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la feuille volante

Eric-Emmanuel Schmitt.

N°749 – Mai 2014.

OSCAR ET LA DAME ROSE – Eric-Emmanuel Schmitt.

Oscar est un petit garçon espiègle de dix ans qui est soigné dans un hôpital pour enfants parce qu’il est atteint d'une leucémie. Il se surnomme lui-même « crâne d’œuf » à cause de la chimiothérapie qui lui a fait perdre ses cheveux. De même il donne à ses copains des noms en rapport avec leur maladie, « Bacon » parce que c'est un grand brûlé, « Pop Corn » parce qu'il est énorme, « Peggy Blue » parce qu'elle a la maladie bleue... une façon comme une autre d'oublier la maladie avec l'aide de l’humour d'autant qu'il va sûrement mourir.

Mamie-Rose c'est la bénévole qui vient lui rendre visite et qui a sympathisé avec lui. C'est une vielle dame, ex-catcheuse à ce qu'elle dit, qui revêt une blouse rose pour entrer dans sa chambre. Il l'aime plus que ses propres parents qui pourtant viennent le voir avec régularité et lui apportent des cadeaux dont il n'a que faire. Il sent qu'ils lui mentent et cela ne lui plaît guère. Pourtant ils l'aiment mais ne peuvent rien face à cette maladie qui va l'emporter. Ils se préparent à cette issue fatale sans trop le montrer à leur enfant. C'est que nous sommes dans la période de Noël, exactement douze jours avant et ce petit garçon, à l'instigation de la dame rose, entreprend d'écrire à Dieu une lettre par jour en lui demandant de venir le voir et en lui racontant tout ce qui lui arrive, une manière aussi de dérouler un compte à rebours puisque sa greffe de moelle osseuse n'a pas pris et qu'il le sait.

C'est aussi cette même Mamie-Rose qui lui propose d'accélérer le temps et d’imaginer qu'à une journée correspond une décennie, une façon comme une autre d'avoir droit à une vraie vie, complète, comme les autres. D'ailleurs il se prend au jeu, se choisit une fiancé en la personne de « Peggy Blue », en tombe amoureux, l'épouse, se constitue une famille fictive et fait semblant de croire à tout cela même quand son « épouse » sort de l'hôpital, guérie ! Avec son stratagème du temps accéléré, ils ont passé leur vie ensemble et c'est l'essentiel. Oscar est mort pourtant parce que la maladie a été la plus forte, mais il a choisi de partir quand ses parents et Mamie-rose étaient partis boire un café, un peu comme le petit prince de Saint Ex, avec cette simple phrase comme épitaphe « Seul Dieu a le droit de me réveiller »

C'est une fable, bien sûr mais elle est émouvante parce qu'il est question de la souffrance et de la mort qui sont notre lot à tous. Pourtant tout cela n'est pas triste, pas dramatique comme cela aurait pu l'être, à cause du style volontairement simple, naïf, naturel, comme celui d'un enfant. Le fait de s'adresser à Dieu à l’instigation de la vielle dame est à la fois puéril et sérieux. En contrepoint il y a la mort qui dans nos civilisations occidentales est à la fois tabou et désespérante et pourtant ce roman ne tire pas de larmes. Il est à la fois cocasse et poétique.

Comme il le dit lui-même, la vie n'est pas un cadeau, c'est juste un prêt, nous n'en sommes que les usufruitiers alors que nous agissons comme si nous étions immortels. Il n'est pas inutile de la rappeler aussi simplement que cela.

©Hervé GAUTIER – Mai 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Félix et la source invisible

    La Feuille Volante n° 1400Octobre 2019.

    Félix et la source invisible - Eric-Emmanuel Schmitt - Albin Michel.

    Après tout, cela a marché une fois et cette certitude a même prévalu au point de devenir le fondement d'une religion, alors Faty, la mère sénégalaise de Félix, a fait croire à son fils de 12 ans qu'elle l'avait conçu avec le Saint-Esprit. Comme l'enfant n'a jamais connu son père ça arrangeait bien les choses, et puis on ne doute jamais de la parole de sa mère! Mais cette femme ne va pas bien et Félix va toute faire pour la sauver. Voila le départ d'une fable philosophique un peu naïve, qui a pour cadre un bistrot de Belleville et qui met en scène, dans une situation administrative abracadabrantesque des personnages hauts en couleur et même parfois un peu excessifs, Robert Larousse ainsi surnommé parce qu'il apprend le dictionnaire par cœur, l'énigmatique Eurasienne Mademoiselle Tran, l'oncle Bamba, flambeur et manipulateur mais finalement inattendu, Madame Simone, la prostituée transsexuelle... Ils font parfois rire à cause de leurs postures mais bien plus souvent donnent à réfléchir pour ce qu'ils sont parce que, comme à son habitude, notre auteur en profite pour aborder des sujets sérieux, l'animisme, la nécessaire compréhension des autres au-delà des apparences, mais aussi la quête désespérée de ce petit garçon pour sauver sa mère qui s'enfonce chaque jour dans le mutisme,la démence, la mort. Il découvrira le vrai nom de son père mais surtout ses propres racines et son histoire.

    Certes l'Afrique se prête à cette histoire à la fois tragique et merveilleuse, magique et pleine de sorcellerie, même si elle aussi catalyse cette volonté constante de tous les hommes, quelles que soient leur couleur ou leur histoire, pour l’intolérance, la violence, la destruction. Comme dans toute fable il y a une morale, toujours un peu naïve et malgré tout de nature à égarer quelque peu les gens sous couvert d'une fonction didactique qui peut se révéler contestable, une invitation à dépasser les apparences pour un juste retour des choses et même un trop facile "happy end" qui ne se produit jamais dans la vraie vie, avec peut-être une dimension écologique du retour à la nature et du respect qui lui est dû, bien dans l'air du temps. Cela vient peut-être de moi mais je n'a que très peu suivi la démarche de l’auteur dans sa volonté de voir Paris comme un paysage africain .

    Dans cette série romanesque qui va de "Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran", à "Oscar et la dame en rose", l'auteur nous invite dans le "Cycle de l'invisible" qui est avant tout une recherche du sens de la vie mais qui s'inscrit aussi dans la spiritualité. Ici c'est l'animisme qu'il donne à méditer et son style clair et poétique transforme son message humaniste en un bon moment de lecture.

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com


     

  • La femme au miroir

     

    La Feuille Volante n° 1361 Juillet 2019.

     

    La femme au miroir Eric- Emmanuel Schmitt – Albin Michel.

     

    Il s’agit du destin de trois femmes vivant à des périodes et dans des pays différents et qui refusent mariage et maternité, c’est à dire le sort traditionnel qui leur est réservé dans une société gouvernée par les hommes. Anne est une jeune fille flamande modeste de la Renaissance qui s’enfuit le jour de ses noces pour se retirer dans un béguinage qui à cette époque est une communauté non religieuse de femmes qui refusent la domination des hommes. Hanna et une aristocrate autrichienne du début du XX° siècle qui a épousé un homme charmant mais que se sent de moins en moins à sa place dans son milieu et qui devient psychiatre grâce à Freud. Anny est une actrice américaine très hollywoodienne qui, de nos jours, tourne des films à succès et collectionne les amants dans une vie tourbillonnante où s’invitent la drogue, l’alcool et le sexe. Qu’ont-elles en commun ? A priori rien sauf qu’au cours du roman chacune d’elles qui se sent différente des autres femmes de sa génération et de sa condition va faire usage de sa liberté. Elles sont toutes trois orphelines mais aussi et peut-être surtout elles ont grandi avec l’objectif inconscient de devenir ce que leur époque voulait qu‘elles soient. Un jour, en se regardant dans un miroir, elles prennent conscience que la vie qui va être la leur ne leur convient pas et elles vont librement en choisir une autre, à rebours de leur temps et ainsi non seulement se découvrir elles-mêmes mais surtout se réaliser, s’émanciper. Elles se rejoignent cependant grâce à un livre écrit par Hanna sur la vie d’Anne et que découvre un peu par hasard Anny. Cela peut paraître artificiel mais j’ai toujours été fasciné par le fait que les idées et les faits ainsi relatés avec des mots, confiés au fragile support du papier, passent ainsi la barrière des siècles.

    Anna est la victime de l’église catholique qui au cours de son histoire multiplia les erreurs et les crimes au nom de l’Évangile qu’elle prétendait défendre et dont elle se recommandait. Cette femme prônait la communion avec la nature et les animaux dans une époque exagérément religieuse où on accusait facilement, d’hérésie et de sorcellerie et où le feu purifiait tout. Hanna est idolâtrée par un mari, certes amoureux d’elle, mais qui veut surtout avoir une descendance alors qu’elle même n’est pas sûr de vouloir être mère mais s’enthousiasme pour la découverte de l’orgasme à travers une foule d’amants de passage. La vie d’Anny se résume en frivolités ne voyant les hommes que comme des chevaliers servants et surtout comme des pourvoyeurs de plaisirs. Ce sont trois femmes qui décident de briser l’image que leur psyché leur renvoie d’elles-mêmes et de passer de l’autre côté pour découvrir la nature, la réalité de l’image virtuelle, différence de l’image réelle renvoyée par leur miroir.

    L’auteur veut-il nous parler de la culpabilité, celle d’Anne pour sa vanité ou sa foi angélique, celle d’Hanna pour n’avoir pas pu avoir d’enfant ou peut-être refuser d’enfanter ou peut-être préférer le plaisir sexuel aux joies supposées de la maternité, celle d’Anny pour la recherche effrénée de la jouissance ? Je ne sais pas mais il y a toujours un embryon, même inconscient, de culpabilité à ne pas vivre comme les autres, mais cela ne dure pas bien longtemps et ces trois femmes ont choisi la liberté. A travers elles, si différentes, l’auteur choisit de nous parler des arcanes de la condition humaine. E-E Schmitt introduit une sorte de dédoublement de la personnalité chez ces trois femmes, comme si l’image qu’elles donnaient d’elles à l’extérieur ne leur correspondait pas, que la mort pour elles n’était pas une désolation, juste un passage et peut-être même une délivrance, qu’elles ont été victimes de la violence de leur temps. C’est vrai pour Anne et Hanna mais pour Anny, comédienne, ce dédoublement est facile puisque cela fait partie de son métier, même s’il y a en elle quelque chose de plus profond, de plus authentique, une sorte d’alchimie qui, à travers un rôle et un livre, fait qu’elle ressemble aux deux autres. Pourtant, si je peux entrer dans la démarche d’Anne se cherchant à travers la nature et Hanna convoquant la sexualité pour explorer l’inconscient, j’ai en revanche un eu de mal à comprendre celle d’Anny, trop artificielle et superficielle à mes yeux et je ne suis pas sûr de suivre l’auteur sur la thématique de fin, liée d’ailleurs à Anny. Ainsi, de ces trois portraits magistraux de femmes, je mettrai à part celui d’Anny. Si la recherche de la liberté me paraît authentique chez Anne et chez Hanna, j’ai ressenti l’actrice américaine en retrait par rapport à cette démarche.

    Il reste que lire Eric-Emmanuel Schmitt est toujours pour moi un bon moment et ce roman n’a pas échappé à la règle. ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

     

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  • Le sumo qui ne pouvait pas grossir

    La Feuille Volante n° 1187

    Le sumo qui ne pouvait pas grossir Eric-Emmanuel Schmitt – Albin Michel.

     

    Jun est adolescent, un petit vendeur de rue à la sauvette d'objets bizarres. C'est un jeune homme maigrichon en rupture avec sa famille, un marginal, un SDF, qui survit à Tokyo dans des conditions difficiles. Shomintsu, un vieillard à la rôle d'allure, directeur d'une école de sumo, voit en lui un gros et sans doute un futur champion, une manière de lui dire que, selon lui, il a toutes les qualités pour devenir un vrai sumo. A-t-il besoin de lunettes ou bien est-il à ce point doué de double vue pour deviner l'avenir, allez savoir ? Toujours est-il que malgré ses réticences, et aussi sans doute poussé par la nécessité, Jun s'inscrit à l'école de Shomintsu. Et ce n'est pas tout, dans la série des prémonitions dont il est l'objet, voila que Reiko, la jeune sœur du champion sumo lui prédit le mariage et des enfants… avec elle ! Au terme de son apprentissage, il ne sortira pas « grossi » mais « grandi » de ce parcours, assurément transformé et plus confiant en l'avenir.

     

    Cette histoire est évidemment une fable qui tient un peu du conte de fée où le merveilleux côtoie l'impossible et où le happy-end est obligatoire. On peut y voir ce que l'on veut et pourquoi pas l'histoire d'une renaissance, d'un apprentissage de soi-même autant qu'une acceptation de sa propre personne, une remise en question des certitudes les plus ancrées en nous, des préjugés, des idées reçues, une manière d'être en paix avec soi et avec les autres, de changer de vie, de devenir soi-même... Redescendant sur terre, j'avoue aussi avoir goûté l'humour, d'ailleurs d'un goût assez douteux, de cette histoire peu commune. A l'affirmation que Shomintsu adresse à Jun pour l'encourager à sortir de sa condition, « Je vois le gros en toi », répond, non sans un certain à propos celle que ce dernier adresse à Reiko, qu'il veut maintenant épouser et avec qui il veut évidemment avoir des enfants, « Je vois la grosse en toi ». Cela a au moins le mérite d'être explicite mais à mes yeux peu flatteur à l'endroit d'une jeune fille fluette et délicate et passerait même sous nos latitudes et dans la période formidable que nous vivons actuellement, pour du harcèlement sexuel.

     

    Ce petit livre s'inscrit dans le « cycle de l'invisible » qui nous conduit aux racines du bouddhisme mais nous fait aussi faire quelques pas dans l'univers merveilleux des légendes.

     

    J'ai apprécié comme toujours le style de l'auteur même si je n'ai probablement pas lu ce conte dans l'esprit dans lequel il l'a écrit. Cela tient à moi, assurément, pas assez zen, trop tourmenté, pas assez réceptif à la spiritualité, pas assez versé vers le merveilleux qui n'existe que dans les romans, jamais dans la réalité. Je suis, et sans doute définitivement, irrécupérable !

     

     

    © Hervé GAUTIER – Novembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Madame Pylinska et le secret de Chopin

     

    La Feuille Volante n° 1299

     

    Madame Pylinska et le secret de Chopin – Eric-Emmanuel Schmitt – Albin Michel.

     

    Elle devait bien être particulière, voire farfelue, cette madame Pylinska, professeure polonaise de piano de son état, qui demandait à son élève de 20 ans, alors étudiant à l’École Normale Supérieure, et désireux de se perfectionner dans la discipline de Chopin, d'aller dès le matin cueillir des fleurs au Jardin du Luxembourg sans en faire tomber la rosée pour la seule raison que ce jeune homme devait ainsi, préalablement à tout exercice, rendre ses doigts « dévoués, subtils, policés, secourables... », d'examiner les carpes des bassins, d'observer le jeu du vent dans le feuillage des arbres et de ne pas oublier d'appliquer cette méthode avant d'aborder la séance et même de faire l'amour avant de venir s'installer devant le clavier. Tout cela était selon elle une manière décontractée, indispensable pour aborder l'apprentissage de la musique ! Apparemment, les leçons de piano chez elle n'étaient pas seulement consacrées aux gammes ou aux déchiffrages des partitions. Cela ressemblait à la philosophie de la musique, aux mérites comparés de Liszt et de Chopin et autres grands compositeurs et même aux interprètes non moins talentueux, à l'étalage d'une grande culture musicale, mais surtout c'était souvent elle qu'on entendait jouer...

    Il y a l'étonnant personnage de ce professeur à la fois amoureuse de ses chats, attentive à la réincarnation de l'un d'eux en une araignée devenue miraculeusement mélomane, parlant beaucoup, inventant encore davantage, dérapant parfois à la limite de la critique sans doute facile, mais ne s'y engouffrant pas, au nom de la charité chrétienne. Mais il y a celui d'Aimée, la tante du narrateur qui l'initie un peu malgré elle, alors qu'il n'a que 9 ans, à la musique de Chopin et et, plus tard, lui confie l'existence de son unique amour alors qu'elle se laisse appeler dans sa famille « La gourgandine », ce qui est un surnom peu flatteur. Elle prête le flanc à la critique familiale mais c'est surtout pour elle, est une manière de se protéger. Elle lui donne l'image de ce qu'est la liberté de l'usage qu'on peut en faire et du peu d'importance qu'on doit accorder à l'avis des autres. Ce personnage m'émeut franchement davantage que celui de la professeur de piano puisque j'ai senti sa présence en filigrane, subtilement tout au long de ce roman. Elle en est l'initiatrice et finalement une sorte de conclusion. Il y a enfin, l'image furtive de cet instrument au nom imprononçable, initialement présenté comme un intrus dans la famille de son enfance et qui finalement, grâce à cette tante, bien des années plus tard, sera le témoin de sa transformation, de sa maturité et de l'invitation à l'écriture à laquelle, heureusement, il répond.

    C'est un roman auto-biographique et qu'un bon auteur nous parle de son parcours et enrichisse ainsi son œuvre, est toujours un moment intéressant, qu'il nous parle de lui, de sa passion pour la musique classique et pour Chopin en particulier, qu'il y mêle une dose d'imaginaire qu'il est le seul à connaître, pourquoi pas, qu'il le fasse à sa manière, fluide et poétique, c'est à dire en servant notre belle langue française comme doit le faire tout écrivain, il nous y a toujours habitués et c'est à chaque fois pour moi un bon moment de lecture comme je l'ai souvent dit dans cette chronique.

    J'ai donc pour E.E. Schmitt un a priori favorable. Le livre refermé, que reste-t-il de ma lecture ? Un court roman du souvenir, de la nostalgie, de l'émotion face au temps qui passe et à la mort qui engloutit les humains après leur passage sur terre, la certitude que le difficile apprentissage de Chopin est une école de la vie, et peut-être aussi de la façon d'aborder et de vivre l'amour, comme le sont les choses ardues à acquérir, que rien n'est vraiment facile, que rien n'est fait d'avance et qu'il faut persister, ne pas se décourager... Pourquoi pas ? Pourtant, je ressens quelque chose de bizarre, comme si ce que nous recherchons tous dans la littérature comme dans l'art n'avait pas fonctionné. Quand j'ouvre un roman, parfois choisi au hasard ou sur le seul nom de son auteur, je le fais pour, inconsciemment, y trouver quelque chose qui me sort du quotidien, qui m'apprend quelque chose ou m'invite à la réflexion. Je sais que je pénètre dans un autre monde, une autre dimension le temps de ma lecture et j'aime tellement cela que j'en redemande volontiers. Les livres se succèdent avec leur dépaysement, leur invitation au voyage immobile ou à la remise en cause d'idées reçues.... Cela doit tenir à moi, et en tout cas pas au talent de l'auteur, mais pour une fois cela n'a pas fonctionné, je sens que je suis passé à côté et bien sûr je le regrette sans peut-être être capable de m'en expliquer la vraie raison.

     

     

    © Hervé GautierDécembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • La vengeance du pardon

    La Feuille Volante n° 1196

    La vengeance du pardon – Eric-Emmanuel Schmitt. Albin Michel.

     

    Vengeance : dédommagement moral de l'offensé par punition de l'offenseur, c'est à dire punition de ce dernier, ce qui peut parfois attendre des années. Pardon : action de tenir une offense pour non avenue, considérer qu'elle n'a jamais existé. Cela implique l'oubli, l'indulgence. Ce titre en forme d'oxymore ne pouvait qu'attirer mon attention, provoquer ma réflexion et mes commentaires. A lui seul, il illustre les contradictions constantes qui émaillent notre vie. Tout ce qui est fait contre nous appelle normalement de notre part une riposte à la mesure de l’agression dont nous avons été l'objet. Dans d'autres cultures on a élevé cette réaction au rang d'une réponse à la fois logique et normalement admise et on l'a appelé par exemple « loi du talion ». Les religions nous enseignent que, lorsque quelqu'un porte préjudice à une autre personne, celui qui fait l'objet de cette agression se grandit en faisant montre de magnanimité, voire en tendant l'autre joue, ce qui n'est pas sans désarçonner l'adversaire. Le pardon est divin, dit-on et c'est faire preuve d'une réelle grandeur d'âme que de l'exprimer, à tout le moins officiellement. On évoque souvent ce « droit au pardon » pour les fautifs, quand la loi ne s'en mêle pas en organisant la peine du délinquant ou du criminel, déclarant qu'après cela, il « a payé sans dette à la société » et peut, dès lors, vivre normalement. Pour être plus crédible, cette même loi prévoit « le droit à l'oubli » en instituant la prescription, laps de temps au-delà duquel, en principe, toute action judiciaire est éteinte. La société, en tant que concept social réclame, pour exister et fonctionner, « l'ordre public », mais qu'en est-il de la victime qui doit se reconstruire et assimiler, sans toujours le comprendre, tout ce qu'on a fait contre elle, vivre toute sa vie avec ce sentiment d'injustice ?

    L'auteur se propose de traiter ce thème, à mon sens difficile, puisqu'il touche chacun d'entre nous. Il choisit de le faire à travers quatre nouvelles dont la première « Les sœurs Barbarin » met en scène deux jumelles, Lily et Moïsette. Le principe de gémellité est d'emblée affirmé et facilite la tâche de l'écrivain. Lily est plus douée que sa sœur ce qui ne manque pas de créer des différences inévitables entre elles et d'attiser de la part de Moïsette des jalousies et des avanies à l'endroit de sa sœur qui pourtant les lui pardonne. Son pardon est-il pour autant réel et définitif, je n'en suis pas sûr au vu de la manière dont il traite le sujet, tant il est vrai que, quoiqu'on en dise, chacun garde en soi un ressentiment et la certitude que cette décision généreuse peut-être aussi l'invitation à recommencer et que toute faute mérite une sanction à l'image de cette « mule du pape » qui, selon Daudet, rumina sa vengeance pendant sept ans! « Madame Butterfly », la deuxième nouvelle qui évoque cet opéra de Puccini dont s'inspire l'auteur, suggère autant l'abandon qu'un de ces scandales financiers dont notre civilisation basée sur le profit, la réussite et le mensonge, a le secret. William est attiré par Mandine, une simple d'esprit, mais n'en veut surtout pas pour être son épouse et la mère de ses enfants. Les circonstances s'imposent cependant à lui et cet abandon qui est aussi une trahison illustrant un penchant de l'espèce humaine, appelle plus, à mon sens, le rachat et le sacrifice personnel que le pardon ou la vengeance. Qu'est ce qui justifie la trahison d'un être ? Chacun a sa propre valeur et qu'à de plus celui qui se croit autorisé à disposer d'un autre, surtout s'il lui a préalablement jurer fidélité ? Plus qu'un pardon ou une vengeance, il y a ici une dimension de rachat et de sacrifice personnel qui grandit celui qui en est l'auteur. Dans la troisième nouvelle qui donne son titre au recueil, il y a une forme subtile de vengeance pour une mère que de visiter en prison, et ce depuis des années, l'assassin de sa fille unique, de le mettre en quelque sorte face à ses responsabilités, de sa réalité de « tueur en série », de faire échec à son propre oubli. C'est une forme de supplice qu'elle lui impose et que, bizarrement il accepte, comme une forme de rédemption, entre silence et dialogue, refus et rencontres au parloir. Elle joue le rôle inattendu du pardon, mais je n'ai pas cru à ce qui nous est présenté comme un miracle. J'y ai vu une forme de perversion qui l'amène à prendre conscience de ses actes, à intégrer l'humanité, pour mieux lui faire connaître ce qu'est l'enfer du remords, c'est à dire l'inverse du véritable pardon. En revanche c'est réellement une vengeance. La quatrième nouvelle « Dessine-moi un avion » fait penser à Saint-Exupéry, et pas seulement à cause de l'avion, de la fable ou de l'écriture poétique. J'y ai lu une sorte de pardon que trouve cet aviateur allemand pour son action pendant la guerre, action qu'il ne peut effacer de sa mémoire, à cause du devoir qui était le sien et auquel il ne pouvait se dérober, un secret trop lourd à porter qu'il gardera pour lui, une sorte de pardon qu'il se donne à lui-même par sa propre mort. Cela illustre la remarque de la petite Daphné qui note qu'« on ne pardonne pas quelque chose, on pardonne à quelqu'un ».

    J'ai toujours plaisir à lire Eric-Emmanuel Schmitt pour la qualité de son style et l'hommage qu'il rend à notre belle langue française. Je ne suis cependant pas bien sûr d'avoir adhéré au message des nouvelles, d'avoir peut-être compris le sens de ces deux mots contraires, « vengeance » et « pardon », d'avoir admis qu'on puisse véritablement pardonner quand on a été soi-même l'objet d'une injustice. Je crois au contraire, et c'est humain, qu'aucune indulgence n'est vraiment possible et que le ressentiment qu'on garde après une injustice reste vivace et appelle revanche

    © Hervé GAUTIER – Décembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Les deux messieurs de Bruxelles

    La Feuille Volante n° 1189

    Les deux messieurs de Bruxelles – Eric-Emmanuel Schmitt – Albin Michel.

     

    André Malraux disait « Pour l'essentiel, l'homme est ce qu'il cache, un misérable petit tas de secrets ». C'est bien de secret dont il s'agit, que ce soit celui de deux homosexuels qui souhaitent favoriser après leur mort des gens dans le besoin ou la conduite énigmatique d'un notable qui ne révèle que post-mortem, et pour sa fille, ce qu'a été sa vie antérieure ou les manœuvres sentimentales d' une veuve pour s'attacher son second mari, les rapports difficiles au sein d'un couple… Je me suis souvent interrogé sur le secret qui entoure chaque être humain, soit qu'on se recroqueville sur sa propre histoire personnelle avec honte, soit qu'on participe aux blocages communs né de la guerre ou de la déportation dont il vaut mieux ne pas parler pour lui préférer la vie (merci Jorge Semprun). D'ailleurs le secret entretient le mystère et la couverture qui donne à voir une reproduction d'un tableau de Magritte me paraît être particulièrement pertinente puisqu'elle évoque le surréalisme dont la démarche créatrice était pour le moins hermétique.

     

    Le secret c'est aussi le mensonge qui fait partie de la vie parce qu'il est l'inverse de la confiance qu'on accorde par principe aux nôtres, parce que cela va de soi, parce qu'ils sont nos parents, nos enfants, notre conjoint, ceux-là mêmes qui en abusent sans vergogne. Nous nous ressemblons tous et ce faisant, nous tissons autour de nous une atmosphère de dissimulation, d'hypocrisie, de délation, de volonté de reconnaissance et d'ascension sociale par la séduction quand ce n'est pas une ardente envie de jouissance. Pour cela l'adultère en est la forme la plus élaborée et les déclinaisons en sont infinies qui minent les fondements de la famille et de la société. Quand elles sont découvertes, ces manœuvres, ces tromperies révèlent l’étendue de la naïveté de ceux qui ont eu la légèreté d'être honnêtes et la profondeur du mépris qu'on éprouve à l'égard ceux qui en sont responsables. Cette prise de conscience est douloureuse, déstabilisante, révélatrice pour ceux qui en sont les victimes et tous les serments, déclarations et affirmations qui ont pu être faits s'évanouissent ainsi d'un coup. Même si elle est maintenant plus libérée, la société, aidée activement en cela par la religion, nourrit ses propres tabous, les entretient avec le droit à l'oubli, le maintient des apparences jusque dans les replis du couple et consacre plus ou moins officiellement le non-respect des promesses de toute nature dont chacun, pour peu qu'il y ait quelque intérêt, s’accommode. Je ne suis pas sûr, tant actuellement les divorces sont nombreux, que les gens faits l'un pour l'autre existent vraiment comme nous le proclame une littérature de midinettes. L'expérience nous enseigne qu'il ne faut pas se fier aux apparences qui sont trompeuses, pourtant, le « coup de foudre » qui préside à l'amour se réfère bien à cela. D'ailleurs « le grand amour » existe-t-il vraiment ? En revanche le hasard me semble de plus en plus présider aux choses humaines, et il ne fait pas toujours bien les choses. L'amour fait partie de la vie, non seulement il contribue à la donner mais il est aussi bien souvent le moteur de la création artistique.

    J'ai souvent dit dans cette chronique que l'univers de la nouvelle est particulier. et souvent difficile d'accès . A la fin de cet ouvrage, l'auteur, dans un « journal d'écriture » , précise ce qu'a été la genèse de chacun de ses textes, les recherches qu'il a pu faire, les réflexions qu'il a menées, les événements de sa propre vie qui les ont suscités et enrichis pour en réaliser l'écriture. L'amour y tient une grande place et je n'ai pas fait l'impasse sur cet aspect. Tout le monde en parle et en son nom on prend des décisions parfois hâtives qui gouvernent et surtout pourrissent ensuite toute une vie que, contrairement à une idée généralement admise, on ne peut réellement refaire. Il est facile de le simuler en fonction de son intérêt et là on rejoint le mensonge qui, bien sûr, y a pleinement sa place. Ainsi, le faire rimer avec « toujours » est une façon bien idéalisée de voir les choses. Il se décline aussi dans l'amour maternel qui est abordé dans « un cœur sous la cendre » à travers le personnage de deux femmes et les fantômes de leurs enfants morts. C'est l'occasion pour lui de réaffirmer l'existence de la douleur morale provoquée par un amour injustement avorté qu'on tente vainement d'exorciser. Dans ce « journal », l'auteur évoque l'avortement qui dans ce cas de figure est thérapeutique mais reste une décision essentielle pour la vie du couple, le suicide comme un moyen inefficace à ses yeux venir à bout de cette douleur, et de conclure « Toute sagesse commence par l'acceptation de la souffrance » ce qui est à la fois stoïcien et judéo-chrétien. Accessoirement, il pose aussi le problème de l'aspect comptable des soins en vigueur dans certaines démocraties et le risque de propagation de ce concept. Dans cette nouvelle, importante à mes yeux, il parle aussi de l'individu au regard d'une greffe d'organes vitaux, la vie de quelqu'un contre la mort d'un autre, l'utilité de la mort contre la vie mais aussi de l'immortalité comme un mythe inatteignable et non souhaitable. « Le chien » évoque aussi le pardon, c'est à dire peu ou prou l'aspect religieux d'un acte humain qui ainsi prendrait une dimension divine. Il conclut que « Seuls les morts ont le pouvoir de pardonner » ce qui, pour le moins, suscite la réflexion.

    C'est donc une mine d'informations érudites et un voyage original dans l'univers créatif de l'auteur auquel le lecteur est convié. Il nous avertit cependant « La littérature nous met en garde contre les idées simples » et il ne se prive pas pour aborder des sujets inattendus qui font de chacun de ses livres, au-delà de la rencontre avec un bon écrivain et de l'histoire qu'il nous fait découvrir, une invite à la méditation.

     

    J'ai toujours plaisir à lire Eric-Emmanuel Schmitt et ce recueil a été encore une fois un bon moment de lecture.

     

    © Hervé GAUTIER – Novembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • L'homme qui voyait à travers les visages

    La Feuille Volante n° 1186

    L'homme qui voyait à travers les visages Eric-Emmanuel Schmitt – Albin Michel.

     

    D'abord un attentat djihadiste comme notre société en connaît de plus en plus. Augustin, un jeune homme un peu paumé en est à la fois la victime et le témoin. C'est un SDF sans le sou, stagiaire non rémunéré à la feuille de choux locale de Charleroi. Le lecteur ne tarde pas à comprendre qu'il est un être d'exception qui voit les morts, des fantômes qui hantent les vivants et volent autour d'eux mais aussi une histoire qui se déroule un peu malgré lui et qui en fait presque un complice du terroriste...

    C'est aussi un prétexte pour réfléchir de la violence née des religions, inspirée peut-être par les dieux, si on y croit, mais surtout perpétrée par les hommes . La guerre est en effet pour eux la principale activité depuis que le monde existe et tous les motifs sont bons pour y recourir, une divinité étant, pour cela, un formidable alibi. Au fil de la lecture on découvre ce qui s'affiche tous les jours dans la presse, la radicalisation sur internet qui transforme un être parfaitement normal en terroriste avide de tuer ses semblables, le Coran à la main. Soyons juste, les hommes, au nom des « religions du Livre », le judaïsme, le christianisme et l'islam qu'on nous présente pourtant comme des religions de paix, n'ont pas fait autre chose pour justifier leur soif de mort tout en ayant soin, au nom de l'incontournable prosélytisme, que de convertir les autres hommes à l'aide de la violence et du meurtre.

    Toujours au fil de la lecture, on voit apparaître, en ce qui me concerne, à ma grande surprise, l'auteur lui-même qui se met en scène. Pourquoi pas après tout puisqu'un auteur puise dans sa vie, son expérience, sa culture, la substance même de son œuvre, mais que ce solipsisme parfaitement normal et légitime aille jusqu'à le faire apparaître lui-même sous sa propre plume, avec tout ce que cela implique de panégyrique et d'auto-encensement, j'avoue que cela me gêne un peu. A croire que toute cette fiction n'était finalement destinée qu'à cela, qu'à parler de lui, de ses livres, de son œuvre, des personnages qu'il a créés. Jusqu'à cette interview qu'Augustin mène auprès de lui, à qui il souffle les questions pour mieux donner les réponses sur la philosophie, sur Dieu, sur la foi, sur les religions et la violence qu'elles suscitent. Je passe aussi sur les morts que voit Augustin lors de cette entrevue et qui peuplent l'univers de Schmitt. On comprends très vite qu'il ne s'agit pas de n'importe qui. On voit assez de gens, même des écrivains, et pas des meilleurs, qui passent leur temps à parler d'eux, j'avoue que de la part d'Eric-Emmanuel Schmitt, cela m'a un peu agacé. Nous avons tous notre idée sur Dieu, sur son existence, sur ses silences, les injustices qu'il suscite ou laisse perpétrer, sur le merveilleux de la foi qu'il distribue d'une manière d'ailleurs discrétionnaire et qui transforme la vie des pauvres humains que nous sommes. Je ne crois vraiment pas qu'un tel roman, quelques que soient ses qualité littéraires par ailleurs, fasse beaucoup avancer les choses. Je n'ai pas été convaincu non plus par ce surréaliste dialogue avec « le grand œil », sur l''explication donnée sur l'écriture des trois grands livres sacrés, ancien et nouveau testament, coran, pas davantage d’ailleurs par l’épilogue. En revanche le thème de l'écriture par rapport à l'écrivain, la réponse à la question posée par lui « Qui écrit quand j'écris ?» m'aurait intéressé, le phénomène de l'inspiration, son avis sur le « Je est un autre » de Rimbaud, mais elle est restée en suspens.

    La quatrième de couverture fait allusion a un de ses précédent roman « La nuit de feu » qui ne m'avait pas, en ce qui concerne son message religieux, franchement convaincu (La Feuille Volante n°988). D'ordinaire j'aime bien lire Schmitt pour son style poétique, pour son talent d'écrivain, cette chronique en témoigne, mais là, j'avoue que j'ai été un peu lassé par le thème et la façon de le traiter. Je trouve cela dommage surtout que le titre était à lui seul une invitation à la lecture d'un livre qui, sous la plume de Schmitt, ne pouvait qu'être intéressant.

    © Hervé GAUTIER – Novembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • l'évangile selon Pilate

    La Feuille Volante n° 1184

    L’Évangile selon Pilate – Eric-Emmanuel Schmitt – Albin Michel.

     

    Nous avons la Vulgate, officielle et répétée à l'envi, les apocryphes ignorés par l’Église, protéiformes et révélateurs ; Eric-Emmanuel Schmitt nous convie à la lecture d'un texte qu'aurait pu écrire Pilate, le préfet de Judée qui s'est lavé les mains de la condamnation du Christ, l'abandonnant à la justice des Juifs. Pourquoi pas, puisque Jésus a suscité foi, adoration, engagement mais aussi rejet, persécutions et mises à mort de ses fidèles et donc n'a laissé personne indifférent ? En réalité ce sont deux textes, l'un qui met en scène le Christ au jardin des oliviers, qui s'exprime avant son arrestation et son exécution et l'autre où Pilate confie ses impressions sur cet homme exceptionnel.

    L'auteur nous présente un Jésus (Yéchoua) pas vraiment différent de celui dont le catéchisme et les évangiles nous ont parlé, avec seulement un rôle assez original donné à Judas (Yehoûdâh). Il est au départ un jeune homme qui ignore sa mission divine et qui la découvre au fil de sa vie, quelqu'un qui n'est ni bon charpentier ni bon croyant et qui, après sans doute avoir médité les Écritures qui annoncent sa venue comme le Messie tant attendu, un être providentiel comme l'espèce humaine en est friande, devient une sorte de célèbre SDF faiseur de miracles, délivrant son message de paix et d'amour, suivi massivement par ses disciples. Il bouscule les préceptes de la Loi, substitue sa doctrine personnelle au judaïsme, présentant Yahvé, son père, non plus comme une divinité vengeresse et inaccessible mais comme un dieu d'amour, bon et miséricordieux, ce qui, aux yeux des Juifs est un sacrilège. C'est vrai que son discours de « roi des juifs », mal compris au moment où son pays est occupé par les Romains a pu susciter des ambiguïtés chez ceux qui entendaient résister à cette puissance étrangère. Ainsi est-il. recherché pour ses pouvoirs et les espoirs qu'il suscite et poursuivi pour ses blasphèmes.

    Pour Pilate, c'est autre chose. Il ne se plaît guère à Jérusalem, regrette Rome.et décline son témoignage en de nombreuses lettres adressées à son frère Titus qui ne lui répond jamais. Pour lui Jésus est à la fois une énigme, un magicien qui faisait du bien autour de lui, qui s'est laissé arrêté et qui a accepté sa mort, quelqu’un qu'il a laissé condamner par le Sanhédrin, se lavant publiquement les mains de cette décision et qu'il a crucifié comme un voleur parce que c'était le supplice officiel des Romains, alors qu'il était convaincu de son innocence. L'auteur nous montre un Pilate perturbé par ce tombeau vide et qui veut à toute force retrouver le corps de Jésus.dont on dit partout qu'il est ressuscité, un magistrat dubitatif face à cet épisode qui a bouleversé sa vie, qui fait des supputations et craint l'imposture. Personnellement je vois plutôt ce gouverneur militaire qui doit faire régner la paix romaine dans cette lointaine province secouée par des troubles, à coup de flagellations publiques et de crucifixions, comme un fonctionnaire zélé. Jésus qui s'inscrit à l'époque dans un mouvement sectaire religieux contestataire et généralisé, a, par son enseignement original, bouleversé la Loi juive et troublé l'ordre public basé en grande partie sur des préceptes religieux, et dont Pilate est responsable. Il a simplement constaté, surtout après la libération de Barrabas, que tout cela sans doute s'inscrivait dans un contexte un peu surréaliste qui lui échappait partiellement et qu'il fallait en finir. ll a donc laissé le soin aux Juifs de condamner Jésus et l'a exécuté parce qu'il était le chef des troupes d'occupation. Ainsi est née, le nom de « peuple déicide » donné aux Juifs par les chrétiens et qui a justifié un antisémitisme longtemps entretenu. En réalité Schmitt suit les événements mais manipule les faits et les personnages, transformant avec sa talentueuse imagination d'écrivain cette histoire en un véritable roman policier avec suspense et rebondissements dont j'ai bien aimé la lecture.

     

    © Hervé GAUTIER – Novembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • L'élixir d'amour

    La Feuille Volante n° 1131

    L’élixir d'amour Eric-Emmanuel SCHMITT - Albin Michel

     

    J'ai pris ce roman sur les rayonnage d'une bibliothèque pour le nom de l'auteur et peut-être aussi pour le titre qui me semblait être tout un programme intéressant. Qu'en est-il en réalité ? C'est un échange de courriels entre Adam, resté à Paris et Louise installée à Québec. Ils ont été amants pendant cinq années, mais cette liaison qui apparemment a été passionnée est maintenant terminée et Adam souhaite qu'elle se transforme en amitié. En réponse, Louise fait allusion à cette relation à la fois sensuelle et fusionnelle mais indique qu'elle a cessé à cause des infidélités avérées d'Adam.

    C'est elle qui la première fait allusion à « l'élixir d'amour » une pièce de théâtre qui fut l'occasion de leur rencontre mais aussi le philtre qui suscite cet amour, miracle spirituel ou scientifique ? L'associe-t-elle au parfum « cuir de Russie » qui aurait des vertus aphrodisiaques ? C'est elle qui semble raccrocher cet Adam qui lui se présente comme un incorrigible Don Juan. Il prétend l'avoir trouvé à l'occasion des séances de psychanalyses qu'il conduit dans son cabinet puisque, par le processus de « transfert », il se trouve être l'objet, mais pas toujours le bénéficiaire, des pulsions amoureuses, voire érotiques, de ses clientes. Chacun file le parfait amour tout aussi passionné, elle avec un certain regret, lui avec ferveur, de chaque côté de l'Atlantique. Suivent une série d'arguments contradictoires peu convaincants et plutôt barbants, une liste d'aphorismes bien sentis et parfois pertinents où il est question d'amour, de désir, de jalousie, d'hypocrisie, de liberté d'aimer, de choisir ou d'être choisi, de destin, de hasard, de « coup de foudre », de magnétisme qui sourd du corps de l'autre ou du besoin d'amour qui tracasse, de mariage vécu comme une servitude volontaire, de serments forcément utopiques et naïfs, de chagrin, de mensonge..., autant de truismes ordinaires et largement rebattus qui  ont fait naître de ma part une foule de remarques qu'il serait inutile d'égrener ici parce que le temps n'est pas à la dissertation sur un sujet peut-être éternel mais sûrement toujours remis en question parce que l'amour est censé accompagner notre vie.

    Au bout du compte, que reste-t-il, de ce roman dont le titre promettait beaucoup ? Adam, sous des dehors conquérant, parfois un peu cynique, se révèle être une sorte de victime, sans doute assez comparable à ces femmes qu'il abandonnait lui-même après en avoir fait ses éphémères amantes. Il s'est fait posséder comme un débutant par cette Canadienne venue du froid, pour le moins inattendue et étonnante, sous des apparences très féminines. Pour le reste, cet échange épistolaire tourne à l'analyse « intellectuelle » d'une toquade vécue par chacun d'eux au présent avec, à contre-champ de souvenir de ce que fut la leur, sans doute avec une bonne dose de regrets. Ils y parlent non pas d'amour, mais « sur l'amour », affectent une sorte de détachement dans leurs propos, tentent d'analyser ou d'expliquer « le coup de foudre ». Il m'est venu l'idée que, lasse d'être trompée, Louise, non contente de quitter Adam, s'est vengée de lui avec cet épisode peut-être un peu téléguidé, de sorte de cet élixir se révèle être un poison bougrement efficace...Quant au pari de Pascal, je n'en étais pas très convaincu quand il parlait de Dieu, l'appliquer à l'amour me paraît tout aussi hasardeux.

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • LA NUIT DE FEU

    N°988– Novembre 2015

     

    LA NUIT DE FEU Eric-Emmanuel Schmitt – Albin Michel.

     

    L'auteur a alors 28 ans, en pleine recherche de sa voie entre écriture et enseignement de la philosophie, et il participe en qualité de scénariste à un projet de film sur le père de Foucault. Pour cela il se rend, avec le réalisateur dans le Hoggar sur les traces du religieux. Se joignant à un groupe de touristes d'horizons socio-professionnels différents, il effectue un parcours dans le désert et après quelques jours de marche, à la suite d'un état d’excitation extrême ou d'un caprice, se perd seul et subit une sorte de « voyage astral » d'une nuit qui lui fait approcher la mort.

    Ce titre est emprunté à Pascal qui nommait ainsi sa nuit mystique. Il parait particulièrement pertinent puisque E-E Schmitt a découvert Dieu sur le mont Tahat à cette occasion. Tous les ingrédients sont ainsi présents, le désert grandiose propice à la réflexion, l'opacité glaciale de la nuit saharienne, le scintillement de la voûte céleste, l'idée de l'infini face à sa propre fragilité, l'ascension d'une haute montagne, l'abandon de tout confort occidental, la solitude face à soi-même... Ils invitent à un retour sur soi, sur le passé personnel avec ses joies et ses peines, ses moments forts comme ses compromissions…

    De nombreuses pages, souvent émaillées de descriptions poétiques fort bienvenues, sont consacrées à des ratiocinations d'intellectuels désireux d'expliquer le monde, les hommes comme la formation de la terre et de l'univers, entre interrogations éternelles et affirmations sans cesse remises en question, humilité, curiosité et pédantisme. Cela m'a paru long. A partir de la moitié du récit, à l'invitation de la prière du Touareg accompagnateur, on en vient à un questionnement sur l'existence de Dieu ainsi que du hasard, de la mort, de la survie de l’âme... Ce sont là des thèmes récurrents que le décor particulier suscite, mais l'expérience de l'auteur, sa découverte de la foi et surtout son retour à la vie ne sont pas sans poser aussi d'autres questions existentielles pertinentes sur son destin, le choix de sa personne, les circonstances de ce qui devait être un rendez-vous avec Dieu, le hasard, l'usage qu'il fera de ce « cadeau », le message de Charles de Foucault...

    A titre personnel, je n'ai jamais voyagé dans le désert mais le hasard de mes visites dans les bibliothèques m'a fait croiser l’œuvre de Lorand Gaspar. A la lecture de ses poèmes, moi le béotien du voyage, bien campé dans mes charentaises, j'ai vraiment vu les ergs et les oasis ce qui m'a fait lui avouer humblement cette incroyable et inattendue sensation que je n'ai pas vraiment retrouver ici. Mais ce n'était pas vraiment le sujet. Quant à l'existence de Dieu qui fait l'objet d'un de mes questionnements intimes, comme sans doute nombre d'hommes, je n'ai guère avancé sur ce sujet à l'invite de ce texte. Peut-être devrais-je moi aussi répondre à cet appel du désert pour avancer sur ce thème ? Il est un fait que l'imminence de la mort incite à se rapprocher de Dieu, on ne sait jamais, surtout si on n'a guère respecté le « pari » du même Pascal. Il y a effectivement une relation entre Schmitt et l'auteur des « Pensées » qui lui aussi frôla la mort avant de trouver Dieu lors de sa « nuit de feu ». La perspective de réaliser un documentaire sur Charles de Foucault contenait sans doute en filigrane ce rendez-vous et cette révélation ? La foi est une chose qui nous est donnée, non pas qui est acquise au terme de je ne sais quelle démarche et j'ai toujours respecté ceux qui avouent être ainsi l'objet d'une telle révélation, en pensant peut-être qu'ils ont eu bien de la chance puisque, après tout, il ne faut négliger aucune aide pour supporter cette vie qui n'est pas un cadeau mais juste un prêt temporaire. Pour lui il s'ensuit une véritable béatitude que ne lui avait pas pas procuré la philosophie. Dans l'histoire, il ne manque pas de ces conversions qui, pour être intimes, n'en sont pas moins spectaculaires. Pourtant, je ne suis pas bien sûr qu'il suffise de se mettre à genoux pour croire, comme l'abbé Huvelin l'ordonna au jeune officier Charles de Foucault qui allait devenir ermite, prêcheur et « bienheureux ».

    E.E. Schmitt avait déjà abordé le thème de la mort et de Dieu dans « Oscar et la dame rose » que j'avais bien aimé (La Feuille Volante nº749). Il s'agissait d'un roman ce qui n'est pas le cas ici. Dans le domaine religieux, ce témoignage ne m'a pas convaincu, partagé que je suis, quand je referme un tel livre, entre le solipsisme et le prosélytisme mais j'ai quand même eu plaisir à le lire à cause du style de l'auteur.

     

    Hervé GAUTIER – Novembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran

     

    N°979– Octobre 2015

     

    Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran Eric-Emmanuel Schmitt – Albin Michel.

     

    Finalement il n'est pas mal ce petit, Moïse, Momo comme l'appelle Ibrahim, l'épicier arabe de la rue Bleue, le seul arabe de la rue juive. A 13 ans il casse sa tire-lire pour aller aux putes, c'est sa façon à lui d'être baptisé et d'être un homme. Il y a pire comme rite de passage même s'il se sent bien seul. C'est sans doute un peu prématuré, mais il grandit plus vite que les autres enfants de son âge, puisque son père, un avocat sans cause, est viré du cabinet où il travaille et le quitte comme sa mère et son frère l'avaient fait auparavant. Sa solitude s'aggrave encore, mais il décide de faire semblant que son père est toujours avec lui, mais quand même, c'est un sacré coup… et ce n'est que le début ! Sur les conseils avisés de son ami, il apprend même à sourire et cette arme bien pacifique se révèle efficace et lui ouvre bien des portes qui auparavant lui étaient fermées. Heureusement qu'il a M. Ibrahim qui lui donne un Coran, ce qui, à un juif, est un cadeau assez original. Ce qu'il l'est encore plus c'est que son ami arabe ne lui parle pas comme un religieux mais comme un homme simple et bon qu'il est. Momo, le juif, devient Mohammed aussi naturellement que cela.

     

    J'y ai lu une fable sur la tolérance, l'acceptation de l'autre tel qu'il est et non pas tel qu'on voudrait qu'il soit, comme un récit initiatique du passage de l'enfance à l'âge adulte, avec pas mal d'aphorismes sérieux et d'autres moins. Cela se veut drôle mais je ne suis pas bien sûr que cela le soit vraiment, à force de nous répéter que la vie est belle, qu'elle n'est pas triste (comme c'est écrit sur la 4° de couverture) on peut le croire, mais on n'est quand pas obligé parce que tout cela, c'est dans les romans seulement. C'était plutôt une bonne idée de nous raconter cette histoire en mélangeant à la fois les générations ( le vieil homme et l'enfant ) et les religions (le juif et l'arabe) mais ce conte philosophique, même s'il est plein d'enseignements et de bon sens, me paraît un peu trop optimiste, bien loin de la réalité, de la vraie vie...

     

    C'est bien écrit, agréable à lire, poétique, émouvant parfois, humoristique souvent, plein d'un espoir un peu surréaliste, une manière de leçon de vie un peu trop idyllique. Au début, je m'attendais à autre chose ... Dans cette longue nouvelle, l'auteur renoue avec le thème de la mort, celle d'Ibrahim qu'il oppose à la vie, celle de Momo. Elle continuera celle de son ami. Eric-Emmanuel Schmitt les décline dans le cadre d'une fable qui emporte l'adhésion du lecteur même s'il garde à l'esprit qu'il est dans une fiction. Personnellement, de part mon expérience, je ne partage pas sa vision de la vie, pour autant, j'ai été conquis par son talent de conteur et je continuerai à faire perdurer, dans la cadre de la découverte de son œuvre, cette agréable sensation d'être ailleurs. Cela me réconciliera peut-être avec l'espèce humaine, sinon, tant pis pour moi !

     

    J'ai abordé l’œuvre d'Eric-Emmanuel Schmitt avec « L'enfant et la dame rose » (La Feuille Volante n°749) et j'avoue que cela m'avait bien plu.

     

    Hervé GAUTIER – Octobre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • OSCAR ET LA DAME ROSE

    N°749 – Mai 2014.

    OSCAR ET LA DAME ROSE – Eric-Emmanuel Schmitt.

     

    Oscar est un petit garçon espiègle de dix ans qui est soigné dans un hôpital pour enfants parce qu’il est atteint d'une leucémie. Il se surnomme lui-même « crâne d’œuf » à cause de la chimiothérapie qui lui a fait perdre ses cheveux. De même il donne à ses copains des noms en rapport avec leur maladie, « Bacon » parce que c'est un grand brûlé, « Pop Corn » parce qu'il est énorme, « Peggy Blue » parce qu'elle a la maladie bleue... une façon comme une autre d'oublier la maladie avec l'aide de l’humour d'autant qu'il va sûrement mourir.

    Mamie-Rose c'est la bénévole qui vient lui rendre visite et qui a sympathisé avec lui. C'est une vielle dame, ex-catcheuse à ce qu'elle dit, qui revêt une blouse rose pour entrer dans sa chambre. Il l'aime plus que ses propres parents qui pourtant viennent le voir avec régularité et lui apportent des cadeaux dont il n'a que faire. Il sent qu'ils lui mentent et cela ne lui plaît guère. Pourtant ils l'aiment mais ne peuvent rien face à cette maladie qui va l'emporter. Ils se préparent à cette issue fatale sans trop le montrer à leur enfant. C'est que nous sommes dans la période de Noël, exactement douze jours avant et ce petit garçon, à l'instigation de la dame rose, entreprend d'écrire à Dieu une lettre par jour en lui demandant de venir le voir et en lui racontant tout ce qui lui arrive, une manière aussi de dérouler un compte à rebours puisque sa greffe de moelle osseuse n'a pas pris et qu'il le sait.

    C'est aussi cette même Mamie-Rose qui lui propose d'accélérer le temps et d’imaginer qu'à une journée correspond une décennie, une façon comme une autre d'avoir droit à une vraie vie, complète, comme les autres. D'ailleurs il se prend au jeu, se choisit une fiancé en la personne de « Peggy Blue », en tombe amoureux, l'épouse, se constitue une famille fictive et fait semblant de croire à tout cela même quand son « épouse » sort de l'hôpital, guérie ! Avec son stratagème du temps accéléré, ils ont passé leur vie ensemble et c'est l'essentiel. Oscar est mort pourtant parce que la maladie a été la plus forte, mais il a choisi de partir quand ses parents et Mamie-rose étaient partis boire un café, un peu comme le petit prince de Saint Ex, avec cette simple phrase comme épitaphe « Seul Dieu a le droit de me réveiller »

     

    C'est une fable, bien sûr mais elle est émouvante parce qu'il est question de la souffrance et de la mort qui sont notre lot à tous. Pourtant tout cela n'est pas triste, pas dramatique comme cela aurait pu l'être, à cause du style volontairement simple, naïf, naturel, comme celui d'un enfant. Le fait de s'adresser à Dieu à l’instigation de la vielle dame est à la fois puéril et sérieux. En contrepoint il y a la mort qui dans nos civilisations occidentales est à la fois tabou et désespérante et pourtant ce roman ne tire pas de larmes. Il est à la fois cocasse et poétique.

    Comme il le dit lui-même, la vie n'est pas un cadeau, c'est juste un prêt, nous n'en sommes que les usufruitiers alors que nous agissons comme si nous étions immortels. Il n'est pas inutile de la rappeler aussi simplement que cela.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

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