la feuille volante

Italo Calvino

N°799 – Septembre 2014.

Contes italiens (Fiabe italiane) – Italo Calvino – Folio Bilingue.

Comme dans tous les contes du Moyen-Age , il y a des châteaux forts, des forets mystérieuses, des monstres qu'on doit tuer pour conquérir la fille du roi et c'est bien entendu un pauvre berger, c'est à dire un homme du peuple qui y parvient et qui épouse la princesse. Partout il y a de l'or et de l'argent, du cristal, symboles de pureté et de richesse mais aussi des ogres, des magiciens et des fées, des sortilèges, des malédictions, des superstitions et bien entendu des personnages fantastiques comme celui de « nez d'argent »(naso d'argento) ou « Colas poisson » (Colas Pesce).

Ces véritables contes philosophiques, destinés autant aux adultes qu'aux enfants ont, comme toujours un côté didactique et moralisateur. Pour les adultes, ils véhiculaient le respect de l'aristocratie qui gouvernait les peuples et dont il n'était pas question de contester le pouvoir mais aussi sacralisaient la religion qui entretenait son emprise sur les hommes par la peur de l'enfer. Ils promouvaient le voyage, c'est à dire l'expatriation parce que la terre ne suffisait pas à nourrir tout le monde, incitaient au mariage, présenté comme un point de passage obligé de la vie d'un être humain avec son côté merveilleux et amoureux mais qui était surtout destiné à l'asservissement de l'épouse et à la procréation, c'est à dire à la production de chair à canon puisque les guerres étaient (et sont toujours) traditionnellement l'occupation première des hommes. Ils donnaient à penser, même si cela était illusoire, que les gens du peuple pouvaient accéder, souvent par le mariage ou par la bravoure, à l'aristocratie, c'est à dire sortir de leur condition et progresser ainsi dans l'échelle sociale. Ils préparaient les enfants à la vie en général avec les tabous, les interdits, bien entendu toujours transgressés, mais aussi l'hypocrisie, la trahison, le mensonge, toutes choses qui caractérisent bien la condition humaine.

Que peut-il rester aujourd'hui de cette tradition populaire, quand deux mariages sur trois se terminent par un divorce, que les églises sont vides , que le pouvoir politique est de plus en plus contesté, que les fonctions officielles sont désacralisées, que la violence des jeux vidéos remplacent les contes des fées ?

En réalité cette œuvre résulte de la commande en 1950 d'une radio nationale qui demanda à l'auteur de réécrire en langue italienne des contes populaires originellement transcrits en dialecte ou transmis oralement comme dans la plupart des pays, pour qu'ils soient diffusés ensuite à l'antenne. Ce fut sûrement un travail long et fastidieux de recherche (chaque conte est attaché à une région), de choix, d'écoute, de collationnement et d'écriture pour lequel Italo Calvino[1923-1985] a obtenu en 1959 le prix Bagutta décerné chaque année dans un esprit d'indépendance par les membres du jury.

Cette dimension fantastique se retrouve tout au long de son œuvre. Il a en effet toujours été attiré par la littérature populaire, la fable, le symbole. Il me reste peut-être un peu de mon âme d'enfant ou peut-être pas mal de naïveté mais cela m'a procuré une lecture agréable, une sorte de dépaysement en même temps que le plaisir de la découverte d'une langue cousine qui est aussi une musique.

©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • si par une nuit d'hiver un voyageur

    N°1863– Avril 2024.

     

    Si par une nuit d’hiver un voyageur – Italo Calvino- Seuil.

    Traduit de l’italien par Danièle Sallenave et François Wahl.

     

    Étonnant ce roman dont le personnage est le lecteur, c’est à dire vous et moi et par le biais de subtiles mises en abyme et d’une non moins habile erreur de composition de son livre, l’auteur nous place, dans une librairie en présence d’une belle lectrice. Ce détail est important parce qu’il confronte deux univers aussi différents que celui, traditionnel, de l’écrivain et de son lecteur. Dès lors c’est une autre histoire, certes loufoque et déjantée mais qui nous permet de voyager dans de petits mondes aussi différents que multiples, d’entrer dans l’univers très particulier d’Italo Calvino et d’y faire d’improbables rencontres au point de vouloir impérativement en savoir davantage et donc de ne pouvoir revenir en arrière. Cela peut susciter diverses réactions de notre part, rejet de cette originalité inattendue peut-être, saoulerie de l’imaginaire ou stupeur d’être au bord d’un gouffre, en équilibre entre la fiction et la vraie vie et tout cela par le miracle pourtant simple de l’écriture ? Écrire c’est créer un espace peuplé de gens particulier, ici des libraires, des traducteurs, des professeurs, c’est raconter une histoire qui n’existe pas encore parce que les mots qui la composent sont encore dans les limbes du cerveau de celui qui la tisse. Il arrive qu’il en soit lui-même étonné. Alors que peut faire le lecteur face à cet alchimie qui ne sera sûrement jamais complètement dévoilée sinon lire et ce d’autant que, cette fois, il s’agit de lui-même !

    Avec Calvino, entrer dans un livre c’est davantage que d’y porter intérêt le temps d’une lecture. C’est tenter de mettre de l’ordre dans les multiples pièces d’un puzzle, de déjouer les arcanes du hasard, de goûter le vertige suscité par des mises en situation inattendues et labyrinthiques, de tenter de poursuivre une ombre tout en se demandant si elle est le fruit de l’imagination ou si elle est une réalité fuyante, de se laisser embarquer dans un voyage dont on se demande où il va finir et même s’il va avoir une fin tant l’épilogue en est abrupte et les secrets multiples et aussi si d’autres lecteurs nous accompagneront dans ce périple incertain...

    Le lecteur (et la lectrice) cherche donc, tout au long de ces dix récits, à lire un improbable roman qui apparemment se dérobe à sa lecture dans une pirouette oulipienne en s’ouvrant sur un autre tout aussi mystérieux né de cet exercice de style génial. Livre, qui n’est pas vraiment un roman mais qui tient son lecteur en haleine jusqu’à la fin au point de le laisser à ce point perplexe... s’il n’est pas largué avant ;

     

     

  • si par une nuit d'hiver un voyageur

    N°1863– Avril 2024.

     

    Si par une nuit d’hiver un voyageur – Italo Calvino- Seuil.

    Traduit de l’italien par Danièle Sallenave et François Wahl.

     

    Étonnant ce roman dont le personnage est le lecteur, c’est à dire vous et moi et par le biais de subtiles mises en abyme et d’une non moins habile erreur de composition de son livre, l’auteur nous place, dans une librairie en présence d’une belle lectrice. Ce détail est important parce qu’il confronte deux univers aussi différents que celui, traditionnel, de l’écrivain et de son lecteur. Dès lors c’est une autre histoire, certes loufoque et déjantée mais qui nous permet de voyager dans de petits mondes aussi différents que multiples, d’entrer dans l’univers très particulier d’Italo Calvino et d’y faire d’improbables rencontres au point de vouloir impérativement en savoir davantage et donc de ne pouvoir revenir en arrière. Cela peut susciter diverses réactions de notre part, rejet de cette originalité inattendue peut-être, saoulerie de l’imaginaire ou stupeur d’être au bord d’un gouffre, en équilibre entre la fiction et la vraie vie et tout cela par le miracle pourtant simple de l’écriture ? Écrire c’est créer un espace peuplé de gens particulier, ici des libraires, des traducteurs, des professeurs, c’est raconter une histoire qui n’existe pas encore parce que les mots qui la composent sont encore dans les limbes du cerveau de celui qui la tisse. Il arrive qu’il en soit lui-même étonné. Alors que peut faire le lecteur face à cet alchimie qui ne sera sûrement jamais complètement dévoilée sinon lire et ce d’autant que, cette fois, il s’agit de lui-même !

    Avec Calvino, entrer dans un livre c’est davantage que d’y porter intérêt le temps d’une lecture. C’est tenter de mettre de l’ordre dans les multiples pièces d’un puzzle, de déjouer les arcanes du hasard, de goûter le vertige suscité par des mises en situation inattendues et labyrinthiques, de tenter de poursuivre une ombre tout en se demandant si elle est le fruit de l’imagination ou si elle est une réalité fuyante, de se laisser embarquer dans un voyage dont on se demande où il va finir et même s’il va avoir une fin tant l’épilogue en est abrupte et les secrets multiples et aussi si d’autres lecteurs nous accompagneront dans ce périple incertain...

    Le lecteur (et la lectrice) cherche donc, tout au long de ces dix récits, à lire un improbable roman qui apparemment se dérobe à sa lecture dans une pirouette oulipienne en s’ouvrant sur un autre tout aussi mystérieux né de cet exercice de style génial. Livre, qui n’est pas vraiment un roman mais qui tient son lecteur en haleine jusqu’à la fin au point de le laisser à ce point perplexe... s’il n’est pas largué avant ;

     

     

  • Contes italiens (Fiabe italiane)

    N°799 – Septembre 2014.

    Contes italiens (Fiabe italiane) – Italo Calvino – Folio Bilingue.

    Comme dans tous les contes du Moyen-Age , il y a des châteaux forts, des forêts mystérieuses, des monstres qu'on doit tuer pour conquérir la fille du roi et c'est bien entendu un pauvre berger, c'est à dire un homme du peuple qui y parvient et qui épouse la princesse. Partout il y a de l'or et de l'argent, du cristal, symboles de pureté et de richesse mais aussi des ogres, des magiciens et des fées, des sortilèges, des malédictions, des superstitions et bien entendu des personnages fantastiques comme celui de « nez d'argent »(naso d'argento) ou « Colas poisson » (Colas Pesce).

    Ces véritables contes philosophiques, destinés autant aux adultes qu'aux enfants ont, comme toujours un côté didactique et moralisateur. Pour les adultes, ils véhiculaient le respect de l'aristocratie qui gouvernait les peuples et dont il n'était pas question de contester le pouvoir mais aussi sacralisaient la religion qui entretenait son emprise sur les hommes par la peur de l'enfer. Ils promouvaient le voyage, c'est à dire l'expatriation parce que la terre ne suffisait pas à nourrir tout le monde, incitaient au mariage, présenté comme un point de passage obligé de la vie d'un être humain avec son côté merveilleux et amoureux mais qui était surtout destiné à l'asservissement de l'épouse et à la procréation, c'est à dire à la production de chair à canon puisque les guerres étaient (et sont toujours) traditionnellement l'occupation première des hommes. Ils donnaient à penser, même si cela était illusoire, que les gens du peuple pouvaient accéder, souvent par le mariage ou par la bravoure, à l'aristocratie, c'est à dire sortir de leur condition et progresser ainsi dans l'échelle sociale. Ils préparaient les enfants à la vie en général avec les tabous, les interdits, bien entendu toujours transgressés, mais aussi l'hypocrisie, la trahison, le mensonge, toutes choses qui caractérisent bien la condition humaine.

    Que peut-il rester aujourd'hui de cette tradition populaire, quand deux mariages sur trois se terminent par un divorce, que les églises sont vides , que le pouvoir politique est de plus en plus contesté, que les fonctions officielles sont désacralisées, que la violence des jeux vidéos remplacent les contes des fées ?

    En réalité cette œuvre résulte de la commande en 1950 d'une radio nationale qui demanda à l'auteur de réécrire en langue italienne des contes populaires originellement transcrits en dialecte ou transmis oralement comme dans la plupart des pays, pour qu'ils soient diffusés ensuite à l'antenne. Ce fut sûrement un travail long et fastidieux de recherche (chaque conte est attaché à une région), de choix, d'écoute, de collationnement et d'écriture pour lequel Italo Calvino[1923-1985] a obtenu en 1959 le prix Bagutta décerné chaque année dans un esprit d'indépendance par les membres du jury.

    Cette dimension fantastique se retrouve tout au long de son œuvre. Il a en effet toujours été attiré par la littérature populaire, la fable, le symbole. Il me reste peut-être un peu de mon âme d'enfant ou peut-être pas mal de naïveté mais cela m'a procuré une lecture agréable, une sorte de dépaysement en même temps que le plaisir de la découverte d'une langue cousine qui est aussi une musique.

    ©Hervé GAUTIER – Septembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com