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la feuille volante

Yann QUEFELLEC

  • MA PREMIÈRE FEMME - Yann Queffélec

     

    N°444 - Août 2010

    MA PREMIÈRE FEMME – Yann Queffélec - Éditions Fayard.

     

     

    La 4° de couverture donne le ton « Un homme revient sur son enfance- il est peut-être mon double, mon agent le plus secret ». A ces mots, il est permis de penser que nous entrons dans l'univers de l'autobiographie d'autant qu'il est question du visage de la mère, évoqué ici malgré l'outrage du temps. L'auteur indique d'ailleurs que l'imagination est venue à son secours et a régénéré son écriture autant qu'il a transformé cette figure d'exception qu'il nous livre ici.

     

    Ce sera donc elle, sa mère, « sa première femme ». Autant dire que de cette famille fictive, le père, conférencier international et écrivain sera absent en permanence, constamment sur les routes, dans les avions, parlant devant des aréopages d'intellectuels qui attendaient ses interventions...

    Le narrateur, Marc Elern, se présente à nous avec un certain humour et évoque sa vie d'enfant au sein de cette famille un peu fantasque et dédiée au piano où sa mère, ancienne concertiste, a choisi d'abandonner la musique pour se consacrer à ses enfants, où sa petit sœur Cathy est aveugle. Il lui servira de guide au physique comme au moral, il sera un peu son double, son confident, son mentor comme elle sera son miroir...

     

    Refaisant le chemin à l'envers, il nous conte son éveil à la vie, ses premiers émois amoureux d'adolescent avec ses fantasmes et ses déceptions mais quand il décroche le téléphone, la clinique, croyant avoir affaire au mari, lui annonce la mort de sa mère «  Votre femme n'a pas passé la nuit ». Ce bout de phrase, prononcé par hasard et surtout par erreur va déclencher l'écriture parce que, dans son cas, cela lui apparaît comme le seul moyen d'exorciser la douleur née de cette absence. Certes, il avait déjà compris que sa mère avait déjà fait un bout de chemin avec la maladie et la souffrance, mais elle était là. Était-ce pour la faire revivre, garder une trace de son passage sur terre qu'il va égrener les moments de vie de cette femme, la première qu'il ait jamais connue, qu'il va se souvenir des moments d'intimité qu'il a eue avec elle, qu'il va retrouver les lettres qu'elle lui envoyait quand il était au pensionnat où elle lui parlait de liberté, d'amour et de Dieu, autant de jalons qui vont gommer l'oubli, autant d'occasions de relire les confidences maternelles, de déchiffrer après coup ses peurs, les réalités savamment occultées, ses espoirs promis au néant!

     

    Alors, ce fils attentif répond à ses missives et on imagine bien qu'il en peaufine les termes, en sculpte les phrases comme savent le faire ceux qui veulent que leurs mots portent et qu'ils soient compris par leur destinataire. Mais la mort vient interrompre tout cela. Il n'y aura plus jamais de lettres, plus jamais de réponse! Dès lors, l'absence s'installe, et avec elle les choses se bousculent, la révolte s'insinue devant cette injustice et l'espoir improbable d'une autre vie, dans un autre monde ou parait-il on se retrouve, ne console pas. Puis vient la culpabilisation d'être encore là, de n'avoir pas dit ou fait ce qu'il fallait au bon moment, avec en prime la haine de soi-même et des autres, incapables de partager sa douleur intime.

    C'est que la vie continue comme on le dit un peu trop facilement et avec elle les déceptions amoureuses, la femme est jouissance mais aussi souffrance!... Pour lui, il y a le bac qu'il faut bien passer. Alors il joue la comédie et tient son rôle. Il le faut bien. Il se réfugie dans l'alcool parce qu'il endort et dans le sport parce qu'il est aussi une souffrance qui en combat une autre...

    Seul restera l'écrivain qui usera de mots, lui aussi, mais autrement, avec l'arme de l'humour, voudra se jouer à lui-même une comédie, se faisant croire que tout cela n'a été qu'un mauvais rêve, qu'une mauvaise blague et que tout va revenir comme avant.

     

     

     

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA FEMME SOUS L'HORIZON - Yan QUEFFELEC

     

    N°46

    Juillet 1990

     

     

     

    LA FEMME SOUS L’HORIZON – Yan QUEFFELEC – Editions Juillard.

     

     

    J’avais encore en mémoire le climat qui baignait « Noces barbares » ont la lecture remontait pourtant à quelques mois quand ce roman s’offrit à ma curiosité. Le destin de ce petit garçon, né d’un viol collectif, rejeté par sa mère, aimé gauchement par un père qui n’était pas le sien et qui trouve refuge dans une épave m’a rappelé celui de Tina, née elle aussi par hasard avec une cicatrice énigmatique sur le visage et qui cherche le secret de sa naissance dans le silence gêné de ses proches et les figures du tarot. Son sang, son visage, son âme, elle les doit à sa mère, exilée elle aussi dans la vie, avec pour quotidien la haine et la violence de cette famille bizarre, aux vagues racines russes, jetée là dans un coin de France. Il y a nombre de points communs entre ces deux enfants, héros de deux romans, je devrais dire de deux tragédies ou la mort est le seul gagnant.

     

    Comme toujours, les personnages sont fascinants. Carmilla, la Roumaine, belle, fuyant, indéfinissable, Vladimir, ce Russe qui ne connaît de son pays que les icônes et les souvenirs macabres de Zinnaïde, cette mère abusive qui règne sur une maison-épave, Lev qui vit dans son ombre, Zénia, attirée par le plaisir et par le néant parce que la vie est pour elle un fardeau, Misha, victime de sa passion pour Tina, ballotté au gré des sautes d’humeur de cette femme qui ne sera jamais vraiment à lui. Tous sont englués dans la trame d’un destin où le bonheur n’a aucun droit de cité. Tous s’accrochent à la vie, mais la mort veille qui aura le dernier mot et viendra les prendre en traître.

     

    La vie n’est pour eux qu’une perpétuelle recherche du bonheur autant qu’une fuite éperdue devant lui, à l’image de ce feu omniprésent qui réchauffe et détruit, donne indifféremment la vie ou la mort. C’est une lutte incessante, comme un jeu à travers la séduction, la violence, les passions, les obsessions et la nostalgie, avec, à contre-jour la fascination de la mort, cette délivrance potentielle qui s’étale comme l’image virtuelle d’un visage reflété par un miroir.

     

    Jusqu’à la dernière ligne, le lecteur passionné espère que tout cela n’est qu’un rêve et que la vie gagnera parce que dans les épreuves on puise aussi des raisons d’exister.

     

    Mais, le livre refermé, il reste les personnages, leur destin, et cette impression assez indéfinissable qui se dégage d’un texte tressé avec un incontestable talent.

     

     

    © Hervé GAUTIER.