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la feuille volante

Marie Nimier

  • Les inséparables

     

    La Feuille Volante n° 1371 Juillet 2019.

     

    Les inséparables Marie Nimier - Gallimard.

     

    Léa et Marie sont dissemblables mais inséparables et la romancière évoque cette amitié qui remonte à l'enfance. Léa est autant extravertie et fougueuse que Marie est timide et réservée. Pourtant on songe à Montaigne parlant de La Boétie "parce que c'était lui, parce que c 'était moi" dit-il, et tout est dit! La narratrice, Marie, vit à Paris avec sa mère et Léa avec une mère inexistante et un beau-père, John Palmer, un américain qui fait ce qu'il peut pour elle. Les deux amies ont une vie très libre et Léa se signale très tôt par une intelligence hors du commun mais qui n'est pas reconnue. Elle se cherche elle-même dans cette famille déchirée et pour se singulariser ou peut-être se venger, elle quitte l'école et plonge dans les dérives de la drogue, de la marginalité, de la délinquance, de la prostitution. Elle connaît les désintoxications, les assistances sociales, les centres de réinsertion, les hôpitaux psychiatriques, la prison mais aussi les amours éphémères. Pourtant, pour contrebalancer tout cela il y a les poèmes d’Antonin Artaud, les romans de Boris Vian... Léa c'est la fascination de l'anti-normalité et peut-être aussi une certaine volonté de tangenter les frontières de la mort. Compte tenu de la nouvelle vie de Léa, l'amitié fusionnelle des deux jeunes filles se craquelle et Marie n'a de ses nouvelles que par intermittence, lui pardonnant tout par avance au nom de cette complicité d'enfance, au point de s'effacer elle-même. L'auteure évoque par le menu les détails de cette connivence ainsi que la déchéance de Léa qui elle-même reste un mystère qui s'épaissit d'ailleurs à mesure que son amie s'enfonce dans la prostitution et les explications qu'elle en donne, citant Rimbaud, Aragon et même Saint Augustin, ne sont pas convaincantes. Cela me rappelle un passage d'un roman de Paul Auster rencontrant à Paris une prostituée qui lui cita des poèmes de Baudelaire. Là je n'y ai pas cru.

    Nous savons tous que l'amitié est une belle chose surtout quand elle n'est pas trahie même si les événements incitent fortement les deux amies à prendre leurs distances l'une envers l'autre. Elle est comme les choses de cette vie qui est notre condition, elle s'use et disparaît parce qu'elle appartient simplement aux choses humaines. Je ne sais pas pourquoi, je ne suis que très peu entré dans l'évocation de cette connivence. En revanche, Marie Nimier ne peut pas ne pas parler des pères, même si, elle le dit elle-même, "ça vient comme un cheveu sur la soupe". Elle fait de Léa une mère célibataire dont le père de son enfant est mort. Elle vit des passades et trempe dans le trafic de stupéfiants et le vol... Avec ses "activités", elle en vient à abandonner son fils aux bons soins de ses grand-parents mais pense toujours à lui, espère pour lui le meilleur. Le père, c'est chez l'auteure un thème, récurrent et un peu comme dans "les Confidences" où, parlant des autres elle ne peut s'empêcher de parler d'elle et des rapports assez inexistants et difficiles qu'elle a eus avec le sien, l'écrivain Roger Nimier. Elle évoque celui de Léa absent de sa vie au point de "vivre dans la même ville que fille et ne pas chercher à la rencontrer" mais aussi de l'indifférence qu'elle ressentait pour lui, préférant son beau-père à ce géniteur lointain. La quête du père reste un leitmotiv chez Marie Nimier, jusque, pour Léa, dans sa vie de prostituée et son choix d'un souteneur, présenté plus comme un père que comme un véritable mac. Quant à l'amour qui liait cet homme à sa mère, elle en parle comme quelque chose qui a fini par s'user et disparaître, comme si la conception de Léa n'avait été qu'un accident que cet homme voulait oublier. Cette évocation en filigranes s'arrête très vite et je pense que c'est dommage autant pour l'auteure que pour le lecteur, attentif au cheminement créatif de Marie Nimier qui me paraît vouloir explorer pour elle-même ce thème, mais cela s'arrête vite, sollicitant pourtant sur la fin du roman sa liberté d'écrivain. Cette quête du père revient dans le traumatisme définitif qui s'impose pendant toute sa vie et la pourrit. Cette analyse introspective me paraît plus importante et n'intervient que dans les dernières pages, notant que cette recherche du fantôme paternel était commune à Marie et à Léa. Il y a certes cette histoire d'amitié qu'elle relate comme une antidote à quelque chose et qui prend la forme d'un roman, avec tout ce qu'un tel ouvrage suppose de vérité et de fiction et qui doit avoir une fin, le triomphe de l'imagination de celui qui tient la plume ou celui beaucoup plus simple de la vie qui continue. Là aussi je m'attendais à autre chose et cela résonne pour moi comme une sorte d'impasse. Il reste que cette relation au père me parait quelque chose dont l'auteure a du mal à parler et je suis resté sur ma faim. Je n'ai pas toujours aimé ce qu'elle écrit mais je crois que le prochain roman que je lirai d'elle sera "La reine du silence", pas parce qu'elle a eu pour ce roman le prix Médicis en 2004 mais peut-être pour avoir son approche personnelle sur les rapports qu'elle a eus avec son géniteur. Bref ce roman, pourtant bien écrit, ne m'a intéressé que dans les dernières pages.

     

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

  • Je suis un homme

    La Feuille Volante n° 1368 Juillet 2019.

     

    Je suis un homme Marie Nimier – Gallimard.

     

    Dès la première ligne, Marie Nimier y va de son aphorisme « L’enfance n’existe pas » qu’elle met dans la bouche d’Alexis qui va, à la première personne, dérouler son histoire. Nombre d’écrivains se sont penchés sur cette période de la vie des hommes et en ont tiré des conclusions forcément différentes, mais peu importe. Alexis est un peu la honte de cette famille désarticulée par la fuite du père. Le garçon qui est l’aîné des deux fils de ce couple va grandir dans l’ombre des femmes, de sa mère d’abord puis ensuite des différentes filles qu’il va croiser et dont il va admirer la beauté mais surtout la faculté qu’elles ont de jouir plusieurs fois, ce dont il n’est pas capable. De là à en faire un jeune homme insatisfait il n’y a qu’un pas que notre auteure franchit allégrement. Revenons à Alexis, il est beau et se croit irrésistible. Il fantasme beaucoup sur Delphine, une fille rencontrée au lycée et qu’il retrouve quelques années après, fonde avec elle une entreprise à la limite de l’escroquerie, couche et se marie avec une autre fille, Zoe, tout en pensant à celle qu’il ne peut atteindre et surtout posséder. Le lecteur, à travers les différentes tranches de vie du personnage principal de ce roman, ne tarde pas à s’apercevoir que cet Alexis n’est pas autre chose qu’un sale type obsédé par le sexe, dans la peau de qui Marie Nimier tente de se glisser en détaillant à l’envi, dans un catalogue érotique, la façon dont ce jeune homme s’y prend pour jouir et faire jouir ses partenaires et ce malgré le contraste initié dans ce roman dans le personne de Zoé comparée à « La jeune fille à la perle » de Vermeer et le fait qu’elle tient un journal intime. Cet Alex ne parvient même pas à être sympathique à la fin, malgré les circonstances, lui pour qui « être un homme » se traduisait uniquement en baisant et qui maintenant prend conscience que sa fragilité fait aussi partie de la condition humaine.

     

    La littérature érotique, voire pornographique a sûrement ses adeptes et je respecte à la fois ceux qui l’écrivent et ceux qui la lisent, mais ce n’est pas vraiment ma tasse de thé. J’admets que, pour un écrivain, faire dans ce « registre » est vendeur mais s’y livrer avec la complicité avec un grand éditeur ne me paraît pas très sérieux. J’en déduis que, comme beaucoup d’autres, Marie Nimier est un écrivain capable du pire comme du meilleur et, le livre refermé, mais cependant lu jusqu’à la fin, je n’ai pas vraiment eu l’impression d’avoir lu le meilleur, en me demandant ce qu’il reste de mon appétence à poursuivre plus avant son univers créatif

     

    Le hasard, encore lui, m’a fait croiser sur les rayonnages de la bibliothèque « les confidences ». J’avais été séduit par l’originalité de ce récit et j’avais eu envie d’explorer un peu plus avant sa bibliographie. Avec ce roman, notre auteure change complètement de registre, avec un style quelque peu désagréable et qui tranche largement sur celui que j’avais apprécié auparavant. C’est son droit mais c’est dommage et j’en suis déçu.

     

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • Les confidences

     

    La Feuille Volante n° 1364 Juillet 2019.

     

    Les confidences – Marie Nimier – Gallimard.

     

    L’univers créatif d’un écrivain s’inscrit soit dans la fiction, soit dans l’autobiographie. La fiction est du domaine de l’imaginaire qui, soit fonctionne et emmène son lecteur consentant dans un ailleurs inattendu, soit dérape complètement, le dépaysement n’est pas au rendez-vous et on passe complètement à côté. Avec l’autobiographie, l’auteur puise dans sa propre vie la nourriture de son œuvre et cela peut tourner facilement au solipsisme. Restent les témoignages des autres. Ici ils sont recueillis anonymement par l’auteure et forment 48 petits récits. A la suite d’une séries de petites annonces judicieusement placées, la population d’une ville est informée qu’une romancière recueillera des « confidences » intimes de ceux qui le souhaitent en vue de la rédaction éventuelle d’une œuvre. Pour que l’anonymat soit respecté, les interventions se feront sur un site dédié ou sur rendez-vous dans un appartement meublé très sommairement et prêté par la mairie où, pour préserver l’anonymat, la femme écoutera, les yeux bandés, le récit des intervenants qui se présenteront. L’idée est plutôt originale et Marie Nimier n’intervient pas directement, se contentant d’être « La reine du silence » en écoutant dans la solitude du lieu et au hasard ceux qui lui parlent soit d’une blessure d’enfance, d’un traumatisme assez profond pour qu’il leur pourrisse la vie, soit évoquent des mots qui leur ont échappés ou qu’ils n’ont pas su ou pas oser dire au bon moment, des obsessions, des regrets, des remords, des mensonges, des fantasmes, des échecs non assumés, des obs intimes qu’on ne confie que dans l’anonymat, de petits affronts ou de grandes trahisons qu’on ne pardonnera ou ne se pardonnera jamais, des amours avortées, jamais oubliées, toujours regrettées, autant d’étapes ordinaires dans leur vie, autant de moments de cet écume des jours qui parfois provoquent le vertige quand on les évoque et qui donnent la mesure du temps qui passe. Cette expérience, qui n’est pour elle pas sans danger, peut provoquer des rencontres inattendues ou improbables, la plupart de ces gens ordinaires livrent avec une grande économie de mots une parcelle de leur existence, des choses simples mais qui les obsèdent parce nous avons tous notre croix à porter. Parfois on s’excuse pour le dérangement, parfois il se trouve des gens pour tourner en dérision cette expérimentation qui pourtant déplace des patients d’un jour qui la vivent comme un appel au secours ou une bouteille lancée à la mer. Cela tient, si l’on veut, de la confession qui allège l’âme, mais sans la dimension religieuse du pardon divin. Cette ouverture sur un autre monde met aussi en évidence pour elle la réalité de son impuissance, de sa désolation de son malaise face à une brûlante, à une détresse.

    Qu’en reste-t-il pour les intervenants ? Nous n’en savons que peu de choses puisqu’il n’y a que peu de commentaires de la part de l’auteure, cette dernière faisant confiance à sa mémoire se contentant d’un rôle de scribe qui ne juge personne. Sont-ils apaisés, satisfaits de s’être débarrasser d’une obsession, contents d‘avoir rencontrer un auteur connu, même s’ils ne repartent pas avec un de ses ouvrages dédicacé et fiers peut-être de l’éventuel espoir de se retrouver dans un futur roman et ainsi d’ avoir contribué ne serait-ce qu’un peu, à la création d’une œuvre d’art ? Parviennent-ils réellement à se délivrer par la parole d’autant plus anonyme que celle qui la recueille a les yeux bandés? Après un drame il est d’usage de consulter un psychiatre ou de mettre en place des cellules psychologiques pour aider ceux qui ont été traumatisés à se libérer. C’est un peu la même démarche sauf qu’ici, le traumatisme peut remonter à des années et gangrener la vie de celui qu’il hante. Ces gens viennent spontanément se confier à cette femme dont ils ignorent tout, ce qui donne la mesure de la condition humaine mais surtout celle de la solitude de la société dans laquelle nous vivons. Cela peut tenir du soliloque et la puissance cathartique des mots peut agir comme une soupape de sûreté qui sauvegarde la vie ou la rend plus acceptable malgré la honte, le dégoût ou le mépris de soi.

    Les interventions dont elle a eu connaissance étaient pour la plupart orales mais c’est une confession écrite, emprisonnée dans un cahier à spirale, gouvernée par la présence tutélaire paternelle et dont nous ne saurons rien, et d’autant plus étrange qu’elle est agressive et assortie d’une proposition inattendue qui, pour elle, va bouleverser l’ordre des choses. Dès lors l’auteure ne se contente pas de rendre compte de toutes ces témoignages anonymes, elle y va aussi de sa propre confidence, comme portée par tout ce qu’elle vient d’entendre et évoque son père, l’écrivain Roger Nimier, mort à l’âge de 36 ans alors qu’elle n’est elle-même qu’une enfant de 5 ans. Elle en parle comme d’un absent définitivement silencieux, une énigme, évoque le vide que sa disparition brutale a creusé en elle, comme d’un étranger aussi. Il est celui qu’on attend mais qui ne viendra pas. Dès lors l’écriture pour elle reprend sa fonction exploratrice du souvenir, s’impose comme un exorcisme à la fois créateur et libérateur. Peut-être ou peut-être pas !

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

  • La plage

    La Feuille Volante n°1034– Avril 2016

    LA PLAGE– Marie Nimier- Gallimard.

    D'abord une île inconnue qu'on imagine méditerranéenne avec une crique sauvage et une jeune femme également inconnue (le lecteur ne saura pas son nom, elle sera « l'inconnue », mais est-ce bien important ?) qui choisit de s'y rendre parce que ici, sur cette île, il y a une grotte où deux ans auparavant elle y a fait l'amour avec un homme, « le voyageur », disparu de sa vie depuis. C'est donc à une sorte de pèlerinage qu'elle se livre, avec toute la nostalgie qui va avec, mais celui-ci est contrarié parce que l'endroit est déjà occupé par un père et sa fille (Eux non plus n'ont pas de nom, elle les baptise « le colosse » et « la petite » (déjà une jeune fille) et c'est bien suffisant. «L'inconnue », décide d'attendre qu'ils partent, de tuer le temps en se baignant nue, mais au bout de trois jours, après avoir observé ce couple étrange père-fille qui n'est pas sans lui rappeler celui qu'elle formait avec son père, elle décide de se montrer. A la faveur de cette rencontre, petit à petit, avec un luxe de précautions, de timidité, de retenues, de beaucoup de silences et de respect de l'autre, une sorte de complicité puis de partage de secrets intimes se tissent entre « l'inconnue » et « la petite » puis c'est le père qui accepte de parler de lui, de sa femme avec qui il a rompu à cause sans doute d'une sorte de nymphomanie ou de goût pour la liberté, incompatible avec sa qualité de mère et de femme mariée. C'est une manière de briser le stéréotype un peu trop convenu du mari volage et de l'épouse trompée. Il ne voit sa fille que par intermittence et ne veut rien perdre de ces moments. On devine ce qu'a été la vie conjugale délétère de cet homme tiraillé entre un abandon qu'il combat comme il peut et l'amour de sa fille déjà grande, perturbée par la mésentente de ses parents, mais qui ne voudrait pas quitter l'enfance trop vite. Entre eux il y aura cette inévitable passade inspirée, de son côté à lui, par une solitude difficile à supporter surtout en présence d'une jolie femme et pour elle le souvenir de cette étreinte fugace avec « le voyageur » et peut-être aussi son attachement à « la petite ».

    Le livre refermé, que reste-il de ce roman au style fluide, agréable et facile à lire ? Du soleil d'été, des vagues chaudes et des galets, du farniente, des senteurs de pinède et de garrigue, des descriptions poétiques de paysages, des évocations parfois érotiques… Ce que je retiens surtout c'est une sorte d'impression de solitude qui habite chaque personnages. Au fil du récit on a la certitude que, malgré les apparences, ils ne se rencontreront jamais vraiment et le moment d'extase passé, chacun retournera à sa vie d'avant, comme si cette période estivale entre parenthèses n'avait servi qu'à tisser des souvenirs, vous savez, ce qui encombrent pour longtemps votre mémoire, avec ses bons moments mais surtout avec ses regrets, ses remords ! J'y ai vu de la nostalgie, l'empreinte du temps qui passe et des projets un peu fous qui ne se réaliseront jamais et laisseront ces protagonistes face à eux-mêmes, à leur mélancolie d'avant. C'est banal, mais j'ai eu l'impression, au cours de ce récit, de l'abolissement du temps, comme s'il était suspendu à la tranche de vie de chacun, coincée elle-même entre leur passé tumultueux et leur avenir incertain. Chacun à sa manière a connu l'abandon et va renoué avec lui après cette aventure d'été. Le décor de la grotte a un côté anachronique, sauvage et pourtant savamment organisée ; on peut y voir nombre de symboles.

    Je ne me suis pas ennuyé à la lecture de ce court roman qui ne relate pas autre chose qu'un amour de vacances avec tout ce qu'il a de fugace, de temporaire, une façon, si on veut le voir ainsi d'enjoliver un peu un quotidien morne. Un bon moment de lecture ne tout cas.


     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]