la feuille volante

Philippe Labro

  • Le petit garçon

     

    N°669– Août 2013.

    LE PETIT GARCON – Philippe Labro - Gallimard.

     

    Quelque part dans le sud-ouest de la France, quatre garçons et trois filles habitent avec leurs parents dans une maison, « La Villa » à l'écart de la ville sur une colline boisée, une sorte de microcosme paradisiaque où rien de mal ne peut arriver à cette famille unie et heureuse. Le père avait choisi cette région après avoir longtemps exercé à Paris comme conseiller juridique et fiscal et fait fortune. Pour le narrateur, il y avait les jeux insouciants, la vie au quotidien, l'école, les maladies infantiles et même un voisin, le docteur Sucre, psychiatre de son état et original comme il se doit. L'énigmatique « Homme sombre » venait parfois pour une visite épisodique et mystérieuse mais rien de plus ! Enfin pas tout à fait parce qu'il y avait aussi Mme Blèze, une belle femme élégante, vivant seule en ville, modiste et ancienne parisienne qui nourrissait ses fantasmes et sûrement pas que les siens !

    Tout cela aurait pu durer aussi longtemps que l'enfance mais la voix chevrotante du vieux maréchal faisant « à la France le don de sa personne » allait tout changer: la France était vaincue, son armée écrasée par l'Allemagne, nous étions en 1940, ce monde n'allait pas tarder à s'écrouler, les vélos-taxis à apparaître dans le paysage urbain …et les uniformes couleur vert-de-gris ! Cela c'était pour les adultes, mais lui, le narrateur, poursuivait sa vie frivole et ses amours d'enfant.

    La ville étant en zone libre et voisine de la frontière espagnole, des « visiteurs » énigmatiques se succédaient à la « Villa ». Ainsi le père initia-t-il ses enfants au secret qui entourait ces réfugiés temporaires et des mots nouveaux, lourds de sens, entrèrent-ils dans leur vocabulaire : antisémite, intolérance mais aussi discrétion, loyauté, prudence. L'enfance et son insouciance s'en allait déjà au rythme des changements du monde extérieur ! Ainsi affranchis, les enfants allaient apprendre à jouer la comédie, à faire semblant pour se protéger et protéger ceux qui avaient choisi de résister. Dès lors, le narrateur, encore enfant, allait-t-il apprendre à connaître les hommes, la vie en société un peu avant l'heure et prenait-t-il très au sérieux le rôle de « messager » que lui confiait son père. C’était presque pour lui un jeu où la volonté d'agir le disputait à l'inconscience de la jeunesse et il s'identifiait sans peine aux héros de roman qui peuplaient la bibliothèque paternelle. Plus le temps passait, plus la guerre jusque là lointaine se précisait : réquisition de la « Villa » par l'armée allemande, rafles, disparition de personnes ou départs pour le maquis, engagement dans la police allemande de Français connus dans la ville. Pourtant leur chance vint de l'installation chez eux d'un général SS ce qui constitua pour eux une protection involontaire et leur permit de mieux cacher les juifs en transit. Puis ce furent les messages personnels de la radio de Londres, la lente dégradation des armées du III° Reich, le débarquement en Normandie et l’inexorable avance des alliés, la fuite de l'occupant et les représailles, les réjouissances de la Libération. Puis, après toutes cette agitation et sur les conseils éclairés de Sam, le précepteur bénévole un peu excentrique mais pour une fois réaliste, ce fut, avec toute la famille réunie, le saut dans l'inconnu pour les enfants, la montée vers la Capitale où ils pourront s'épanouir, l'abandon de cette « Villa », autant dire une page qui se tournait définitivement pour ce « petite garçon » qui ne l'était déjà plus. Paris est un autre monde, une autre planète où il finit par perdre son accent du sud-ouest et aussi pas mal de ses illusions sur les gens, la société, ces idées reçues et ses convenances.

     

    Dans ce texte, le narrateur idéalise son père, un notable érudit de province, dans les circonstances exceptionnelles de la guerre, mais apprend à connaître son histoire personnelle d'avant son mariage, voit venir le mystérieux Diego. Je retiens également le personnage de Sam, aussi déjanté que le père est sérieux et dont l'enseignement est aussi moderne qu'est classique celui du géniteur, image inversée de celle du père mais tout aussi enrichissante pour l'enfant.

     

    Beaucoup d'écrivains ont évoqué leur enfance comme une période merveilleuse dont ils aimaient se souvenir, ont rendu hommage à leurs parents qui en ont été les artisans. Personnellement, j'ai avec elle un problème récurrent voire obsédant et je souscris plutôt à la citation de Malraux « Tous les écrivains que je connais aiment leur enfance, je déteste la mienne ». J'ai donc un intérêt tout particulier à lire ceux qui en parlent avec des mots choisis. Le narrateur fait fort bien cela et, à travers ce texte un peu nostalgique on sent qu'il en garde un souvenir ému et indélébile, excellent assurément. C'est vrai que l'enfance détermine la vie future. Il est essentiel qu'elle soit réussie, heureuse, qu'elle soit porteuse à la fois d'insouciance, d'attachement aux gens qui la font, de préparation aux années à venir qui sans doute n'y ressembleront pas. Je m'interroge cependant sur la dernière phrase de ce roman autobiographique [« l'enfant que je n'ai jamais cessé d'être »]. Je ne connais pas Philippe Labro, je crains cependant que cette sentence ne soit de l'ordre de l'apophtegme convenu. Mais peut-être me trompais-je ?

     

    En tout cas j'ai passé avec ce roman bien écrit un bon moment de lecture.

     

     

    © Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     


     

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     


     

     

     

     


     


     

     

     

  • LE FLUTISTE INVISIBLE - Philippe LABRO

    N°673– Août 2013.

    LE FLUTISTE INVISIBLE - Philippe LABRO – Gallimard.

    Philippe Labro est un romancier remarquable, nous le savons tous, mais là , contrairement à ce qui est écrit sur la couverture, il ne s'agit pas d'un roman mais d'un recueil de trois nouvelles. En effet, si l'auteur se révèle être un conteur passionnant, un bon serviteur de notre si belle langue française, ces trois histoires n'ont pas de lien entre elles, elles sont indépendantes les unes des autres, à tout le moins sur le plan de la narration. Ce sont des situations romanesques puisées dans son expérience personnelle, dans l'imaginaire ou dans le simple témoignage. Le texte est bien écrit, littéraire par conséquent mais ce sont des nouvelles, ce qui n'enlève rien à ses qualités, bien au contraire.

    L'auteur nous livre son vécu dans « La ligne de mire ». Appelé en Algérie durant la guerre, il travaille comme journaliste et figure sur une liste de condamnés à mort par l'OAS. Celui qui est chargé de l'exécuter, et alors qu'il n'avait aucune chance de le manquer, hésite, ne presse pas la détente et lui laisse la vie sauve et ce sans aucune raison. Plus tard il le rencontre alors qu'il est devenu une personnalité connue et lui révèle cet épisode de son existence passée, dans le secret espoir que cela figurera dans un de ses livres. Dans « Bye Bye Blackbird », il raconte l'expérience sexuelle d'un jeune étudiant pauvre avec jeune fille riche sur un transatlantique qui les amène à New-York. Cet épisode est relaté à l'occasion de la rencontre fortuite avec un homme qui siffle un vieil air oublié. Avec « Le regard de Toma » c'est l’histoire d'un jeune juif qui, parqué avec sa famille dans un entrepôt, se plaint du froid. Sa mère finit par se laisser convaincre de chercher un endroit moins inconfortable. Le lendemain, leurs compagnons d'infortune restés à leur place sont tous transférés à Auschwitz où il sont exécutés, mais eux sont protégés par leur nouvelle « cachette ». Ils finissent par être découverts et entassés dans des wagons plombés, promis à une funeste fin mais, par une sorte de miracle, un besoin soudain de main-d’œuvre ou la décision d'un obscur fonctionnaire nazi, ce train fait machine arrière et les débarque à Vienne, leur sauvant ainsi la vie. Par la suite, dix ans plus tard, c'est lui qui, grâce à un sorte d'instinct de survie, sauve la vie d'un homme avec qui il s'évade d'un camps russe.

    Ce titre assez énigmatique est emprunté à une citation d'Albert Einstein qui est d'ailleurs reproduite en exergue et qui évoque Dieu si on est croyant, le destin, le hasard, la chance si on ne l'est pas. Einstein avait en effet avec Dieu des relations bizarres, soit il en rejetait jusqu'à son existence, soit au contraire il évoquait ce « flûtiste invisible » qui, pour chaque être joue une étrange partition, à la fois mystérieuse et incontournable. L'expression est peut-être poétique mais depuis la nuit des temps les Romains croyaient que les Parques tenaient ainsi dans leurs mains les fils de la vie de chaque mortel. Les Grecs les appelaient les Moires.

    A titre personnel, moi qui ne crois plus en rien et sûrement pas a ce que le catéchisme nous a enseigné, je suis fasciné par le hasard qui gouverne nos vies sans que nous voulions bien souvent l'admettre. Nous l’appelons chance, destin, la fatalité mais il n'a pas manqué de philosophes pour nous rappeler que nous sommes libres de nos décisions, que chaque homme a son « libre arbitre » et qu'il est capable de décider de sa vie. Je ne parle pas de la religion catholique qui nous enseigne que Dieu sait tout, même ce que librement nous allons décider, entretenant en cela une immense ambiguïté. Selon que nous sommes croyants ou pas, nous pouvons admettre « le doigt de Dieu » dans nos vies et il reste que bien des choses qui nous arrivent interviennent malgré nous, sans que nous y puissions rien. Cet élément inconnu, ce cas fortuit et de force majeure, cet événement imprévisible et irrésistible existe malgré nous et nos le subissons.

    C'est donc, par delà la forme, roman ou nouvelles, un sujet passionnant que soulève Philippe Labro à travers ces histoires et qui fait débat. Il se contente de lancer cette réflexion passionnante de nature philosophique mais, bien entendu sans y apporter de réponse autre qu'un texte littéraire agréable à lire.

    A la fin du livre, l’auteur tente une sorte de définition de la sagesse humaine face aux événements de la vie qui, surtout dans le cas du « regard de Tomas » met en évidence la relativité des choses qui gouvernent nos vies. Il y a toujours deux vérités, deux réponses à chaque question comme le rappelle l'écrivain Michael Chrirston.

    Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com