la feuille volante

Georges Simenon

  • Les volets verts

    N°1806 – Décembre 2023.

     

    Les volets verts – Georges Simenon.

     

    Emile Maugin, la soixantaine, est un acteur de théâtre et de cinéma célèbre et reconnu mais sa santé est fragile malgré sa forte corpulence, à cause des excès de boisson et d’alcove. Son médecin l’avertit d’une perspective fatale. Il se croit obligé, grâce à son succès d’être grossier et odieux avec son entourage, hommes et femmes, un peu comme s’il prenait ainsi sa revanche sur une enfance malheureuse et défavorisée au fin fond du marais vendéen. La maison aux volets verts sur la Côte d’Azur, c’est celle qu’il rêve d’acheter pour sa troisème épouse, Alice, ancienne figurante, évidemment plus jeune que lui, enceinte lors de leur mariage, mais pas de lui, et avec qui il ne parvient pas à faire un vrai couple ni une vraie famille. Cette souffrance se manifeste lors de la rencontre qu’il fait avec l’ancien amant de son épouse. Il veut la mettre à l’abri de l’avenir parce que son état de santé vacillant l’invite à faire le bilan de sa vie finissante et ce n’est guère brillant. C’est la prise de conscience d’une existence faite de fuites des lieux anciens, des gens qu’ils a connus et peut-être de lui-même, d’excès en tout genre et maintenant d’une obsession de la mort et c’est à la suite d’un accident stupide qu’elle aura raison de lui. Ses félures, sa solitude se révèlent tout au long de ce roman et notamment dans ce retour sur lui-même qu’il fait à l’occasion de la visite à son ancien compagnon de planches qui lui n’a pas connu le succès. Dans cette circonstance, il revient sur son passé, sur tous ceux qu’il a croisés, comme une sorte de « jugement dernier », avec, en arrière-plan la douleur et la culpabilité qui le gagnent.

     

    C’est la fin de vie d’un acteur de renom, coincé entre son succès et une enfance désastreuse, son mépris des gens et la peur de sa propre disparition. Ce roman est paru en 1950 et le rôle d’Emile n’a évidemment pas été écrit pour Gérard Depardieu même s’il l’interprète magistralement dans le film de Jean Becker qui s’inspire librement du roman et qui est servi admirablement par son talent, celui de Fanny Ardant et de Benoît Poelvoorde. Il y a bien des similitudes entre ces deux personnages, celui de la fiction et celui de Depardieu, monstre sacré dont les outrances, les frasques et la conduite souvent révoltante traduisent sûrement une forme de fuite mais peut-être aussi la certitude intime que son talent et son succès l’autorisent à penser que tout lui est dû et que tout lui est permis. L’admiration qu’on peut avoir pour le parcours et le talent de l’acteur trouve ici ses limites. Il reste que je suis étonné par le destin de cet homme qui aurait pu être un minable délinquant et à qui la chance a fait rencontrer des personnes influentes qui ont cru en lui et ont ainsi donné un nouveau souffre à sa vie. Destiné, liberté, baraka, allez savoir ?

     

    Simenon ne se résume pas seulement à Maigret. Ce livre vient s’ajouter à tous ceux où l’auteur analyse l’âme humaine avec tous ses replis et tous ses travers, ce qui fait de lui un romancier d’exception.

     

  • Le relais d'Alsace

    N°1788– Octobre 2023

     

    Le relais d’Alsace – Georges Simenon – Fayard.

     

    Monsieur Serge est un pensionnaire énigmatique du « Relais d’Alsace » située près de l’ancienne frontière franco-Allemande après la Première Guerre mondiale. Il est soupçonné par le commissaire parisien Labbé d’’être « Le Commodore », un escroc international, mais le policier n’est sûr de rien tant M. Serge donne de lui une image de citoyen tranquille.

    C’est vrai que son attitude prête à confusion, il n’a pas d’argent, puis après qu’un vol a été commis dans l’hôtel d’en face il revient au matin et paie ses dettes. Dans la relais d’Alsace, parmi le flot des touristes, la vie continue la veuve Meurice vit avec sa fille Hélène, tuberculeuse dans un chalet à proximité et on soupçonne M. Serge de s’y intéresser. Il sera meurtri d’apprendre que Mme Meurice veut vendre son chalet pour une somme dérisoire à un riche brasseur du coin et envisage même de l’épouser. Le mystère s’épaissit autour de M. Serge, de sa véritable identité et des billets volés ...retrouvés maculés de graisse !

    D’ordinaire j’aime bien lire Simenon et j’apprécie l’ambiance de suspense tissée dans chacun de ses romans. Portant ici, je suis assez peu entré dans cette histoire un peu rocambolesque de sosie, d’argent volé qui ne l’était pas et de ce M . Serge qui, près une vie mouvementée revient sur les lieux de son enfance.

    N°1788– Octobre 2023

     

    Le relais d’Alsace – Georges Simenon – Fayard.

     

    Monsieur Serge est un pensionnaire énigmatique du « Relais d’Alsace » située près de l’ancienne frontière franco-Allemande après la Première Guerre mondiale. Il est soupçonné par le commissaire parisien Labbé d’’être « Le Commodore », un escroc international, mais le policier n’est sûr de rien tant M. Serge donne de lui une image de citoyen tranquille.

    C’est vrai que son attitude prête à confusion, il n’a pas d’argent, puis après qu’un vol a été commis dans l’hôtel d’en face il revient au matin et paie ses dettes. Dans la relais d’Alsace, parmi le flot des touristes, la vie continue la veuve Meurice vit avec sa fille Hélène, tuberculeuse dans un chalet à proximité et on soupçonne M. Serge de s’y intéresser. Il sera meurtri d’apprendre que Mme Meurice veut vendre son chalet pour une somme dérisoire à un riche brasseur du coin et envisage même de l’épouser. Le mystère s’épaissit autour de M. Serge, de sa véritable identité et des billets volés ...retrouvés maculés de graisse !

    D’ordinaire j’aime bien lire Simenon et j’apprécie l’ambiance de suspense tissée dans chacun de ses romans. Portant ici, je suis assez peu entré dans cette histoire un peu rocambolesque de sosie, d’argent volé qui ne l’était pas et de ce M . Serge qui, près une vie mouvementée revient sur les lieux de son enfance.

     

  • Sept petites croix dans un carnet

    N°1785– Octobre 2023

     

    Sept petites croix dans un carnet – Georges Simenon- Presse de la Cité.

     

    En cette nuit de Noël, l’inspecteur André Lecoeur, téléphoniste au commissariat central de Paris, scrute le plan de la capitale où clignotent de petites lumières pour signaler les accidents. Il a été intrigué par quelqu’un qui, tout au long de la nuit, a brisé les glaces des bornes de police-secours. Cela semble être un enfant mais au matin on a perdu sa trace. Dans le même temps une vieille femme a été assassinée à son domicile. Ce meurtre fait suite à une série d’autres consignés consciencieusement par l’inspecteur dans son petit carnet.

    Il ne fallut pas longtemps à Lecoeur pour comprendre que le garçon ne pouvait être que son neveu et dès lors c’est toute une histoire de famille qui ressurgit avec ses non-dits, ses secrets et ses révélations. L’intuition de l’inspecteur, digne d’un enquêteur de la PJ , a cependant été la bonne et dans un Paris un peu glauque une traque s’engage,

     

    L’œuvre de Simenon ne se résume aux enquêtes de son commissaire préféré. Cette nouvelle policière est parue dans un recueil intitulé « Un Noël de Maigret » en 1951.

     

  • La chambre bleue

    N°1742 – Mai 2023

     

    La chambre bleue – Simenon – Presses de la cité.

     

    C’est une histoire assez banale au départ, un homme, Tony, rencontre une femme, Andrée, et ils se retrouvent dans une chambre d’hôtel pour des étreintes furtives et frénétiques. Ce qui l’est un peu moins c’est que ces amants, la trentaine, mariés mais chacun de leur côté, sont convoqués devant la justice, pas pour le prononcé d’un divorce mais devant la Cour d’Assises avec instruction, décorum, ministère public, psychiatres et jurés, leurs conjoints respectifs ayant trouvé la mort dans des circonstances troublantes qui ont intrigué les habitants manifestement au courant de cette liaison. Lui, il est plutôt bel homme, assez volage, du genre « donnaiollo »comme disent si joliment nos amis Italiens et ce qui l’intéresse c’est surtout assouvir ses désirs sexuels. Elle, mariée à un triste et valétudinaire épicier de son village est fascinée par son amant et veut refaire passionnément sa vie avec lui, ce qui n’emballe guère Tony, attaché malgré tout à sa famille, plus par tradition que par amour. Il voulait bien d’Andrée comme maîtresse, mais pas comme conjointe, mais elle voyait les choses autrement avec lettres anonymes et rendez-vous convenus. C’est ainsi lui qui décide de mettre fin à leur aventure d’à peine un an. Le mensonge qu’il a toujours pratiqué avec sa naïve et douce épouse, il l’adopte à nouveau avec son amante et même avec le juge qui éprouve pour lui une certaine sympathie et qui tente de cerner sa personnalité mais les aveux d’Andrée sont révélateurs et le piège se referme.

    C’est le type de roman psychologique dans lequel Simenon excelle et qui ne doit rien au commissaire Maigret. Les scène érotiques sont à la mesure de la passion éprouvée par Andrée. Ce genre de situation ne se rencontrent pas que dans les romans puisque l‘amour, qu’on fait, Dieu sait pourquoi, rimer avec « toujours », n’a pourtant rien de définitif dans un couple à cause des rencontres, des tentations, des illusions, de l’usure des choses, de l’ennui qui s’installe, des trahisons, des humiliations, des déceptions... Le fait de faire durer le mariage ne tient souvent qu’à des raisons financières, sociales ou religieuses et si le bonheur qui est une aspiration légitime n’est pas toujours au rendez-vous, il est toujours tentant de peser illégalement sur le cours des événements. L’auteur fin spécialiste de la psychologie humaine ne pouvait passer à côté de cela.

    Le suspense est entretenu avec les lettres laconiques mais parlantes qu’Andrée adresse à Tony et on ne sait pas très bien s’il est acteur de ce drame ou victime des circonstances.

    J’ai lu ce roman sans désemparer tant il est bien écrit et passionnant. Paru en 1964 il a fait l’objet d’une adaptation cinématographique éponyme par Mathieu Amalric en 2014 .

  • le baron de l'écluse

    N°1681 – Octobre 2022

     

    Le baron de l’écluse ou la croisière du Potam – Simenon .

     

    Dossin une sorte d’aventurier flambeur et parasite qui s’affuble du titre de baron, amarre son petit yacht près d’une écluse du canal de la Marne à la Saône en direction de la Côte d’Azur. Il n‘a plus d’essence et surtout plus un sou, manger devient une nécessité et le mandat télégraphique qu’il attend n’arrive toujours pas. Lola, celle qui l’accompagne, finit par le quitter.

    Le titre de baron, son monocle et son yacht impressionnent les gens du coin mais pas Maria, la tenancière du café-épicerie qui trouve Dossin à son goût. Lui c’est un flambeur qui ne paie jamais ses dettes mais il hésite à profiter de Maria et à se fixer ici avec elle et changer de vie. Finalement, après quelques jours, le mandat attendu arrive, il paie sa note et part vers sa destination, avec quelques regrets quand même.

    Simenon, ce n’est pas seulement les romans policiers où règne le commissaire Maigret, c’est aussi un romancier et un nouvelliste. Ici ces quelques pages parues en 1940 dans un hebdomadaire puis chez Gallimard en 1954 dans un recueil intitulé « Le bateau d’Emilie » ont inspiré Jean Delannoy qui en 1960 a mis en scène, dans un film éponyme en noir et blanc, une adaptation de Maurice Druon avec des extraordinaires dialogues de Michel Audiard, Micheline Presle et Jean Gabin. Ce dernier est toujours baron, désargenté et joueur invétéré mais chanceux et campe un aristocrate haut en couleur. Celui qui était capable, avec le même talent de jouer un flic ou un voyou, un noble ou un prolétaire, un notable ou un quidam, donne au personnage du « baron » une autre dimension.

  • Le chat

    N° 1539 – Mars 2021

     

    Le chat – Georges Simenon – Presse Pocket

     

    Y a-t-il jamais eu de l’amour, le vrai, celui qui bouleverse les vies et parfois les ruine, entre Émile et Marguerite, ces deux veufs sans enfant, d’un âge avancé, récemment mariés ? C’est le hasard qui a favorisé leur rencontre et ils se sont unis sans vraiment se connaître, chacun avec son histoire d’avant, davantage pour assurer mutuellement leurs vieux jours et exorciser leur solitude que pour vivre une belle histoire, mais très tôt l’incompréhension, la haine se sont installées entre eux, pourrissant leurs relations, faisant d’eux un vieux couple qui remâche les souvenirs embellis de leur ancien conjoint, entretient des querelles mesquines et des rancœurs tenaces qui petit à petit se transforment en une haine recuite, des suspicions irrationnelles et une guerre sourde. Ils venaient certes de milieux sociaux différents, lui ancien ouvrier bourru sans beaucoup d’éducation et un peu alcoolique, elle, délicate et fragile, issue d’un milieu bourgeois propriétaire et cultivé, mais cette union bancale qui perdure cependant pour des raisons probablement religieuses s’est vite transformée en un abîme et un conflit permanent avec silences, hypocrisies, mensonges et méfiance réciproque, un peu comme s’ils s’étaient rencontrés pour mieux se détruire l’un l’autre, ce qui transforme leur quotidien en une lutte de tous les instants. Ils ne se parlent que par petits papiers, ce qui aggrave leur isolement, refusant d’admettre qu’ils se sont trompés sur leur mariage mais refusant cependant d’y mettre volontairement un terme et s’en remettant au hasard et à l’éventualité de la mort prochaine de l’autre, sans bien entendu la favoriser. Alors face à l’inaction de la retraite chacun tente de s'habituer et reporte son affection sur un animal, pour lui un chat qu'il accuse Marguerite d'avoir empoisonné et pour elle un perroquet jadis martyrisé par Émile et maintenant empaillé. Ces deux animaux sont le catalyseur de leur agressivité réciproque qui confine parfois à des délires obsessionnels. Entre eux on n'entend que le cliquetis du tricot, les pages du journal qu'on tourne, la pendule qui égrène ses secondes et deux vies où l’on s’ignore, qui s'écoulent parallèles et isolées, bien que vécues dans un même lieu au quotidien. Le temps qu’on use comme on peut, dans une atmosphère délétère de la destruction du quartier pour édifier de nouvelles tours.

    Simenon ne peut se résumer à Maigret, même si l’exercice du métier de policier met ce dernier en situation d'observer l'espèce humaine dans ce qu'elle a de plus sombre. Ici notre auteur choisit le couple qui est probablement, quelque soit la forme qu'il prend aujourd’hui, un point de passage obligé dans la vie de chaque être humain avec ses espoirs, ses illusions, ses déconvenues. Il est rare que ce soit une réussite parfaite et cela se transforme souvent en une longue période de compromis permanents où la patience, la jalousie, l’hypocrisie et l’adultère ont leur place, même si actuellement les mariages se terminent de plus en plus tôt par des divorces. A cette époque, pour des raison religieuses, morales financières ou sociales, on avait tendance à laisser les choses en l'état, en prenant parfois quelques libertés pour tromper un ennui qui s’installait durablement et on attendait patiemment que l'autre meurt en s'inventant une autre vie pour après. C‘est aussi l’occasion de faire le bilan de son couple, de refaire le chemin à l’envers, ce qui donne parfois le vertige à cause du temps qui passe si vite et de la certitude de la mort qui guette, de prendre conscience de ce qu’on a dit ou fait jadis pour en arriver là et que maintenant on regrette. On pense ce que l’on veut du mariage, l’amour s’il existe au début dans un couple, ne tarde pas à s’éroder et à laisser place à de mélancoliques compromissions, à des vies juxtaposées où on s’épie jusqu’à la fin.

    Ce roman a fait l'objet d'un film de Granier-Deferre, une adaptation fidèle à l’esprit du roman et qui met en scène deux «  monstres sacrés  » du cinéma français des années 1970, Simone Signoret et Jean Gabin. [Je me souviens que lorsque, enfant, j'ai entendu pour la première fois ce terme que je n'ai évidemment pas compris, mon imagination à divagué entre les mystères de la religion et la féerie des contes]. Simenon est, comme toujours, un témoin attentif de la nature humaine, ses observations pertinentes et son style simple et clair, plein de suspense ont transformé cette rencontre en un bon moment de lecture.

     

     

  • la boule noire

     

    L A F E U I L L E V O L A N TE

    La Feuille Volante est une revue littéraire gratuite créée en 1980. Elle voyage maintenant sur internet.

     

    N°869– Février 2015

     

    LA BOULE NOIRE Georges Simenon – Le livre de Poche.

     

    Nous sommes dans une petite ville des États-Unis dans les années 50. Walter Higgins y mène une vie paisible de père de famille nombreuse et de directeur de supermarché. Il s’implique même à titre bénévole dans divers activités au profit de la collectivité. Bref, c'est quelqu'un dont on peut dire qu’il a réussi socialement et qu'il est heureux dans cette vie autant qu'on peut l'être et que c'est un type bien. A un détail près cependant, il s'est mis dans la tête d'être membre de Country Club, une association locale de notables qui rejette systématiquement sa candidature sans raison apparente et le fait à travers un vote anonyme qui se manifeste par la présence d'une seule boule noire déposée dans l'urne le soir du scrutin. Il n'a pourtant rien de commun avec ce club mais son appartenance consacrerait sa réussite. Ce refus, manifesté pour la deuxième année bouleverse Higgins. C'est peut-être pour lui plus qu'une question de principe puisque même au pays du rêve américain où la réussite personnelle est célébrée comme une vertu, il lui semble que ce qu'on lui reproche ce sont ses origines pauvres, son père absent sa mère alcoolique, destructrice et délinquante. Pour en être arrivé là, il a dû gravir tous les échelons d'une société qui ne lui avait pas fait de cadeaux puisqu'il était parti de rien. Si on lui a confié la direction du magasin, c'est qu'il avait fait ses preuves, débutant comme livreur. En lisant cela le lecteur songe immanquablement à un paranoïaque qui rejoue la grande scène du complot. C'est pour lui tellement révoltant qu'il veut tuer les membres de ce club qui lui refusent l'entrée. Pire peut-être, il découvre qu'au sein de ses activités bénévoles où il s'impliquait pourtant beaucoup, son avis importe peu et on le tient pour rien. Il démissionne donc même si cela peut avoir des conséquences sur son chiffre d'affaires et sur sa situation. Pourtant cette histoire d’appartenance à ce club n'a vraiment aucune importance mais il le vit comme quelque chose d'injuste. Le déroulé des événements le fait pour autant revenir à une réalité plus terre à terre, le fait grandir, lui fait prendre conscience des choses et les relativiser.

    J'observe quand même que Higgins a bénéficié du soutien sans faille de sa famille et de ses employés, ce qui se révèle à la fois rassurant et salvateur dans une situation qui aurait pu devenir criminelle. Pourtant quand on a le sentiment d'être exclus d'un groupe et en ressent une certaine solitude.

    Cette histoire de boule noire a probablement une dimension maçonnique, le terme blackbouler vient de là. Mais au-delà de cette remarque qui ne trouve pas ici sa véritable résonance, ce roman, écrit dans les années 60 prend une dimension très actuelle. Il nous est tous arrivé, dans notre vie familiale ou professionnelle d'être l'objet d'injustices qu'aucune raison ne motivait. Elles nous étaient infligés discrétionnairement soit par quelqu’un qui ne nous aimait pas ou ne nous aimait plus, soit par simple jalousie. En tout cas, la personne qui faisait ainsi acte de malveillance avait une volonté farouche de nous faire du mal, de nous détruire, d'autant plus forte qu’elle ne reposait sur rien d'autre que sur cette faculté de profiter d'une situation de supériorité supposée et parfois temporaire, basée sur la fortune, la position sociale ou hiérarchique. Le pire sans doute était la lâcheté puisque cette situation délétère était couverte par l'anonymat, l'hypocrisie, la mauvaise foi...

     

    Simenon, ce n'est pas seulement les romans policiers où le commissaire Maigret exerce avec talent son pouvoir de persuasion, de déduction et démasque à chaque fois le coupable. J'ai dit dans cette chronique combien j'aimais cette ambiance un peu glauque tissée dans cette série. C'est aussi un écrivain de romans psychologiques et je suis entré, pour des raisons personnelles sans doute, dans ce processus qui m'a parlé d'autant plus que le style est fluide, agréable à lire.

     

    Ce roman a été adapté pour le télévision dans un film de Denis Malleval (2014) diffusé sur France 3 le mercredi 17 février 2015. Le comédien Bernard Campan, qu'on connaissait dans un tout autre registre, donne ici toute sa mesure dans cette dramatique.

    ©Hervé GAUTIER – Février 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • Le petit homme d'Arkhangelsk

    La Feuille Volante n° 1145

    Le petit homme d'Arkhangelsk – Georges Simenon. Presse de la cité.

     

    Ce roman a été publié en 1956 et c'est l'histoire d'une mésentente conjugale comme il en existe beaucoup. C'est quelque chose de très actuel puisque de nos jours à peu près deux mariages sur trois se terminent par un divorce et qu'il vaut mieux tenir les serments de fidélité échangés lors de la cérémonie à la mairie et à l'église pour du folklore, tant les époux s'empressent de les trahir sans vergogne. L'espèce humaine est ainsi faite, nous en faisons tous partie et nous n'y pouvons rien. Ce roman met en scène Jonas Milk, 40 ans, un petit commerçant d'origine russe, naturalisé français, timide et effacé. Il tient une boutique de philatéliste et de bouquiniste sur la place du Vieux Marché d'une petite ville du Berry. Il a épousé Gina Palestri, 24 ans, sa jeune et belle femme de ménage parce que la solitude lui pesait et aussi pour lui procurer une certaine tranquillité. Bien entendu ils n'ont pas d'enfants et peu d'occasions de coucher ensemble. Ce genre d'union est vieille comme le monde, porte en germe sa propre destruction, et en deux ans de mariage, Jonas qui tient à sa femme, lui pardonne tout, même ses infidélités. Bien sûr la différence d'âge prête aux plus faciles plaisanteries assorties de sourires sous cape et quand Gina disparaît une nouvelle fois et qu'on lui demande où elle est, il répond qu'elle est à Bourges où elle va parfois. Sauf que cette fois elle est partie en dérobant des timbres de prix et qu'elle ne reviendra pas. Alors qu'il aurait pu être l'objet de soutien dans cette épreuve, une sorte d'ambiance délétère se noue autour de lui, lui faisant sentir que, contrairement à ce qu'il avait cru en venant ici, il reste un étranger et les nombreuses contradictions auxquelles il doit faire face donnent à penser qu'il s'est débarrassé de son épouse. Il est tellement désespéré face à cette rumeur et malgré un témoignage spontané qui l’innocente, qu'il ne supporte plus sa vie.

    Ce roman psychologique nous présente un Simenon bien différent de l'auteur des Maigret. J'ai retrouvé certes son style fluide et agréable à lire mais cette œuvre nous rappelle qu'il a aussi été un observateur très fin de condition humaine, hors des ouvrages à caractère policier qui ont fait sa notoriété. Nombre de ceux-ci ont fait l'objet, et avec bonheur, d'adaptations cinématographiques et théâtrales ; cette chronique s'en est déjà largement fait l'écho. Un film a même adapté ce roman en 2006 ( « Monsieur Joseph », réalisé par Olivier Langlois). Ici Joseph est un petit commerçant solitaire, musulman non pratiquant et qui a francisé son prénom de Youssef pour mieux se faire accepter dans cette petit ville dont il croit, après tout ce temps, faire partie. Même si les personnages et la localisation géographique sont différents, ce long métrage est fidèle à l'esprit du texte de Simenon et rend bien, autour du personnage de Joseph, cette ambiance, d'abord légère et assortie de sous-entendus un peu salaces à propos de la fidélité de sa jeune épouse, puis franchement hostile quand la rumeur enfle et fait de lui un potentiel assassin de la jeune femme. Il n'est plus le cocu dont tout le monde se moquait mais devient un meurtrier dont tout le mode se méfie. Il est dès lors rejeté comme un étranger et se sent impuissant face à cette réaction. Daniel Prévost qui a eu une carrière de comique, est dans ce rôle, particulièrement émouvant et a sans doute trouvé là sa véritable voie. J'avais fait la même remarque à propos de Bernard Campan incarnant aussi un homme victime de la malveillance, dans un roman du même Simenon (« La Boule noire »- La Feuille Volante n° 869). Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Daniel Prévost incarne dans ce film un homme issu du mariage entre une française et un algérien puisqu'il est lui-même le fruit d'un tel métissage. C'est aussi un roman et un film très actuels qui illustrent, outre l'infidélité conjugale, le rejet de l'autre qui ne nous ressemble pas et met en échec le « vivre ensemble » dont je ne suis pas sûr qu'il perdure longtemps dans la climat d'insécurité dû aux attentats à caractère religieux et ethniques que nous vivons actuellement.

    © Hervé GAUTIER – Juin 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • JUSQU'A L'ENFER

     

    N°949– Août 2015

     

    JUSQU'A L'ENFERTéléfilm de Denis Malleval (2009). rediffusion 7 Août 2015 -France 2

    Adaptation d'un roman de Georges Simenon «  La Mort de Belle »

     

    Simon Andrieu (Bruno Solo) est professeur de mathématiques dans un lycée d'Orléans. Bien  que d’origine modeste, ses parents étaient boulangers à Châteauroux, il s'est marié avec Christine (Delphine Rollin) dont le père était professeur de médecine. Il l'a sans doute rencontrée à l 'université et ses amis se demandent encore pourquoi elle a bien pu le choisir comme mari, alors qu'elle devait être courtisée par nombre de jeunes hommes plus fortunés et plus en vue. Par le miracle de l'amour sans doute, on peut dire que Simon a fait un riche mariage. Ils forment ensemble un couple bizarre et sans enfant malgré la quarantaine. La fortune et les relations de Christine leur permettent d'avoir un certain train de vie, de faire partie des notables de la ville et ils fréquentent volontiers le Procureur, des avocats, des médecins… Simon ne se sent pas pour autant intégré dans ce milieu où il n'a pas sa place et où il n'est pas vraiment accepté ; Christine aime sortir avec des amis mais lui préfère la solitude alcoolique, s'enferme volontiers dans son bureau qui est aussi son terrain de jeu puisqu'il y joue au train électrique. Cette activité est souvent l'apanage d'anciens cheminots mais dans son cas c'est plutôt la marque d'une volonté de retrait du monde dans lequel il vit, comme quelqu’un qui voudrait rester dans sa bulle, dans son enfance. De l'enfance justement, il garde la timidité, l’inhibition, surtout vis à vis des femmes, ses voisines, ses jeunes et belles élèves, les passantes qu'il croise dans la rue. Avec elles il vivrait volontiers une passade ou une liaison, mais il n'ose pas à cause d'un traumatisme qui remonte à son adolescence. Il les regarde de loin, sans oser les toucher. Cette névrose se retrouve dans leur vie de couple où ils semblent mener deux existences juxtaposées, quotidiennes, domestiques, sans véritable passion et l'amour, s'il a existé entre eux au début, n'est plus qu'un lointain souvenir Cette oppressante ambiance traduit l'enfermement qui est celui de Simon, à la fois dans dans sa vie au jour le jour et en lui-même.

     

    Un soir que sa femme est sortie sans lui, alors qu'il a préféré la correction de ses copies, sa bouteille de whisky et son jeu de train favori, une jeune anglaise, Belle Sherman, que le couple héberge par complaisance, est retrouvée morte dans sa chambre. Commence une enquête judiciaire où les soupçons se portent évidemment sur lui, surtout pour ses voisins, ses collègues et la presse mais ses relations semblent le protéger pour un temps, d'autant que les investigations piétinent … C’est l’alcool qui précipitera les choses, leur donnant un épilogue inattendu.

     

    J'ai retrouvé dans cette œuvre, écrite en 1952 aux États-Unis, toute l'ambiance distillée d'ordinaire dans les romans de Simenon, l'analyse psychologique des personnages, leurs démons intérieurs, leurs fantasmes, leurs fêlures... En matière de romans policiers, je les préfère et de loin à ce qu'on peut voir actuellement où des scènes de violence, de sexe et de destruction, d'hémoglobine, sont l’ordinaire de ce genre de littérature.

     

    J'ai particulièrement apprécié le personnage campé par Bruno Solo qui nous a plutôt habitués à des rôles plus plus légers et comiques. C'était sans doute là un défi intéressant pour lui mais il donne ici toute la mesure de son talent dans ce rôle dramatique. J’avais d'ailleurs fait la même remarque à propos de Bernard Campan (La Feuille Volante nº 869) dans « La Boule noire », une autre adaptation d'un roman de Simenon par Denis Malleval.

     

    Hervé GAUTIER – Août 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LETTRE A MON JUGE

    N°857 – Janvier 2015

    LETTRE A MON JUGE– Georges SimenonÉditions Rencontre.

    L'envie m'est venue de lire ce texte à la suite de l'écoute un peu hasardeuse, à la radio, de l'intervention du comédien Robert Benoît à qui Georges Simenon avait, quelques mois avant sa mort, donné gratuitement la possibilité d'adapter ce roman à la scène sous forme de monologue. Cette adaptation a été donnée en 2008 au théâtre du Lucernaire. Il s’agit d'un roman épistolaire écrit en 1947 quand il rencontre celle qui deviendra sa seconde épouse et dont il tombe fou amoureux.

    Depuis la prison où il est incarcéré pour le meurtre de sa maîtresse, Martine, le docteur Charles Alavoine, ex-médecin à La Roche sur Yon, installé ensuite dans le région parisienne, écrit à son juge d'instruction. Bizarrement cette longue missive est le pendant d'une instruction et d'un procès pendant lesquels il s'est assez mal défendu. Nous sommes dans les années 50 et il éprouve le besoin d'expliquer son geste qui effectivement est sans raison apparente. Son enfance a été gouvernée par une mère abusive qui, une fois qu'il est devenu médecin, continue de vivre dans la famille qu'il forme avec sa première femme et ses deux filles. Devenu veuf, il épouse Armande, une jeune veuve qui va bientôt se révéler aussi autoritaire que sa mère. Par hasard, 10 ans après, Charles rencontre Martine qui devient sa maîtresse et son assistante. Fou amoureux d'elle, il se montre jaloux, la bat puis l'étrangle. Il choisira la mort dans sa prison.

    Tout d'abord le narrateur s'adresse au juge en lui disant « Mon juge » comme on aurait dit « mon ami ». Cette forme de « familiarité » annonce sans doute le dénouement puisqu'il choisit de confier au magistrat ce qu'il n'a pas dit auparavant alors que tout est décidé pour lui. C'est aussi une manière de refuser l'opprobre d'une exécution. Ce roman n'est pas un polar. Il n'est pas besoin d'un commissaire Maigret pour dénouer les fils d'une énigme compliquée. Charles a avoué avoir tué sa maîtresse et qui plus est s'est mal défendu, un peu comme s'il recherchait sa mort. C'est certes un drame passionnel qu'à l'époque les tribunaux acquittaient lorsque le mari trompé tuait son épouse adultère. Ici, tel n'est pas le cas et Charles tue Martine par jalousie à cause des hommes qu'elle a connus avant lui. Son geste est d'autant plus inexplicable qu'il vit avec elle une vie apparemment sans histoire. Tout cela semble se passer dans sa tête mais il réclame à son juge de n'être pas considéré comme un fou, même s'il voyait dans cette Martine une femme double dont la personnalité et la vie antérieure l'obsédaient au point qu'il ne puisse pas les supporter. Ainsi, en tuant sa maîtresse, il tuait celle qui avait vécu avant lui. Autant dire que cette femme, trop maquillée, trop aguicheuse peut-être dans sa vie d'avant lui l'agaçait. Même si la question qui peut être posée est «  peut-on tuer par amour ? », même si pour un homme, être le premier dans la vie intime d'une femme est un fantasme, cela excuse-t-il le meurtre de cette dernière ? l'avocat a dû avoir du mal à défendre ce client, même s'il insiste sur le fait que la mort l'a serré vraiment de très près, celle de son père d'abord, suicidé, celle de sa première femme ensuite et ce n'est sans doute pas sans raison qu'il choisit la sienne. Il aurait pu plaider l'importance du hasard ou du poids de la solitude, de celui de la vie qu'il ne supportait plus sans Martine même si son existence antérieure où il n'était pas était pour lui insupportable... Charles est un faible, ballotté par les femmes mais c'est aussi, à l'exemple de ses propres parents, un être excessif, outrageusement possessif. Sa profession de médecin, à l'instigation de sa mère, vise surtout à le faire sortir de sa situation de fils de paysan, il devient ainsi notable, quelqu'un d'important qui peut ainsi avoir des exigences. Pourtant la mariage ne lui réussit guère, sa première femme meurt et la deuxième se révèle aussi autoritaire que sa mère. Il n'y a qu'une véritable femme dans sa vie, Martine, même s'il lui est arrivé de tromper ses épouses successives avec d'autres femmes, ce ne furent que des toquades, des opportunités qu’il n'a pas voulu laisser passer, rien de plus. Cette soudaine ingérence de l'amour-passion dans la vie de Charles qui ne l'avait guère connu auparavant a été à la fois une révélation et une révolution mais sa jalousie a précipité son geste meurtrier. Tels sont les arguments qui ont dû se bousculer dans la tête des jurés dont je n'aurais sans doute pas voulu faire partie.

    Simenon ce n'est pas qu'un auteur de romans policiers. Quand il choisit comme ici de faire dans le drame psychologique, il est bien meilleur et son style est toujours aussi agréable à lire.

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES ANNEAUX DE BICETRE – Simenon

     

    N°389– Janvier 2010.

    LES ANNEAUX DE BICETRE – Simenon (1962).

     

    René Maugras est ce qu'on appelle un grand patron de presse, un homme qui parle avec les ministres et les responsables politiques, quelqu'un d'important, de décoré, un notable... Au cours d'un déjeuner pris avec des avocats et des médecins, des académiciens, il est victime d'une attaque et repose maintenant sur un lit d'hôpital à Bicêtre et il ne peut plus ni parler ni bouger.

    Lui qui était puissant, respecté, considéré, craint même, n'est à présent plus qu'une masse inerte, un hémiplégique. Il voit le monde depuis la position allongée et ne le domine plus comme avant, il le perçoit différemment. Bizarrement, il n'en est pas mécontent et c'est pour lui une prise de conscience, à cinquante cinq ans, de ce qu'est véritablement le décor qui l'entoure et que sa position sociale lui avait peu à peu masqué. Il rencontre certes les médecins qui l'entourent, qui sont ses amis et qui donc vont tout faire pour le guérir, mais aussi les soignants du service, simples agents anonymes qui s'occupent de lui, aperçoit, même s'il en est séparé par les cloisons de sa chambre particulière, les autres malades. Maintenant, il ne reste plus rien du grand personnage qu'il était auparavant. Il parvient même à porter de l'attention, voire des idées quasi-charnelles pour l'infirmière de nuit qui dort à côté de son lit.

     

    On ne réussi pas comme il l'a fait, dans cette société, sans compromissions ni trahisons. Son immobilité et peut-être l'éventualité de sa mort prochaine, font qu'il repense à ses amis disparus, qu'il repasse sa vie, se remémore ce qu'elle a été, laborieuse, hasardeuse mais finalement réussie, du moins au sens des critères sociaux et mondains. Il a peut-être eu de la chance! Ses origines modestes, ses deux mariages, sa fille infirme, née d'une première union et dont il ne s'est que très peu occupé, ses débuts dans l'existence, le fantôme de toutes les femmes qu'il a croisées... Ce séjour à l'hôpital l'amène à renouer avec sa deuxième épouse, Lina, qu'il avait entraînée dans une vie mondaine et artificielle, au service de sa réussite personnelle et qu'il n'a jamais fait l'effort de comprendre. Avec lui, elle n'est pas vraiment à sa place, à cause sans doute de ses origines populaires et a trouvé dans l'alcoolisme une compensation. C'est aussi l'occasion pour lui d'une introspection au terme de laquelle il reprend goût à la vie, à travers des mots jetés sur un petit agenda, la tentation de la solitude, une sorte de seconde naissance et il recouvre petit à petit l'usage de ses membres et de la parole.

     

    Les anneaux, c'est comme des cercles concentriques que fait dans l'air le son des cloches (titre originel du livre). C'est bien l'idée de la mort qui plane sur ce livre.

    Cet ouvrage retrace une affection dont a été victime l'auteur lui-même. Il tire donc de son expérience personnelle le sujet de ce livre. Le temps exceptionnellement long que Simenon a pris pour l'écrire, ce qui est rare pour lui, indique sans doute qu'il s'est lui-même beaucoup impliqué dans cette rédaction.

    J'ai eu quelques difficultés à entrer dans cet univers. J'en garde une impression mitigée.

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE FOND DE LA BOUTEILLE – Georges SIMENON

     

    N°382– Décembre 2009

    LE FOND DE LA BOUTEILLE – Georges SIMENON – Éditions Belfond..

     

    Un roman de Simenon reste une œuvre de suspense, même si le commissaire Maigret n'y est pas.

     

    C'est toujours pareil, dans chaque famille il y a un raté dont les autres membres, ceux qui ont réussi, parlent à voix basse, avec un air gêné ou compatissant... Mais les histoires de famille n'en finissent jamais et ce sont toujours les mêmes qui viennent demander des comptes parce qu'ils ont été les mal aimés, parce qu'on les a laissés pour compte. Ce sont des créances inextinguibles et prégnantes qui empoisonnent définitivement les relations entre les fratries, composées d' êtres qui devraient pourtant bien s'entendre mais qu'en définitive tout sépare, un sentiment de culpabilité envers celui qui a été délaissé, victime des injustices familiales...

     

    C'est que cette histoire est, comme le dit Pierre Assouline est « un roman d'une rare vérité sur deux frères que tout oppose mais que l'adversité réunit », une histoire d'un homme ( Patrick Martin Ashbridge dit P.M. ce qui fait plus parvenu) qui a réussi parce qu'il a travaillé, est devenu avocat et qu'il a eu de la chance, notamment celle de rencontrer Nora, une femme veuve et plus riche que lui, et qui est devenu une sorte de notable respecté... Elle croise un jour celle de son frère (Donald) que la vie n'a jamais avantagé, que ses parents ont délaissé, qui est devenu un criminel en fuite et que sa famille attend au Mexique. Il vient demander de l'aide à ce frère et notamment pour passer la frontière parce qu'il habite une ville (Los Nogales) partagée en deux par une grille et surveillée par des gardes qui le connaissent. D'ordinaire, c'est dans l'autre sens que se font les passages parce que le Mexique ne peut nourrir tous ses enfants et qu'ils doivent chercher du travail aux USA. Pour Donald, la Terre Promise est simplement différente, a un autre visage, celui de la liberté!

     

    C'est que cette ville est aussi divisée en deux par une rivière, à sec une grande partie de l'année à cause de la sécheresse, mais que les fortes pluies transforment en torrent infranchissable pendant de longs jours. P.M. habite un ranch isolé, du mauvais côté de la ville et un déluge d'eau s'est abattu sur la région, rendant le passage vers la frontière impossible! Dans ces contrées, on se méfie des étrangers et la venue de Donald n'est pas vraiment une bonne nouvelle pour P.M. qui le fait passer pour un ami et entoure sa visite de mystère. Il sert cependant de caution malgré lui au fugitif qui a quelque chose d'attirant pour les femmes, parce « qu'il a quelque chose de triste ». (Cette remarque revient au cours du récit et cette affirmation d'une femme finira par faire éclater la vérité qu'on voulait cacher). Pour autant, les distractions sont rares, le jeu d'argent fait partie du décor comme l'argent lui-même, la crue alimente les conversations, justifient les rencontres entre voisins, arrosées de whisky comme il se doit et le décor prend des allures de microcosme. Là comme ailleurs, l'alcool délie les langues, des choses sont révélées qu'on aurait voulu à jamais oubliées, enfouies dans le passé de l'enfance, dans les affres de la pauvreté... Donald, redevenu lui-même et qui présente donc un risque pour cette société en raccourci, s'enfuit et une chasse à l'homme se met en place comme au pire temps des westerns...

     

    Cette opposition entre les deux frères a quelque chose de biblique, le combat de Caïn contre Abel, d' Esaü contre Jacob, du faible contre le fort, mais c'est toujours le faible, celui qui perd, qu'on bénit et dont on se souvient ! L'histoire se présente donc comme une répétition pour eux, mais pas exactement cependant puisque c'est lui, P.M. , le plus fort des deux qui, pour une fois n'est pas le meilleur et au terme d'une quête nocturne, dangereuse et surtout inattendue parce qu'à l'inverse de ce qu'on peut attendre de sa part, trouve une mort que l'auteur nous présente comme rédemptrice! (« Il y a des moments dans la vie où on est poussé inexorablement à faire le contraire de ce qu'on voudrait faire »). C'est lui qui, en quelque sorte volontairement, rachète les injustices qui ont été faites à ce frère. Donald, c'est le faible, le malchanceux, le raté de la famille, mais c'est lui qui s'en tire, et finalement pas si mal.

     

    Ce roman consacre, s'il en était besoin, le pouvoir catharsique de l'écriture, parce qu'ici, il y a plus qu'une relation romanesque entre l'auteur et ses personnages. Le décor est celui où Simenon a vécu. D'évidence, lui, c'est P.M., celui qui a réussi mais que ses parents, sa mère en particulier (ce qui explique sans doute sa relation avec les femmes, celles du roman et toutes les autres), a toujours renié alors que Donald, c'est son frère, Christian, le préféré de sa mère, mais celui dont on ne parle jamais, celui qui n'a pas réussi, le médiocre, l'être peu recommandable qu'on aime voir loin de soi, parce qu'il dérange, parce que sa seule présence est un danger pour les autres. Il y a aussi une culpabilité judéo-chrétienne dans ce récit, au point que P.M. accepte de purger une dette qu'il n'a pas personnellement contractée face à un frère définitivement considéré comme perdu!

     

    Le titre peut paraître étonnant. Il est beaucoup question d'alcool dans ce coin des États-Unis qui jouxte le Mexique et chaque habitant a une longue histoire avec lui. C'est aussi une allégorie, celle d'une querelle familiale longue et longtemps occultée qu'on vide enfin, comme le contenu d'une bouteille et que la mort seule vient purger, une sorte d'effet exorciste peut-être?

     

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES INNOCENTS – Simenon (1971).

     

    N°388– Janvier 2010.

    LES INNOCENTS – Simenon (1971).

     

    C'est une histoire simple que nous offre ici Simenon.

    Georges Celerin a un bon métier, il est orfèvre à Paris et sa notoriété est grande. Il est associé avec un de ses amis, Jean Paul Brassier, marié avec Eveline, frivole et superficielle... L'affaire marche bien et avec les ouvriers de l'atelier l'ambiance est conviviale.

     

    Georges a rencontré par hasard Annette, une assitante sociale assez réservée et pas vraiment belle et l'a épousée. Ensemble ils ont eu deux enfants, Jean-Jacques et Marlène, forcément différents. Georges est béatement et égoïstement heureux, les enfants grandissent sans que leurs parents s'en aperçoivent, le temps passe et les affaires sont florissantes. Malgré une certaine aisance financière, Annette qui vit son métier comme un sacerdoce, a tenu à garder son emploi, mais leur vie conjugale semble terne et un peu en marge. En fait chacun à son centre d'intérêt et s'en accommode. Après tout, cela peut paraître banal!

     

    La vie aurait pu continuer à s'écouler, simple et tranquille, sans souci important, avec des projets en commun, le départ des enfants, mais là aussi, c'est le sens de la vie! Pourtant, par hasard, la mort frappe Annette, écrasée par un camion dans une rue de Paris. Tout bascule d'un coup pour ceux qui restent. Georges reste seul avec Nathalie, la domestique de toujours qui fait maintenant partie de la famille. Il est tenté de se laisser aller, pense au suicide, à l'alcool, mais pourtant l'avenir se dessine autrement et d'une manière favorable pour lui et son associé... Il faut bien que la vie reprenne et ses enfants ont encore besoin de lui!

     

    Il se met à penser qu'il a vécu vingt ans à côté de sa femme sans peut-être avoir pu la rendre heureuse. Son emploi d'assistante sociale n'était peut-être qu'une échappatoire? Cette prise de conscience soudaine lui donne à penser que tous les deux, malgré leur bonne volonté et à cause de leur métier, sont peut-être passés à côté de leurs propres enfants qu'ils n'ont pas pris le temps de voir grandir! Maintenant ils vont quitter la maison et le vide laissé par Annette va s'accentuer encore par leur départ à eux...

     

    Le hasard veut que Georges s'intéresse aux circonstances du décès de son épouse. Elle a été accidentée dans un quartier qui n'était pas le sien, dans un secteur où, d'ordinaire, elle n'exerçait pas ses fonctions et les témoins pensent qu'elle a délibérément cherché la mort, qu'elle sortait d'une maison inconnue... Il en conçoit des doutes et, vérifications faites, il obtient la preuve que que son épouse le trompe avec son associé, et ce depuis dix huit ans. Ce n'est pas une simple passade, mais une liaison durable faite de mensonges, d'hypocrisies et il doit bien admettre qu'il n'a rien vu, rien deviné de la trahison d'Annette, occupé à sa seule réussite, son seul bonheur, même si celui-ci était peut-être un peu convenu! Même Nathalie, dont la situation n'a pas échappé à son regard de femme, n'a rien osé dire. Comment l'aurait-elle pu?

    Découvrir que son épouse l'a trompé pendant si longtemps, s'est moquée de lui, de sa famille, de ses enfants avec un de ses amis est inacceptable, d'autant que celui-ci, sans enfant dans son ménage, peut parfaitement être le père de Jean-Jacques et de Marlène. Cette révélation posthume, si elle peut faire naître dans l'esprit de Georges une culpabilité éventuelle, n'en établit pas moins une certitude «  Annette est morte deux fois !».

     

    Face à cela, Georges se coupe du monde, laisse les choses aller à vau-l'eau pour finalement se séparer de cette associé volage qui lui part de son côté.

     

    Au-delà de l'histoire racontée, c'est un rappel que nous sommes mortels, que la Camarde peut frapper au hasard quand nous nous y attendons le moins, que « rien n'est jamais acquis à l'homme », que le bonheur est fragile, que la confiance est un leurre, qu'on est toujours seul...

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2010.http://hervegautier.e-monsite.com