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la feuille volante

Laurence (Lorette) Nobécourt

  • Lorette

    La Feuille Volante n° 1181

    Lorette – Laurence Nobécourt – Grasset

     

    Auparavant l'auteure employait, pour signer ses livres, le prénom qui se voulait amical que lui avait donné sa famille : Lorette Dorénavant, et pour des raisons qui ne regardent qu'elle, elle choisit de reprendre son prénom d'état-civil : Laurence. Dont acte. Pour justifier cela (un auteur doit-il ce genre de justifications à ses lecteurs ?) elle recherche des raisons dans la Kabbale, la langue des oiseaux, les lignes de sa main ou les connotations masculin/féminin des lettres qui le composent.. Elle fait ce choix à l'âge de 44 ans parce que, si on l'en croit, le prénom de Lorette lui donnait des boutons, qu'auparavant elle était à demi-paralysée, qu'à cet âge elle a enfin trouvé l'amour et qu'elle a été longtemps hantée par des tendances suicidaires. Après tout c'est là un parcours personnel, cahoteux comme celui de beaucoup d'entre nous, victimes d'injustices, de préférences familiales et avoir songé a interrompre tout cela par la mort nous a tous a moins un fois effleuré. La vie n'est pas un long fleuve tranquille, cela ne regarde qu'elle et un tel parcours peut effectivement faire de vous un artiste qui trouve dans la création matière à tisser une œuvre.. Elle précise que ses parents ne l'ont pas aimée comme sans doute ils l'auraient dû, que sa famille était « incestuelle », qu'elle méritait mieux et qu'elle ne lui a inspiré que de la mélancolie. Malheureusement c'est arrivé à d'autres, quant à son expérience sexuelle incestueuse avec un de ses oncles à l'âge de 18 ans, c'est un détail qu'elle pouvait parfaitement gardé pour elle. Bref, exit Lorette !

     

    J'ai peiné à lire ce livre, écrit par paragraphes successifs un peu comme des détails juxtaposés, énumérés sans grande suite entre eux. Le thème non plus ne m'a pas passionné. Après tout un écrivain puise dans sa propre vie, dans sa propre mémoire la substance de ses livres. Il n'y a rien de dérangeant à cela, à condition qu'il y mette du talent pour intéresser son lecteur. Je n'ai peut-être rien compris, je suis peut-être passé à côté de quelque chose d'essentiel dans l’œuvre de Laurence/Lorette Nobécourt mais je n'ai vu aucun intérêt à ces pages même si l'auteure multiplie les références prestigieuses et les explications intellectuelles pour nous prouver qu'elle a raison de recouvrer son vrai prénom, même si elle démonte les phases par lesquelles elle est passée pour en arriver là. Que dans sa famille la non-parole était la règle a peut-être fait d'elle un écrivain et ainsi l'a sauvée d'une déprime chronique, cela est plutôt sain et parfaitement défendable ; comme elle le dit, le verbe l'a sauvée et donc l'a séparée de ses parents, ce qui a sans doute été un bien pour elle ;

     

    Les artistes changent fréquemment de nom, surtout peut-être les écrivains, pour en adopter un autre qui peut rester un mystère pour tous. C'est à ce moment-là un pseudonyme, ce qui n'est pas les cas de Laurence Nobécourt. puisqu'elle quitte son prénom-diminutif pour se réapproprier son vrai prénom ! Elle n'a, vis à vis de ses lecteurs, ni explication ni justification à donner. Que se soit là une marque de révolte face à sa famille peut se comprendre, mais il n'est pas besoin d'un livre pour s'en expliquer. Elle vit ce changement de prénom comme une véritable renaissance, cela je l'entends d'autant qu'à travers le départ de sa fille pour le Canada, une séparation donc mais une séparation normale entre parents et enfants qui s'aiment, elle reçoit sa gourmette d'enfance au nom de Laurence et y voit un symbole.

     

    J'avais abordé l’œuvre de Lorette Nobécourt à travers « Le Clôture des merveilles » qui m'avait bien plu (La Feuille Volante n°1169) ; Je dois dire qu'ici, j'ai été un peu déçu.

     

    © Hervé GAUTIER – Octobre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • la vie spirituelle

    La Feuille Volante n° 1167

    la vie spirituelle – Laurence Nobécourt – Bernard Grasset.

     

    Ce que confesse au lecteur Laurence Nobécourt peut partaître étonnant. Elle avoue avoir inventé un poète japonais, Yazuki, dont elle cite les vers et dont elle veut faire la biographie. C'est une démarche intéressante à laquelle se livre l'auteure. Ce qu'elle nous propose n'est pas un roman, l'éditeur ne le baptise d'ailleurs pas ainsi, c'est une sorte de démarche personnelle et créative qui commence par la honte d'être née, d'exister. Pour faire face à cela, pour l'exorciser peut-être, elle a commencé par des romans (sous le nom de Lorette) pour leur préférer la poésie et la création d'un un personnage, ce poète japonais du nom de Yazuki parce qu'elle était attirée par ce pays, par sa culture, sa manière de vivre, au point qu'elle a toujours eu l'impression d'avoir été japonaise. Il est vrai que depuis toujours le Japon fascine l'occident. En réalité ce n'est pas si étonnant que cela puisque l'imagination est le domaine de l'écrivain, que la poésie est un monde parallèle où se réfugient bien plus de gens qu'on ne pense parce qu'ils se souviennent de leur enfance et des croyances puériles qui vont avec, et aussi parce que le monde tel qu'il est ne leur convient pas. Une fois créé, cet être va simplement vivre, aimer dans une sorte de microcosme où l'idéal est de mise, entre l'absolu et l'imperfection simplement parce qu'il est à l'image de l'écrivain qui lui insuffle la vie mais aussi lui prête ses phobies, ses fantasmes. Elle est consciente que ce personnage est fictif mais elle va lui donner une vie solitaire, va écrire sa biographie, citer ses poèmes, lui inventer une compagne idéale, Haru, et même se rendre au Japon pour le rencontrer ! Après tout un écrivain comme Fernando Pessoa n'a pas fait autre chose avec tous ses « hétéronymes » qui complètent et éclairent son œuvre. Il va sans dire que la vie de ce Yazuki est d'une autre nature que la nôtre puisqu'elle est imperméable au temps, qu'elle est spirituelle !

     

    J'ai toujours personnellement trouvé passionnant cette position créatrice d'autres personnages, à la fois semblables et différents de l'auteur à qui ils doivent la vie, comme je suis toujours étonné qu'à l'intérieur d'un roman, une créature, par essence fictive, prenne sa liberté et vive une vie qui parfois échappe à l'auteur lui-même qui est pourtant censé en titrer les ficelles. Le plus étrange, si on en croit l'auteur, c'est que Yazuki existe réellement, mais c'est une femme et ce nom n'est qu'un pseudonyme ce qui est une manière de se cacher du monde ! L'auteur ressent cela comme une perte, mais aussi, comme une délivrance. En signant ses propres poèmes qu'elle attribuait à Yazuki elle ainsi dépassé sa honte d'exister grâce à l'écriture. La rencontre qu'elle souhaite au Japon ne sera cependant pas possible entre elles, comme une sorte de symbole. Laurence abandonne cependant le personnage de Yazuky et toutes les fictions qui accompagnent sa vie. A l'entendre, la révélation de cette existence réelle est comme une renaissance, une sorte de prise de conscience en pointillés d'une autre forme de vie. La démarche de l'auteure me paraît intéressante dans la mesure où elle dépasse l’imaginaire. Le poète qu'elle avait imaginé existe vraiment mais il ne correspond pas du tout à l'image qu'elle en avait tissée. Sa démarche d'aller au Japon révèle pour elle, le silence, la solitude née notamment de cette langue qu'elle ne parle pas, le vide né de l'absence d'habitudes parce que sa vie est ici seulement vouée au présent. Auparavant, elle écrivait par mélancolie mais maintenant les mots lui manquent, elle a conscience de ne plus exister, ce qui lui donne l'intuition de la mort. Face à cela, il ne lui reste plus qu'à retrouver Yazuky, pas le vrai mais celui qu'elle a inventé, qu'elle va inviter dans le texte qu'elle va écrire et qui ainsi deviendra un roman, une fiction où il vivra avec Haru.

    Elle inscrit ce personnage dans ce décor imaginaire mais copié quand même sur la vraie ville de Kyoto où elle vit temporairement. Cette démarche me paraît aller dans la même sens que la création de ce personnage nippon et peut parfaitement avoir ses sources dans une mémoire héréditaire dont les racines se perdent dans les alvéoles du temps où aucune explication rationnelle n'a sa place. Le plus étonnant dans cette démarche, c'est que l'auteure, une fois qu'elle eut réalisé que le personnage de Yazuki avait une réalité, elle a cherché à le récupérer en tant que personnage de roman, mais tel qu'elle l'avait imaginé, un peu comme s'il vivait sa vie romancée ou l'auteure aurait la seule direction de ce qui lui arriverait. Elle donne libre cours à son amour pour le Japon tout en sachant que le livre qu'elle voulait écrire sur Yazuki n’existera jamais comme elle l'avait imaginé et qu'il lui faudra en faire le deuil. De cette certitude naît une sorte de lassitude, de solitude, de vertige, de vide. Il en résulte une impossibilité d'écrire, un échec. Pourtant son instinct de créateur reprend le dessus. Elle va s'approprier Yazuky, mais celui qu'elle a crée, pas le véritable qui dès lors ne l’intéresse plus, sans doute parce qu'il est bien différent de celui qu'elle a modelé. Sur place il y a l'obstacle de la langue qui accentue l'absence de communication ce qui la fait revenir à un présent bien présent qui, du coup, fait s'évanouir ses rêves nippons. Laurence reste un écrivain qui va se raccrocher aux mots, aux siens, parce cette expérience est source de création. Dès lors, son voyage au Japon n'aura pas été inutile, ce pays sera l'écrin de sa création, Elle va y réunir et y croiser ses personnages qui ainsi ont repris vie dans une sorte d’intemporalité qui ressemble peut-être à l'éternité. Le roman se trame et s'écrit de lui-même, comme par miracle et les mots viennent, jusqu'à la rencontre imaginaire entre elle et Yazuki, à la fois révélatrice et énigmatique, quelque chose d'initiatique comme ce voyage qui est aussi un voyage intérieur, générateur à la fois de paix intérieure et de création littéraire. Le monde réel est fragile, surtout au Japon et ce malgré les apparences et la page se tourne comme celle d'un livre mais c'est pour elle une sorte de philosophie, une sagesse aux dimensions poétiques qui se confond avec la floraison du printemps qui renaît.

     

    Au départ, ce n'était pas facile mais j'avoue avoir suivi la démarche de cette auteure parce que cette expérience avait pour moi quelque chose de personnel et que j'étais curieux du résultat qu'elle obtiendrait. Je ne connaissais pas Laurence Nobécourt et j'aurais sûrement plaisir à poursuivre cette découverte

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • La clôture des merveilles

    La Feuille Volante n° 1169

    La clôture des merveilles – Lorette Nobécourt - Grasset.

     

    Tout d'abord, par clôture, il faut entendre l'espace réservé aux religieuses cloîtrées, quelque chose de plus personnel aussi. Il faut aussi porter de l'attention à une citation en exergue « Ainsi l'homme est la clôture des merveilles de Dieu ». Ce livre est en effet sous-titré « Une vie d'Hildegarde de Bingen », religieuse bénédictine rhénane, érudite (1098-1179), qui fut canonisée, reconnue docteur de l’Église (2012) et passa sa longue vie dans un monastère qu'elle dirigea, à consigner ses visions et à composer des chants liturgiques.

    J'aime lire les biographies surtout celles de gens hors du commun qui honorent l'humanité et qui ont fait un parcours exceptionnel et respectable. Je ne connaissais pas Hildegarde de Bingen et la vie monastique qu'elle a choisi, son destin de religieuse assumée, m'ont passionné. Contrairement à ce à quoi je m'attendais, ce n'est pas une biographie au sens traditionnel du terme mais davantage une évocation, un témoignage romancé de la vie de cette femme promise très tôt à la vie monastique, non seulement parce que, dans la noblesse rhénane à laquelle sa famille appartenait, on consacrait sa dernière fille à Dieu, mais surtout à cause des apparitions dont elle a été le témoin dès l'âge de trois ans. Ce récit est baigné de poésie, ce qui n'est pas pour me déplaire et je considère que le style de Lorette Nobécourt est d'une qualité incontestable. Je me demande cependant si, à trop vouloir enluminer sa phrase, l'auteure ne pêche pas une atténuation de l'information qu'elle veut délivrer, un peu comme si la syntaxe poétique était incompatible avec la biographie. J'ai appris bien des choses intéressantes sur cette religieuse, apprécié sa liberté de paroles et d'actions, son courage d'oser s'exprimer et interpeller la hiérarchie ecclésiastique essentiellement masculine, son combat contre la maladie, son action en faveur de la santé humaine et spirituelle, indispensables pour un service divin efficace, son esprit d'indépendance et son message intellectuel mis au service de sa foi, sa vision holistique de l'être humain remis au centre du monde pour la plus grande gloire de Dieu, son rayonnement aussi quand l’Église se méfiait tant des femmes et que l'écriture était réservée aux hommes (encore faut-il préciser que c'est le moine Volmar qui, pendant dix années a tenu la plume et mis en forme ses phrases parfois absconses).

    Tout au long de ce livre, j'ai senti une Lorette sous influence, plus convaincue par son sujet que désireuse d'en faire une banale biographie, ce qui correspond bien aux premières lignes de ce livre. Je l'ai sentie désireuse d’entraîner son lecteur à sa suite avec de nombreuses citations d'Hildegarde, employant à l'envi le mot « viridité » pour exprimer la détermination de l'abbesse qui enseigne que l'enfermement du monastère rend plus libre et qui parle de « l'éros spirituel » en donnant à l'amour une exception particulière et quelque peu inattendue pour une femme élevée au rang de sainte. Je ne suis, en effet, pas sûr d'avoir bien compris, à travers les allusions que fait Lorette, la nature exacte de l'amour qui lia Hildegarde et Richardis von Stade, cette moniale qui vécut un temps dans son monastère

    Je ne saurais définir exactement la nature de l'inspiration littéraire mais j'ai toujours été étonné par ceux qui se disent visités par des révélations qui leur sont étrangères et qui les dépassent. Lorette semble donner au verbe une dimension divine, ce qui certes va dans le droit fil de l'enseignement religieux mais, pour délivrer son message liturgique, et pourquoi pas prosélytique, Hildegarde use d'un vocabulaire inconnu de ses contemporains, indéchiffrable et sans doute jugé dangereux par qui ne le comprend pas. Je vois là une contradiction chez cette femme érudite et désireuse d'amener dans le giron de l’Église le maximum de gens, de témoigner par les mots comme elle le faisait par l'exemple, usant de la parole aussi bien pour enseigner que pour guérir, conseils personnalisés, livres ou prêches publics.

     

    Je suis resté imperméable au message religieux mais j'ai, en revanche, été fasciné par la volonté de cette femme de marquer son passage sur terre, par sa personnalité qui correspond bien à celle des abbesses de ce temps, à la fois soumises au Ciel mais aussi autoritaires, érudites, contestataires et désireuses de s'affirmer face à une hiérarchie religieuse misogyne .

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • La vie spirituelle

    La Feuille Volante n° 1167

    la vie spirituelle – Laurence Nobécourt – Bernard Grasset.

     

    Ce que confesse au lecteur Laurence Nobécourt peut partaître étonnant. Elle avoue avoir inventé un poète japonais, Yazuki, dont elle cite les vers et dont elle veut faire la biographie. C'est une démarche intéressante à laquelle se livre l'auteure. Ce qu'elle nous propose n'est pas un roman, l'éditeur ne le baptise d'ailleurs pas ainsi, c'est une sorte de démarche personnelle et créative qui commence par la honte d'être née, d'exister. Pour faire face à cela, pour l'exorciser peut-être, elle a commencé par des romans (sous le nom de Lorette) pour leur préférer la poésie et la création d'un un personnage, ce poète japonais du nom de Yazuki parce qu'elle était attirée par ce pays, par sa culture, sa manière de vivre, au point qu'elle a toujours eu l'impression d'avoir été japonaise. Il est vrai que depuis toujours le Japon fascine l'occident. En réalité ce n'est pas si étonnant que cela puisque l'imagination est le domaine de l'écrivain, que la poésie est un monde parallèle où se réfugient bien plus de gens qu'on ne pense parce qu'ils se souviennent de leur enfance et des croyances puériles qui vont avec, et aussi parce que le monde tel qu'il est ne leur convient pas. Une fois créé, cet être va simplement vivre, aimer dans une sorte de microcosme où l'idéal est de mise, entre l'absolu et l'imperfection simplement parce qu'il est à l'image de l'écrivain qui lui insuffle la vie mais aussi lui prête ses phobies, ses fantasmes. Elle est consciente que ce personnage est fictif mais elle va lui donner une vie solitaire, va écrire sa biographie, citer ses poèmes, lui inventer une compagne idéale, Haru, et même se rendre au Japon pour le rencontrer ! Après tout un écrivain comme Fernando Pessoa n'a pas fait autre chose avec tous ses « hétéronymes » qui complètent et éclairent son œuvre. Il va sans dire que la vie de ce Yazuki est d'une autre nature que la nôtre puisqu'elle est imperméable au temps, qu'elle est spirituelle !

     

    J'ai toujours personnellement trouvé passionnant cette position créatrice d'autres personnages, à la fois semblables et différents de l'auteur à qui ils doivent la vie, comme je suis toujours étonné qu'à l'intérieur d'un roman, une créature, par essence fictive, prenne sa liberté et vive une vie qui parfois échappe à l'auteur lui-même qui est pourtant censé en titrer les ficelles. Le plus étrange, si on en croit l'auteur, c'est que Yazuki existe réellement, mais c'est une femme et ce nom n'est qu'un pseudonyme ce qui est une manière de se cacher du monde ! L'auteur ressent cela comme une perte, mais aussi, comme une délivrance. En signant ses propres poèmes qu'elle attribuait à Yazuki elle ainsi dépassé sa honte d'exister grâce à l'écriture. La rencontre qu'elle souhaite au Japon ne sera cependant pas possible entre elles, comme une sorte de symbole. Laurence abandonne cependant le personnage de Yazuky et toutes les fictions qui accompagnent sa vie. A l'entendre, la révélation de cette existence réelle est comme une renaissance, une sorte de prise de conscience en pointillés d'une autre forme de vie. La démarche de l'auteure me paraît intéressante dans la mesure où elle dépasse l’imaginaire. Le poète qu'elle avait imaginé existe vraiment mais il ne correspond pas du tout à l'image qu'elle en avait tissée. Sa démarche d'aller au Japon révèle pour elle, le silence, la solitude née notamment de cette langue qu'elle ne parle pas, le vide né de l'absence d'habitudes parce que sa vie est ici seulement vouée au présent. Auparavant, elle écrivait par mélancolie mais maintenant les mots lui manquent, elle a conscience de ne plus exister, ce qui lui donne l'intuition de la mort. Face à cela, il ne lui reste plus qu'à retrouver Yazuky, pas le vrai mais celui qu'elle a inventé, qu'elle va inviter dans le texte qu'elle va écrire et qui ainsi deviendra un roman, une fiction où il vivra avec Haru.

    Elle inscrit ce personnage dans ce décor imaginaire mais copié quand même sur la vraie ville de Kyoto où elle vit temporairement. Cette démarche me paraît aller dans la même sens que la création de ce personnage nippon et peut parfaitement avoir ses sources dans une mémoire héréditaire dont les racines se perdent dans les alvéoles du temps où aucune explication rationnelle n'a sa place. Le plus étonnant dans cette démarche, c'est que l'auteure, une fois qu'elle eut réalisé que le personnage de Yazuki avait une réalité, elle a cherché à le récupérer en tant que personnage de roman, mais tel qu'elle l'avait imaginé, un peu comme s'il vivait sa vie romancée ou l'auteure aurait la seule direction de ce qui lui arriverait. Elle donne libre cours à son amour pour le Japon tout en sachant que le livre qu'elle voulait écrire sur Yazuki n’existera jamais comme elle l'avait imaginé et qu'il lui faudra en faire le deuil. De cette certitude naît une sorte de lassitude, de solitude, de vertige, de vide. Il en résulte une impossibilité d'écrire, un échec. Pourtant son instinct de créateur reprend le dessus. Elle va s'approprier Yazuky, mais celui qu'elle a crée, pas le véritable qui dès lors ne l’intéresse plus, sans doute parce qu'il est bien différent de celui qu'elle a modelé. Sur place il y a l'obstacle de la langue qui accentue l'absence de communication ce qui la fait revenir à un présent bien présent qui, du coup, fait s'évanouir ses rêves nippons. Laurence reste un écrivain qui va se raccrocher aux mots, aux siens, parce cette expérience est source de création. Dès lors, son voyage au Japon n'aura pas été inutile, ce pays sera l'écrin de sa création, Elle va y réunir et y croiser ses personnages qui ainsi ont repris vie dans une sorte d’intemporalité qui ressemble peut-être à l'éternité. Le roman se trame et s'écrit de lui-même, comme par miracle et les mots viennent, jusqu'à la rencontre imaginaire entre elle et Yazuki, à la fois révélatrice et énigmatique, quelque chose d'initiatique comme ce voyage qui est aussi un voyage intérieur, générateur à la fois de paix intérieure et de création littéraire. Le monde réel est fragile, surtout au Japon et ce malgré les apparences et la page se tourne comme celle d'un livre mais c'est pour elle une sorte de philosophie, une sagesse aux dimensions poétiques qui se confond avec la floraison du printemps qui renaît.

     

    Au départ, ce n'était pas facile mais j'avoue avoir suivi la démarche de cette auteure parce que cette expérience avait pour moi quelque chose de personnel et que j'étais curieux du résultat qu'elle obtiendrait. Je ne connaissais pas Laurence Nobécourt et j'aurais sûrement plaisir à poursuivre cette découverte

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

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