la feuille volante

Emmanuel Carrère

  • l'adversaire

    La Feuille Volante n° 1180

    L'adversaire – Emmanuel Carrère – P.O.L.

     

    Je me souviens de cette affaire judiciaire qui alimenta la chronique pendant de nombreux mois dans les années 90, celle de Jean-Claude Romand qui tua ses parents, sa femme et ses deux enfants et mis le feu à sa maison mais surtout qui s'était fait passé pendant plus de dix-huit ans, auprès de sa famille et de ses amis, pour ce qu'il n'était pas, étudiant en médecine d'abord puis médecin travaillant à l'OMS et à l'INSERM à Genève toute proche, et tout le train de vie qui allait avec. Son nom aurait pu attirer l'attention, mais plus sérieusement surtout quand on songe à l'épilogue, on est confondu devant l'énormité de ses ruses, il est vrai favorisées par une organisation très simple mais efficace et par d'exceptionnels concours de circonstances favorables à ses dissimulations. Comment a-t-il pu donné le change pendant toutes ces années, sinon à considérer que pour tout être humain, plus le mensonge est gros plus il prend ? Il n'était finalement qu'un escroc, doublé, à la fin d'un assassin. Je ne suis pas sûr, comme le dit l'auteur, que s'il y avait effectivement le faux docteur Romand, « il n'y avait pas de vrai Jean-Claude Romand ». Je veux bien que l'accusé ait lui-même prétendu devant la Cour qu'il ne comprenait pas ce qui lui était arrivé, mais, même si je n'ai pas vraiment suivi ce procès comme un spécialiste, il m'apparaît qu'il ne faisait ainsi que prolonger cette duperie qui avait si bien fonctionné auparavant en espérant que cela dure, et ce même devant un tribunal ! il n'en reste pas moins qu'il savait ce qu'il faisait en se jouant à lui-même et aux autres cette comédie qui n'était pas autre chose qu'une mystification montée au départ pour cacher son inadaptation à la vie et son retrait de la société. Il avait même eu soin de prendre les apparences flatteuses du notable attentif aux rituels religieux ordinaires, ce qui est toujours remarqué dans la société traditionnelle et bien pensante. Il savait qu'agitant devant les autres l'épouvantail du cancer dont il prétendait souffrir, il coupait court à toutes les demandes d'éclaircissements à supposer qu'elles existent. Il ne pouvait ignorer que son imposture ne pouvait, à terme, qu'être découverte ne serait-ce qu'à cause des sommes appartenant à ses parents et amis qu'il disait avoir placées, alors qu'il n'en était rien. C'était pourtant jouer gros parce qu'il se savait fragile et qu'en bien des circonstances il a été sur le point de tout avouer.

    Il ne lui restait donc plus qu' à effacer les traces de tout cela, mais il aurait quand même pu le faire sans devenir l'assassin de sa propre famille. Se suicider eût sans doute été une manière de sauver les apparences mais il n'en a même pas eu le courage, apeuré sans doute par la mort qu'il ne pouvait s’infliger à lui-même alors qu'il venait de la donner aux siens. Face à la Cour, il n'avait plus qu'à jouer une dernière comédie, sachant parfaitement que nous sommes dans une société judéo-chrétienne. C'est toujours facile de proclamer qu'on a découvert Dieu en prison, qu'on croit à sa rédemption et a son infinie bonté. C'est facile de se parer de mysticisme, des apparences de la dévotion et de citer l’Évangile, mais il oubliait seulement le commandement de ce même Dieu qui lui interdisait de tuer. II ne risquait plus la peine capitale et il le savait, il pouvait donc continuer à poursuivre cette tartuferie qui avait déjà duré 18 ans ! A-t-il pensé que Dieu qui l'avait protégé pendant tout ce temps avec cette chance insolente, continuerait en inspirant de la mansuétude aux jurés,  qu'il a d'ailleurs sollicitée dans sa dernière intervention? Peut-être mais la justice des hommes est heureusement d'une autre nature et la prison à vie a été sa réponse.

    J'ai lu ce document, passionné par le mystère qui l'a entouré et favorisé par des apparences sociales de notable qui ont abusé tout le monde. J'ai appris beaucoup de choses. Je me demande s'il était bien sain d'écrire ce livre, certes avec talent et, plus tard, de tirer des films de cette malheureuse aventure. C'est donner à Romand une aura qu'il ne mérite pas .

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Le Royaume

    La Feuille Volante n° 1172

    Le RoyaumeEmmanuel CARRERE - POL

     

    Nous avons, pour la plupart d'entre nous, été élevés, de près ou de loin dans la religion catholique. L'enfance, parfois l’adolescence ont fait de nous des croyants sincères, à tout le moins réceptifs au message, mais dans l'âge adulte des doutes n'ont pas manqué de s’insinuer en nous, nous transformant en agnostiques ou en athées. J'avais entendu parler de ce livre et je l'ai abordé en me disant que l'auteur allait évoquer ce genre de parcours qui, sur une génération a vidé presque complètement les églises, tari les vocations au point qu'il n'y a plus de curés dans les paroisses et transformé cette vénérable institution qui se voulait un des piliers de notre société en une organisation démissionnaire qui a laissé la place à d'autres religions et à leurs dérives criminelles et qui a fourni des exemples contestables quand certains des membres du clergé étaient condamnés pour pédophilie et que les plus hautes autorités, oublieuses du message de l’Évangile, sombraient dans le crime, le délit et le scandale. Souvent, un bouleversement qui intervient dans notre vie nous rappelle cependant que la religion peut apparaître comme un recours. L'auteur revient ainsi vers la prière, la méditation et la lecture du livre saint et des docteurs de l’Église, nous détaillant son cheminement personnel. C'est assez long et ennuyeux. Il ne pourra s'empêcher, au cours de ce livre de parler de lui, de ses goûts, illustrant ce solipsisme propre aux auteurs. Puis,dans une autre partie, érudite et moins fastidieuse, il refait l'histoire de Luc, l’évangéliste conciliant et celle de Paul, plus intransigeant, prosélyte d'autant plus actif qu'il a commencé sa vie en persécuteur des fidèles du Christ. Emmanuel Carrère se livre à un travail de scrupuleux archiviste mais aussi d’écrivain imaginatif, glosant sur les « Actes des apôtre » du premier et les épîtres du second. et sur l'itinéraire de ces deux disciples dont aucun n'a connu le Christ. II commente leur insatiable témoignage en faveur de ce qui n'était au départ qu'une secte, qu'ils se sont attachés à développer face aux Juifs et aux gentils. Il parle de l'inévitable quiproquo incarné par Jésus,qui se présente comme le Messie dont « le royaume n'est pas de ce monde » et les juifs qui attendaient un libérateur politique. Il présente le Christ comme révolté contre la religion juive mais pas contre l'occupation romaine Il rappelle la polémique jamais vraiment tranchée qui pose le Christ comme condamné par les juifs mais exécuté par la Romains ; elle nourrit encore aujourd'hui l'antisémitisme chez les catholiques. Ce livre est une vaste enquête et les investigations de l'auteur sont judicieuses et illustrées d'exemples contemporains qui les rendre plus humaines, convoque Nietzsche et Sénèque, Montaigne et Dostoïevski et c'est parfois déroutant, mais il le fait, non plus comme un croyant comme au début mais comme un agnostique. Il fait aussi œuvre d'historien, remettant chacun à sa vraie place, et ce nonobstant une légende, souvent autoproclamée qui a porté les intéressés au pinacle. Il ne peut s'empêcher de parler de Jean mais, trop peu à mon goût, de l’apocalypse. J'aurais aimé qu'il abordât l'étude des évangiles apocryphes...

    Il n'est reste pas moins que j'ai lu ce livre avec curiosité et passion. A titre personnel, j'ai apprécié que l'auteur regarde cette religion avec les yeux du doute et en dehors de tout dogmatisme. J'ai aimé son style pertinent, ses remarques parfois impertinentes parce que le sujet s'y prête et ne laisse personne indifférent même si, dans les réunions entre humains, la religion comme la politique font partie des thèmes qu'il vaut mieux ne pas aborder si on veut leur garder une dimension apaisante. Pourtant, j'ai été un peu déçu dans le registre de l'agnosticisme. Je m'attendais à autre chose. Je reconnais le travail d'exégète, j’apprécie la remise en cause des vérités qu'on nous demande de recevoir « béatement » et surtout sans les discuter mais j'aurais aimé qu'il aille plus loin dans l'analyse, qu'il bouscule un peu ces idées reçues et peut-être surtout qu'il dénonce ce qui, dans ce catholicisme qui s'est longtemps autoproclamé détenteur de « la vraie foi »(sans aucune considération pour les autres tendances du christianisme) ce qui peut choquer les esprits cartésiens que nous sommes censés être. J'aurais aimé que dénonçât cette culpabilité judéo-chrétienne, à mes yeux irrationnelle, et contre-productive ou à tout le mois qu'il en parlât.

     

    © Hervé GAUTIER – septembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]