hasard néfaste qui s'attache à nos pas et qui fait de nous, sans que nous y puissions rien, une victime expiatoire de quelque chose que nous ne maitrisons pas, parce que d'autres êtres se sont insinués dans notre vie, s'y sont installés et pèsent de tout leur poids sur notre destin, cette envie légitime que tout cela change dans un autre sens, que cesse cette chape d'incompréhension, de mystères qui nous étreignent et qui finissent par faire de notre vie quelque chose d'insupportable au point que nous ne pouvons plus nous débarrasser de nos obsessions, de nos phobies, de nos paris fous sur l'avenir immédiat. Ce sont bien ces mots dérisoires qui résument notre histoire, notre cheminement sur cette terre, nos souvenirs, nos repentirs impossibles, tous ces non-dits, ces qui pro quo, des possibles devenus maintenant impossibles... Notre histoire personnelle, que l'Histoire ignore parce que nous ne sommes pour elle que des numéros et des êtres sans importance, fait foi de ce parcours qui n'est bien souvent pas sans faute, nous, nous le savons! C'est aussi ces amours chimériques ou usés durablement par le quotidien et qui n'auront jamais plus le lustre d'antan, à jamais enfouis, détruits, parce qu'il n'y a plus rien à dire, plus rien à faire, bref qu'on n'est plus rien et qu'on n'est plus bons qu'à attendre la mort, parce qu'elle, au moins, elle voudra bien de nous, ces amours si improbables que seul la fuite est la solution et avec elle l'oubli, la quête des ombres qui envahissent notre inconscient, ces amours qui nous font croire à nous-mêmes que nous sommes uniques et exceptionnels, ces amours qui nous tombent dessus sans crier gare à cause d'un simple regard, ces amours qui se font urgentes quand la mort rode, que la vie se fait avare de son temps ou fréquente un peu trop le danger, l'indifférence, le dégoût de soi-même, et que l'ennui de l'autre devient soudain insoutenable et qu'on a envie d'autre chose.

     

    Les choses changent pour chacun, d'entre nous, génèrent l'exil, le bonheur ou quelque chose d'indicible que parfois nous ne voulons ni voir ni exprimer parce que ainsi cela perdrait de sa substance et peut-être nous détruirait, ferait renaître en nous le désespoir et nous obligerait à vivre avec l'absence de quelqu'un ou de quelque chose.

     

    Parfois pourtant, on entraperçoit, l'espace d'une fraction de seconde, le bien fondé de cette existence qui est autre chose que la somme des jours sans joie qui constituent notre quotidien, et on admet que tout cela justifie cette attente parfois angoissée et paie largement nos désespérances.

     

     

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER

    http://hervegautier.e-monsite.com 

  • LE VIEUX QUI LISAIT DES ROMANS D’AMOUR - Luis SEPULVEDA - Editions Métaillé.

     

    N° 166 - Septembre 1993.

     

    LE VIEUX QUI LISAIT DES ROMANS D’AMOUR - Luis SEPULVEDA - Editions Métaillé.

     

    Je dois avoir un faible pour les écrivains sud-américains mais ce roman de Sepulveda parvenu entre mes mains par hasard m’a, comme à chaque fois, procuré ce dépaysement un peu surréaliste d’une contrée perdue au bord d’un fleuve, unique voie de communication qui la relie à la civilisation. Il apporte à ce village nouvelles et vivres, et, bien entendu il émerge de ce petit peuple de « peones » et de « jivaros » des personnalités fortes qui s’imposent par leur seule présence.

    El Idilio, petit village de l’Equateur est situé dans la forêt au bord du fleuve. Antonio José Bolivar Proano y vit ou plutôt y survit dans une solitude tout juste égayée par la lecture laborieuse de romans qui parle de l’amour, le vrai, celui qui fait souffrir... C’est sa manière à lui d’oublier qu’il vieillit. Il a tout abandonné, sauf peut-être la chasse qu’il va reprendre une ultime fois contre un ocelot qui menace le village. Il n’aura pas trop de toute la science que lui ont enseigné jadis les indiens Shuars pour déjouer ses pièges et en venir à bout. Mais le combat qu’il livre contre la bête est sans haine, un peu comme le dernier avant de basculer dans la mort. Il tue le fauve pour réparer les erreurs et la barbarie des hommes qu’il hait définitivement mais surtout pour protéger ce petit coin de terre où il a choisi de mourir.

     

     

    © Hervé GAUTIER