la feuille volante

Hubert Haddad

  • Le peintre d'éventail

    N°1817 – Janvier 2024.

     

    Le peintre d’éventail – Hubert Haddad – Zulma.

     

    C’est grâce à Xu Hi-Han, devenu enseignant-chercheur à l’université que l’histoire de Matabei Reien nous est révélée. Avant qu’il ne devienne universitaire, le narrateur alors âgé de 18 ans avait connu par hasard cet homme plus âgé que lui, retiré dans les montagnes du Japon, pour recevoir l’enseignement d’un jardinier, peintre d’éventail et amoureux de la poésie. Quelques jours avant le séisme de 1995, à la suite d’un accident de la circulation dont il était responsable et qui avait coûté la vie à une jeune fille, MatabeiIl s’était retiré du monde dans cette pension de famille tenue par une ancienne prostitué, Dame Hison, et avait pris la suite du vieux jardinier. Xu avait à son tour suivi l’enseignement de l’ermite mais s’en était séparé. La modeste vie de Matabei, aussi impalpable que le vent, s’est inscrite à travers le regard de trois femmes, la jeune fille de l’accident, celui de la propriétaire de la pension de famille où il était devenu jardinier et celui d’Enjo, une jeune japonaise mystérieuse et insaisissable dont les deux hommes étaient amoureux et qui provoqua leur séparation.

    Les descriptions sont poétiques, parsemées d’haïkus et le style de l’auteur épouse parfaitement l’ambiance de ce roman qui prête au lecteur attentif un dépaysement bienvenu, toute la culture du Japon traditionnel, son mode de vie fait de silences, de réflexion et de respect de la nature, bien différent de l’image moderne que nous donne ce pays, industriel, pressé, soucieux de réussite. La recherche menée par Matabei est apaisante comme un jardin japonais, importante parce que éminemment personnelle, intemporelle, apparemment inutile puisqu’elle porte sur le vent qu’on fait avec un éventail et évidemment transitoire avec la mort comme seule issue parce que nous ne sommes que de passage.

     

     

  • casting sauvage

     

    La Feuille Volante n° 1284

    Casting sauvage - Hubert Haddad - Zulma.

     

    Le personnage principal de ce roman est bien sûr une ville, et pas n'importe laquelle puisque Paris s'impose d'emblée, non comme le simple décor d'une fiction mais comme un acteur majeur, une sorte de metteur en scène qui imposerait aux comédiens d'un jour sa volonté, sa vision de cette comédie du quotidien avec ses coïncidences, ses rencontres, ses revirements de situations, ses joies secrètes. Ce n'est pas non plus cette « ville lumière » comme on se plaît encore à l'appeler puisque, hors mis les scènes filmées pour un improbable long métrage dont on ne sait finalement pas grand-chose à part qu'il est l'adaptation de «La douleur » de Marguerite Duras, ce roman nous donne à voir des scènes et des situations où le gris et la solitude dominent,.

    Damya, une danseuse ratée, fragile, écorchée vive, mais pleine d'une beauté intérieure, parcourt cette ville à pied, un peu claudicante quand même à cause de son genou éclaté par la balle d'un terroriste qui a mitraillé la terrasse d'un café où elle se trouvait. Puis ce fut l'opération, la rééducation et l'envol de son avenir de ballerine incapable de danser comme une professionnelle. Elle traînera avec elle, comme une mauvaise ombre, ses rêves de réussite et de célébrité. On lui propose par hasard de recruter les figurants pour un film. Ils devront incarner les revenants des camps de concentration, c'est à dire être maigres, décharnés, perdus dans cette société dans laquelle ils reviennent... et avoir la tête rasée. Au cours de, ce « casting sauvage », elle n'a aucun mal à recruter des SDF qui tendent la main, des migrants sans papier, des étudiants pauvres, des chapardeurs, des drogués, des paumés, c'est à dire des gens comme elle, abandonnés.désabusés qui vivent comme ils le peuvent leur douleur intime et que les citoyens ordinaires fuient.. Elle porte comme un fardeau son passé, détricote ses souvenirs pas forcément beaux, son enfance étriquée, ses rêves brisés...Elle assistera même à la général du ballet dans lequel elle devait danser, condamnée à regarder les autres tenir un rôle qu'elle n'aura plus. Avec son grand cœur et son appareil photo elle parcourt les quartiers interlopes, croise des gens abandonnés de la société qui s'accrochent à la vie ou en décrochent Ils devront, sans maquillage, incarner toute la détresse humaine. Le cadastre parisien ne cache même plus leur existence. C'est une gageure mais elle va au devant de chacun d'eux et réussit à réunir une centaine de ces pauvres gens qui ne seront jamais de vrais acteurs mais rien d'autre qu'un décor humain misérable mais d'autant plus facile à diriger que leur désarroi est semblable à celui des survivants des camps. Elle prendra sa mission à cœur, mais le film terminé, elle retournera dans l'anonymat.

     

    Elle croisera Amir, le terroriste qui a participé à l'attentat qui lui a brisé le genou. Ce rendez-vous manqué est pour elle l'occasion d'une quête impossible dans la capitale, sa silhouette se dérobant toujours devant elle. Par un paradoxe improbable dû à ce rendez-vous manqué et de la surveillance ou le hasard, elle devient aussi pour la police une éventuelle complice de cette agression et fait l'objet de tracasseries inutiles. Elle fera quand même de belles rencontres, celle du peinte de la pleine lune et quand elle décide de danser au dessus du vide de la Seine, sur le parapet d'un pont, comme sur une scène soudain bien étroite, c'est Matheo, un artiste désespéré et alcoolique, batelier immobile accroché au quai, aussi paumé et idéaliste qu'elle, qui la sauve du suicide,et c'est un jongleur de rue qui la ramène à la vie , réussit à la convaincre d'accepter sa condition....

     

    J'ai été séduit par la qualité de l'écriture d'Hubert Haddad, poétique, dramatique et émouvante. Ce roman est écrit par petites touches, comme un tableau impressionniste mais qui cependant donnerait à voir avec beaucoup de précisions ce qu'il veut montrer, la pauvreté, le désenchantement, l'échec, l'abandon. On parle toujours beaucoup, ventant leur esprit d'entreprise, leur culot, leur talent, de ceux qui réussissent mais jamais de ceux qui ayant travaillé aussi dur que les autres n'ont pas vu leurs efforts couronnés de succès, à cause du hasard, de la malchance, de la malveillance des autres.. Damya est de ces malchanceux même si, l'épilogue peut donner à penser que les choses pour elle peuvent changer, que cet inconnu dont nous parle Baudelaire quelque part dans son œuvre peut être quelque chose de nouveau et peut-être de beau face à la fragilité de cette jeune femme .

     

    © Hervé GautierOctobre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • OPIUM POPPY – Hubert Haddad

    N°686– Octobre 2013.

    OPIUM POPPY – Hubert Haddad - Folio

     

    A la lecture de la 4° de couverture, je me suis dit que j'allais encore avoir droit à la sempiternelle histoire d'un drame de l'émigration avec l'aventure mouvementée d'un petit garçon afghan récupéré par des groupes islamiques qui ont fait de lui un martyr potentiel en lui promettant le paradis d'Allah et ses « houris », fasciné par le Coran, manipulé par des religieux avec en prime la Charia et le Djihad, attiré par l'occident et son assurance d'échapper à la misère grâce aux trafics en tous genres.

     

    Il y a quand même un peu de cela dans ce roman qui retrace le parcours d'Alam, le jeune afghan. Pour lui comme Yuko le Kosovar, pour Poppy, et pour Diwani la Toutsi, la vie est un désastre, un échec synonyme de souffrances. Ils sont côtoyé les atrocités de la guerre, la violence, la barbarie, la mort au point que ne connaissant pas autre chose, ils se l'approprient comme une règle unique de survie. Alam l’Évanoui, ainsi surnommé parce qu'il n'a pas supporté la circoncision, est né dans les montagnes afghanes et, à part l'amour furtif et vite étouffé qu'il a éprouvé pour Malalaï , n'a connu autour de lui que le sang et les larmes dans les luttes que se livrent les chefs rebelles et l'armée régulière, les trafiquants de pavots et les talibans intégristes. Il a même dû tuer son frère que pourtant il admirait et à qui il emprunte le prénom. Enrôlé de force dans un camp de terroristes, il doit tuer pour lui-même ne pas être tué et surtout il doit obéir aveuglément et sans discuter à ses chefs. Grièvement blessé par ceux-là mêmes qu'il sert, il est recueilli et soigné dans un camp de réfugiés d'où il s'enfuit. Il arrive à Paris après un long parcours cahoteux mais pourtant, aux pays des Droits de l'Homme, il sera un clandestin et « privé d'identité autant que de ressources » n'aura d'autres choix que de retrouver en banlieue parisienne des dealers étrangers, des drogués, des petites frappes et sa condition d'enfant esclave, indigent et toujours combattant qui regarde de loin le confort et la richesse auxquels il n'aura jamais droit de ceux qui veulent l'ignorer.

     

    Poppy, c'est la fleur de pavot, l’opium qui fait tout oublier et qui tue. C'est aussi la petite junkie, protégée de Yuko qui n'en finit pas de mourir sous les coups de la drogue que retrouve Alam en banlieue. Elle assistera à ses derniers moments car la mort qui l'a épargné dans les montagnes d'Afghanistan est venu le cueillir en France. Il n'a jamais cessé d'être un enfant-soldat.

     

    Il y a dans ce texte poétique des mots qui s'entrechoquent et chantent entre eux, même quand l'auteur choisit d'évoquer un paysage sordide de banlieue où la désolation des usines désaffectée et squattées le dispute à la solitude des barres d'immeubles des citées désœuvrées et livrées aux caïds. C’est un beau texte, émouvant, qui se lit d'un trait, à la fois tragique et percutant. Il se veut une leçon, une prise de conscience, une occasion de réfléchir sur l’innocence de cette enfance volée par la guerre, sur l'absence d’accueil que L'Europe leur réserve. Cette indifférence qui n'est sans doute pas valorisante est un signe des temps. C'est probablement de l’égoïsme mais le quotidien même en occident est lui aussi plein d'enseignements, pas forcément compatible avec l’accueil et la charité qu'on attend de lui. Se protéger contre la drogue qui hypothèque sa jeunesse et mine les fondements de la société est aussi un devoir pour la collectivité.

     

     

     

    © Hervé GAUTIER - Octobre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

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