la feuille volante

Umberto Eco

  • Comment voyager avec un saumon

    La Feuille Volante n°1021– Mars 2016

    Comment voyager avec un saumon – Umberto Eco – Grasset.

    Traduit de l’italien par Myriam Bouzaher.

     

    C'est un peu un voyage en « absurdie » auquel nous convie l’auteur à travers ces nombreux récits publiés tout au long de sa carrière. Il le fait sur le mode de la parodie dont il dit lui-même « qu’elle ne doit jamais craindre d’exagérer » mais qui doit rester un divertissement. Mais il ne convient pas de s'arrêter là et le lecteur se doit de lire ces textes comme ils ont été écrits, c'est à dire sous le coup de l'indignation surtout quand celle-ci dénonce la bêtise dont Eco nous rappelle « qu'elle est la chose du monde la mieux partagée ». Il pense en effet (et n'a sûrement pas tort) que la bêtise nous submerge jusque dans notre quotidien. Ainsi prend-il un malin plaisir à la décrire pour mieux l'analyser jusqu'à en goûter la subtilité, et de noter « La stupidité des autres nous indigne et le seul moyen de ne pas y réagir stupidement est de la décrire en savourant la subtilité de sa trame » . Tout cela bien sûr passe sous les fourches caudines de la traduction dont nous savons qu'elle est aussi parfois une trahison. Passer d'une langue et d'une culture à l'autre est aussi un divertissement en ce sens qu'il faut parfois réinventer un nouveau texte, faire quasiment une recréation, tout en respectant l'esprit du texte initial, le diable se cachant comme toujours dans le détail.

    C'est donc un regard à la fois aiguisé mais aussi un peu facétieux que l’auteur porte sur le monde contemporain, montrant que son côté irrationnel n'est pas réservé à la fiction où l’imagination de l’auteur s'en donne à cœur-joie. Le quotidien nous réserve aussi pas mal de surprises et pas seulement quand on déjeune dans un avion ou qu'on traîne une valise à roulettes. Il donne libre court à son style jubilatoire où le lecteur verra sans doute un peu de malice voire une once de mauvaise foi, mais peu importe, on lui pardonne volontiers car il nous invite à rire de cela, voire de tout, et qu'en ce bas-monde et surtout dans notre société déboussolée, le rire est plutôt salutaire.

    Il ne peut s'empêcher de collationner en un catalogue un peu surréaliste tout ce que notre sacro-sainte société de consommation nous offre pour un prix dépassant souvent le raisonnable… et qui ne sert à rien. Il n'oublie pas non plus ces inventions qui sont censées nous simplifier la vie mais qui bien souvent nous la compliquent. On en vient à se poser des questions sur leurs concepteurs en s'interrogeant sur le fait qu'ils n'ont pas dû les tester eux-mêmes, où alors c’est grave ! Rassurons-nous, nous avons les mêmes en France, ce n'est pas le privilège de l'Italie. Il passe rapidement sur la lecture des rubriques de « contre-indications » qui accompagnent les médicaments. De quoi vous faire préférer de supporter votre maladie, même si vous devez en mourir.

    En général, j'aime lire Umberto Eco, malheureusement ici, au fil des pages, je me suis lassé et si le début m'a paru intéressant, j'ai continué à lire la suite parce qu'il m'a semblé que refermer le livre serait faire insulte à l'auteur (en règle générale je pratique ce genre de respect). Il m'a en effet paru fort inégal. Quand il choisit de nous livrer des épisodes de sa vie, cela peut être passionnant surtout s'il le fait avec sa verve habituelle, mais quand même ! Je ne parle pas des histoires qu'il invente autour des ordinateurs et de leur supposée parenté avec une religion ou de ses recherches sexuelles vaines sur le web ainsi que toutes les arnaques dont notre belle société à le secret. De même ses ratiocinations sur la transmission des virus et des bactéries ou sa version revisitée du « Petit chaperon rouge ». Quant à pénétrer les arcanes de la « Cacopédie », sauf à être malencontreusement passé à côte d'un chef-d’œuvre, j'avoue que je n'ai pas compris grand-chose.

    Franchement je m'attendais à autre chose et je suis donc un peu déçu.


     


     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • NUMERO ZERO

    N°963– Septembre 2015

     

    NUMERO ZERO Umberto EcoGrasset.

    Traduit de l'italien par Jean-Noël Schifano.

     

    Nous sommes à Milan en 1992 et Simeil décide de créer un journal financé par le commandeur Vimercate avec cinq hommes et une femme. Le plus étonnant est qu'il part du principe que la presse quotidienne ne fait plus le poids devant la télévision et internet et que le lecteur est informé par eux avant d'ouvrir son journal. Autant dire qu'il part battu. Il propose donc de parler dans ce journal de ce qui pourra se passer demain, d'ailleurs il le baptise « Domani ». En réalité, il veut un journal qui se nourrit du scandale avec l'apparence de la respectabilité. Pour cela il faut faire un test et ce sera le « numéro zéro ». Bien sûr il y aura les traditionnelles rubriques nécrologiques, l'horoscope, le sport et les incontournables « mots croisés » mais tout cela autrement. Il faut cependant un scoop et l'un des journalistes, l'inquiétant et mythomane Braggadocio, croit l'avoir trouvé en révélant que Mussolini n'est pas mort en 1945, que c'est un sosie qui a été exécuté à sa place, qu'il a été exfiltré par les Alliés, qu'il a vécu encore pendant vingt cinq années pendant lesquelles il a pesé sur la politique italienne de l'après-guerre, que cela explique les Brigades Rouges, la loge P2, la mort suspecte du pape Jean-Paul 1° et l'attentat contre son successeur, les magouilles bancaires du Vatican… Bref du complot et de l'espionnage à tous les étages ! Après tout, cette histoire d'hommes disparus et pas vraiment morts dont on attend le retour hypothétique ce n'est pas autre chose que la transposition dans le contexte humain de la parousie ! Mais cela n'est pas sans risques même s'il est patent que nombre de nazis ont pu gagner l'Amérique du Sud grâce à l’Église de Rome, que la Mafia existe aussi dans ce pays, tout comme la CIA et qu'elles n'hésiteront pas à faire disparaître un témoin gênant. D'ailleurs l'auteur file ce genre de métaphore jusqu'à la fin... Quant à ce commandeur qui semble tirer les ficelles, que personne ne voit jamais mais dont l’ombre plane sur le journal, il ressemble à ces patrons de presse qu'il ne faut surtout pas mécontenter, même si cela contrevient quelque peu au sacro-saint devoir d'informer qui devrait être l’élémentaire devoir de tout journaliste. Je remarque qu'il y a quand même une note d’espoir dans tout cela en la personne de Maia, la seule femme du groupe de journalistes qui est cependant marginalisée par le seule fait qu'elle est une femme mais qui rappelle sans cesse autour d'elle la voix du bon sens et de la raison.

     

    Umberto Eco s'en donne à cœur joie sur la manipulation des masses par les médias, les mensonges d’État et leurs résultats sur l'esprit des lecteurs et sur leur opinion car n'oublions pas qu'ils sont aussi des électeurs. Entre info et intox, qui peut prétendre détenir la vérité face à la théorie toujours vivante du complot, la tentative de désinformation ou de détournement d'opinion dans un contexte de mythomanie générale ? Nous l'avons souvent constaté après coup, plus le mensonge est gros plus il prend. On nous a fait croire pendant des années au « Péril jaune », à « l'affaire Dreyfus », « aux armes de destruction massives » en Irak et la liste est longue, même si au bout du compte la vérité éclate. Et je ne parlerai même pas promesses électorales et même des religions ! Que le peuple, dont nous faisons partie, soit influençable et surtout aussi amnésique, que ce genre d'attitude bafoue la démocratie à laquelle nous sommes tant attachés, que nous préférions de plus en plus la presse people avec ses relents de scandale à la simple information, tout cela sont des évidences mais, sans être spécialiste, il m'a semblé que les remarques distillées dans le roman ne sont pas si « fictives » que cela et s'adresse aussi à la presse en général.

     

    Le roman est agréable à lire, ironique et même humoristique par moment, plein de suspense, mais quand même sacrément pertinent tant il peint une espèce humaine fondamentalement amnésique, prêt à croire n'importe quoi, sans le moindre scrupule pour qui tout est bon pour se faire valoir ou gagner un peu d'argent et aussi la société dans laquelle nous vivons tous, sans grand espoir de la voir changer. Quant au monde de la presse, cantonné ici à l'Italie dont l'histoire politique ne m'est guère familière, il est quelque peu égratigné et l'exemple est parfaitement transposable aux autres pays où règnent aussi la corruption et l'hypocrisie.

    Hervé GAUTIER – Septembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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